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Realpolitik, diplomatie du pétrole et génocide

Au début du siècle dernier, les hommes de bonne volonté osaient rêver de « lendemains qui chantent », de justice et de liberté. Ils attendaient la globalisation d’une humanité synergétique, enfin réconciliée avec elle-même dans le cadre d’une possible société des nations, fondée sur le respect des principes du « droit international ». Contre toute attente, ils furent accueillis par la mondialisation de deux guerres et la barbarie des génocides. À l’occasion de la commémoration du 88e anniversaire du génocide arménien, le devoir de mémoire nous invite à méditer sur les causes de ces crimes contre l’humanité que sont les génocides, en l’occurrence la violation des principes du « droit international » (...). Ce mépris et ce non-respect des « principes » du droit et des « valeurs » humanistes trouvent leur origine dans la « realpolitik » et la « diplomatie du pétrole » qui dominent depuis plus d’un siècle la politique des princes de ce monde. Théorisée il y a cinq siècles par Machiavel, la « realpolitik » reste cette doctrine qui refuse de subordonner la politique aux règles de la morale humaniste et aux principes de l’éthique universaliste. En faisant de la politique une question de « rapports de forces » et de préservation d’« intérêts stratégiques », la realpolitik enferme définitivement la politique dans la caverne du règne anthropophage de la préhistoire politique (...). En faisant de l’homme « un loup pour l’homme », en faisant des guerres et des massacres le moteur de l’histoire, la realpolitik pose naturellement la force comme le fondement de tout droit, comme elle fait de la réussite et du succès le critère pragmatique et paradigmatique de tout principe et de toute règle. Ainsi s’inscrivent, dans le cadre de cette realpolitik, la « raison d’État », la « raison » du prince (...), la « raison » réaliste qui affirme que « nécessité fait loi » (...). Et c’est bien dans le cadre de cette « raison » pathologique d’État que se concrétisera l’impensable, le premier génocide du siècle, le génocide oublié des Arméniens que Moussa Prince appelait l’Arménocide. À y regarder de près, on verra que, pour assassiner froidement des centaines de milliers de civils, il faut d’abord les animaliser ou les diaboliser. Se débarrasser du peuple arménien C’est dans le cadre de cette bestialité real-politique que se manifeste le « pantouranisme », cette idéologie turcottomane raciste et expansionniste qui projetait de bâtir un empire qui irait des eaux chaudes de la Méditerranée aux steppes de l’Asie centrale et engloberait en son sein tous les peuples turco-mongols, en nettoyant ethniquement au passage tous les éléments ou peuples allogènes de la région. C’est cette idéologie cannibale que les génocideurs « Jeunes Turcs » vont mettre à exécution le 24 avril 1915 selon un plan préétabli pour se débarrasser définitivement du peuple arménien, considéré comme « inassimilable » et « renégat », « comploteur » et « infidèle ». En l’espace de quelques mois, un million et demi d’Arméniens seront physiquement liquidés, que ce soit sur leurs terres natales et ancestrales ou dans les déserts de la Syrie et de la Mésopotamie. Génocideur devant l’éternel et fier de l’être, le ministre de l’Intérieur de l’époque Talaat pacha, grand ordonnateur de cette « solution finale » à la sauce ottomane, déclare alors avec cynisme et satisfaction : « J’ai fait plus pour résoudre la question arménienne en quatre mois que le sultan Abdulhamid en 34 ans de règne. » Jouant la carte de la realpolitik et du pragmatisme, l’Occident très chrétien et très civilisé laisse faire. À la fin de la guerre, au lieu de préparer un Nuremberg ottoman pour juger et condamner les criminels de guerre, la Grande-Bretagne, qui avait une première fois trahi les Arméniens au Congrès de Berlin (1878 ) en contrepartie de la cession par les Ottomans de l’île de Chypre, s’active fébrilement pour noyer cette fois la question arménienne et l’arbitrage du président W. Wilson dans les eaux du lac de Léman. Ce qui sera fait en 1923 à Lausanne en contrepartie des puits de pétrole de Kirkouk et de Mossoul cédés par les Turcs au lobby du pétrole anglais IPC. Cela fera dire alors au ministre des AE britannique Lord Curzon que « le pétrole a pesé plus lourd que le sang arménien ». Victime de la realpolitik et de la raison d’État, ce qui restait de la question arménienne sera trahi une nouvelle fois : cette fois par la « diplomatie du pétrole ». Car entre-temps, les grandes puissances, avec à leur tête la Grande-Bretagne, découvrent que si l’Arménie se trouvait autrefois sur « la route des Indes », elle se trouve cette fois sur l’autoroute du gaz et du pétrole. Et comme sa présence gêne la circulation, la « diplomatie du pétrole » se chargera de l’évacuer (...). Les businessmen du pétrole et des hydrocarbures s’occupent donc de performance et de compétitivité, de profit illimité et de chiffres d’affaires. La politique telle qu’ils l’entendent, c’est-à-dire la realpolitik, ils la laissent aux diplomates de leurs pays d’origine qui s’y connaissent en la matière (...). Désormais ce qui est bon pour les cartels du pétrole est bon pour les grandes puissances. Et ce qui est bon pour les grandes puissances est bon pour l’humanité. La preuve : deux millions d’Igbos périssent en 1968 après avoir fait sécession au Nigeria et déclaré l’indépendance de leur pays qu’ils nomment « Biafra ». À la perpétration de ce nouveau génocide collaborent activement comme d’habitude la Grande-Bretagne, mais aussi l’Union soviétique et l’Égypte du bien aligné raïs Gamal Abdel Nasser dont les pilotes de chasse à bord de leurs Sukhoi russes se refont une virginité après la guerre des Six-Jours. Le Timor et le Haut-Karabakh Après la tragédie du Biafra et son long cortège de massacres et de misères, se manifeste la catastrophique situation humanitaire des peuples animistes et chrétiens du Soudan-Sud vivant dans des régions très riches en hydrocarbures et incorporées de force dans l’entité soudanaise par l’ancien colonisateur anglais. Peuples animistes et chrétiens qui sont soumis depuis l’indépendance à un génocide permanent par les différents régimes policiers et militaires de khartoum. Là aussi, il est interdit de faire sécession, au nom du sacro-saint attachement au « principe de l’intangibilité des frontières » (...). Dans le même ordre d’idées, il faudrait mentionner le cas du Timor-Oriental, peuplé lui aussi comme par hasard par des populations chrétiennes, trahies et vendues par le sinistre Kissinger au régime dictatorial de Djakarta. Reste enfin le problème du Haut-Karabakh, cette région habitée depuis des millénaires par des Arméniens et enclavée de force par les Anglais, puis par Staline à l’Azerbaïdjan. Là aussi, on assiste à des massacres périodiques et des nettoyages ethniques pour faire fuir la population arménienne, provoquant une résistance armée, des victoires militaires, puis la sécession et la proclamation de la République du Haut-Karabakh après l’implosion de l’Union soviétique. Là encore, on retrouve comme par hasard la proximité de fabuleux gisements d’hydrocarbures de la mer Caspienne et des projets de pipelines ou d’oléoducs qui jouxteraient la République nouvellement proclamée (...). De cette brève analyse des liens dialectiques, qui unissent les « principes » du droit international à la realpolitik, il apparaît clairement que pour les princes machiavéliens de ce monde les « principes » ou les « lois » sont bons quand ils les arrangent. De là vient probablement leur pratique systématique du « double langage » et du « double standard ». Par Vatché Nourbatélian Professeur à l’UL Ambassadeur du Liban
Au début du siècle dernier, les hommes de bonne volonté osaient rêver de « lendemains qui chantent », de justice et de liberté. Ils attendaient la globalisation d’une humanité synergétique, enfin réconciliée avec elle-même dans le cadre d’une possible société des nations, fondée sur le respect des principes du « droit international ». Contre toute attente, ils...