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Actualités

L’amnésie turque

L’amnésie turque n’est autre qu’une perte de mémoire préméditée, volontaire et non médicale, aboutissant à la paralysie de la conscience historique des Turcs. Les fondateurs de la République ont brisé tous les liens les rattachant au passé. Il est vrai que tout État, au moment de sa création, cherche des racines historiques pour fonder sa légitimité ; s’il n’en trouve pas, il en invente. Les fondateurs de la jeune République turque n’ont fait qu’appliquer cette règle. Par une série de réformes, comme celle des habitudes vestimentaires, et l’adoption de l’alphabet latin, dès 1928, l’État a essayé de faire disparaître les traces de ce passé devenu indésirable et inaccessible aux jeunes générations. La mémoire collective a ainsi été vidée d’une partie importante de son contenu. Écrite par quelques académiciens autorisés, devenant la seule référence reconnue, l’histoire officielle l’a remplacée. Comment dans ces conditions attendre de cette société qu’elle prenne l’initiative même d’un simple débat à propos du génocide ? Entre 1878 et 1918, les dirigeants turcs ottomans ont perdu 85 % des terres et 75 % de la population de l’empire. Les cent dernières années de celui-ci peuvent se résumer en une succession de guerres, qui a coûté la vie à des dizaines de milliers d’hommes et a été vécue comme l’époque du déshonneur et de toutes sortes d’humiliations. Écrasée sous le poids d’un passé glorieux et souffrant d’une perte d’estime d’elle-même, l’élite turque ottomane a vu dans la Première Guerre mondiale une chance historique pour rétablir la grandeur d’autrefois et guérir l’orgueil national blessé. L’illusion s’est vite écroulée. Dans ce contexte, la décision du génocide a été un acte de vengeance dirigé contre ceux que l’on considérait responsables de cette situation : les Arméniens. Les dirigeants ottomans, en insistant sur le fait que la république est une renaissance, ont mis fin volontairement à la reconnaissance de toute trace du génocide. Ces même dirigeants ne se sont pas contentés simplement d’écrire une histoire, mais ils ont remodelé une nouvelle identité. Ainsi s’explique le refus total manifesté face à tout ce qui touche, de près ou de loin, à la question arménienne. Le pays se croit ainsi guéri et pourvu d’une personnalité entièrement renouvelée. Mais si la guérison est complète, pourquoi ne peut-on même pas entendre parler du génocide ou même de la question arménienne ? En fait, la société turque n’a encore pas pu construire une identité purifiée du traumatisme ancien, et ne le pourra point tant qu’elle refusera d’aborder le tabou arménien, car la lumière des justes ne s’éteindra jamais, même après de longues années. Serge TOUR SARKISSIAN Député de Beyrouth
L’amnésie turque n’est autre qu’une perte de mémoire préméditée, volontaire et non médicale, aboutissant à la paralysie de la conscience historique des Turcs. Les fondateurs de la République ont brisé tous les liens les rattachant au passé. Il est vrai que tout État, au moment de sa création, cherche des racines historiques pour fonder sa légitimité ; s’il n’en...