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Remodelages

Le vent de changement soufflant de Mésopotamie lui aurait-il pris fantaisie de frapper en priorité les rives phéniciennes ? Tant s’en faut, hélas : le remaniement gouvernemental en cours, qui vise, pour reprendre la phraséologie officielle, à consolider le front interne face aux graves défis régionaux, est loin d’être une innovation et ne répond guère aux attentes de l’opinion publique. On ne saurait contester, bien sûr, la nécessité absolue de préserver l’union sacrée, à un moment où l’Amérique affiche sa volonté de remodeler, selon ses propres normes et critères, ce Proche-Orient façonné une première fois au début du siècle dernier par les puissances coloniales de l’époque. Que les Libanais aient des avis variés et souvent contradictoires sur les évènements d’Irak ne change d’ailleurs rien à ce besoin diffus de serrer les rangs, de se garder de toute aventure, face à l’angoissant inconnu qui nous guette. En fait, le peuple s’avère aujourd’hui plus responsable que ceux qui président théoriquement à ses destinées, et qui croient conjurer tous les périls en distribuant çà et là, sans conséquence significative, quelques maroquins. On s’étonnera en premier lieu qu’il ait fallu rien moins que le séisme irakien et le grand chamboulement qu’il préfigure pour que l’on se soucie soudain, verbalement du moins, d’étayer ce fameux front interne que douze années d’après-guerre ont laissé malade, boiteux, branlant, en l’absence d’une réconciliation nationale incluant toutes – absolument toutes – les sensibilités libanaises. Cette œuvre d’unité interne était et reste une obligation nationale à laquelle ont systématiquement failli tous les gouvernements qui se sont succédé depuis la fin de la guerre du Liban. J’écris était parce que jusqu’à nouvel ordre, et malgré quelques artifices cosmétiques qui ne trompent personne, il s’agit moins ici de conforter et de revigorer le modèle démocratique libanais que de raffermir l’ancrage de notre pays à la Syrie. Que Damas ait aujourd’hui le plus grand besoin de ce surcroît d’engagement étatique libanais est dans l’ordre des choses. Sans même attendre la fin des opérations militaires en Irak, l’Administration US a entrepris de diaboliser passablement le régime du président Bachar el-Assad. Aux coups de semonce américains sont venus s’ajouter ceux d’Israël, et si l’on n’en est pas encore aux menaces militaires directes, il est clair que le jeune président syrien se trouve actuellement engagé dans la partie la plus délicate, la plus lourde de conséquences qu’il ait eu à jouer depuis son investiture : une partie dans laquelle le Liban se trouve nécessairement et profondément impliqué, ne serait-ce qu’en raison du facteur Hezbollah. Face à d’aussi graves échéances, il faut mettre en garde contre deux dérives possibles, aussi désastreuses l’une que l’autre. La première consisterait à croire qu’avec tout ce faisceau de pressions concentré sur Damas, l’heure est venue pour les nationalistes libanais de monter à l’assaut de l’hégémonie syrienne. Or, et par-delà les échanges publics d’invectives, il n’est pas sûr que les États-Unis et même Israël aient un réel intérêt à la disparition d’un régime syrien autoritaire certes, mais qui fait efficacement barrage aux poussées intégristes et dont le rôle demeure central dans tout règlement de paix au Proche-Orient. Si d’ailleurs le Liban est le « ventre mou » de la Syrie, la zone sensible où peut douloureusement s’abattre le gros bâton américain ou israélien, il n’a cessé d’être aussi hélas, tout au long du dernier quart de siècle, l’appétissante carotte, le lot de consolation susceptible d’amener Damas à composition. On mesure, dès lors, le danger qu’il y aurait à voir certaines fractions se laisser manipuler par une Administration américaine ayant épousé les thèses israéliennes les plus dures : étant entendu qu’à plus d’une occasion, Américains et Israéliens ont montré avec quelle aisance, quelle absence d’états d’âme, ils sont capables de jeter l’écorce une fois pressé le citron. La deuxième dérive verrait, au contraire, les inconditionnels de la Syrie se montrer plus syriens que cette dernière, versant une fois de plus – une fois de trop, faut-il craindre – dans une irresponsable surenchère, laquelle n’aurait d’autre résultat que d’assurer l’entrée du pays dans le fameux club des « États voyous » pris pour cibles par les faucons d’Amérique : cela, suprême ironie, à l’heure même où l’allié syrien ne demanderait sans doute pas mieux que d’en être exclu sans trop perdre la face ! Non moins amère est l’ironie qui veut que le déploiement de l’armée régulière à la frontière soit désormais une exigence – pire, l’une des cinq conditions posées à la Syrie par Israël, avec l’aval de son protecteur américain – de là où une telle mesure était commandée par le bon sens comme par le strict devoir national, dès l’instant où l’armée israélienne évacuait le Sud-Liban, si l’on ne s’était avisé de déterrer le cas des fermes de Chebaa. C’est dire à quel point le changement, s’il doit réellement avoir lieu sous la pression des évènements, doit commencer par celui des mentalités, à Beyrouth autant qu’à Damas. Au bout du compte, ce n’est pas rendre service à la Syrie (et certes pas à son propre pays !) que de se cantonner dans un peu digne rôle de faire-valoir, de bouc émissaire, de souffre-douleur. De même et tant qu’à se résoudre au diktat de changement, le président Assad à qui l’on prête des tendances libérales étouffées dans l’œuf par la vieille garde baassiste, a grand intérêt à inverser – avec toute la prudence de rigueur, cela va de soi – le cours d’une interaction syro-libanaise qui n’a jamais fonctionné qu’à sens unique, avec les incidences néfastes que l’on sait sur les traditions démocratiques libanaises. Mieux que les ruines fumantes et le chaos organisé de l’Irak, le Liban, pour peu qu’on lui laisse la chance de se retrouver pleinement, peut à nouveau faire figure de modèle. Telle est même la responsabilité première, la mission, la raison d’être de tout dirigeant digne de ce nom. Issa GORAIEB
Le vent de changement soufflant de Mésopotamie lui aurait-il pris fantaisie de frapper en priorité les rives phéniciennes ? Tant s’en faut, hélas : le remaniement gouvernemental en cours, qui vise, pour reprendre la phraséologie officielle, à consolider le front interne face aux graves défis régionaux, est loin d’être une innovation et ne répond guère aux attentes de...