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DOSSIER RÉGIONAL - Débat sur l’identité humaine organisé à l’Unesco, à Paris Après les bouleversements dans la région, quel sort pour le liban ?

L’identité humaine est-elle un obstacle ou plutôt un moteur pour la consolidation d’une société diverse ? C’est pour apporter des éléments de réponse à cette question, qui intéresse particulièrement le Liban, qu’une conférence-débat a été organisée au siège de l’Unesco à Paris, le 28 mars, par l’Association du dialogue interculturel et interreligieux (ADICR). De prestigieux intervenants ont abordé divers sujets en relation avec l’identité : Nassif Hitti, ambassadeur de la Ligue arabe à Paris, Magali Roux, directrice de recherche au CNRS français, Dominique Chevallier, professeur émérite et ancien directeur du Centre d’histoire de l’islam contemporain à la Sorbonne, Paris IV, Mohammed Arkoun, islamologue et ancien directeur du centre d’études de l’Orient contemporain à la Sorbonne nouvelle, Paris III. Le cas spécifique du Liban a été examiné par M. Chevallier. « Le Liban a survécu à quinze années de guerres intérieures, et une question nouvelle se pose, survivra-t-il à une guerre en Irak, qui aura des répercussions dans l’ensemble du Moyen-Orient ? », s’est-il demandé. Selon lui, depuis plus d’un an déjà, l’Administration américaine a élaboré un plan de restructuration des États et de modification des frontières dans cette partie du monde : « Le président des États-Unis vient de dévoiler publiquement les grandes lignes d’un plan de recomposition du Moyen-Orient (...) Il a déjà cité plusieurs États, mais il n’a évoqué ni la Jordanie ni le Liban. Par conséquent voici Beyrouth bien protégée entre Alexandrette et Tel-Aviv. » « Une question se pose », a-t-il poursuivi. « Par quel territoire, et au-dessus de quel territoire passeront les missiles, les avions et les soldats qui sont actuellement concentrés dans l’ancien sandjak d’Alexandrette ? Que devient l’identité libanaise dans un tel encadrement ? Quelle conception l’Administration Bush se fait-elle de cette identité libanaise et de celle des autres pays arabes ? Le Liban reste-il un « minefield » ? » Il a ajouté : « Les citoyens libanais ont une identité arabe commune. (...) Les choix politiques et culturels, qu’ils ont dès à présent à faire, sont donc décisifs, non seulement pour eux-mêmes, mais pour toute la région où ils vivent et par conséquent pour toute la Méditerranée, et si j’ose dire pour nous Français et Européens. » La question de l’identité dans le monde arabe a été décortiquée par M. Hitti. « Comparé à d’autres systèmes régionaux du monde, le système régional arabe est doté d’une spécificité qui est une source de tension créatrice, mais aussi destructrice », dit-il. « C’est la spécificité de la double appartenance, de la double logique ou bien de la double raison. C’est un système à deux niveaux : un niveau interétatique comme tous les autres systèmes et un niveau transétatique panarabe. Le premier se situe dans la logique de l’État national, le second se situe dans la logique de l’appartenance identitaire panarabe, la « oumma » la nation arabe, qui transcende l’État et qui vit dans l’imaginaire arabe puisant sa force dans l’histoire, la culture et l’héritage. » Bien qu’on soit, aujourd’hui, loin de la situation qui a imprégné la politique arabe pendant des décennies, puisque, selon M. Hitti, la raison de la « oumma » a été décrédibilisée avec le temps en tant qu’idéologie, il n’en faut pas moins « faire la différence entre l’idéologie et l’identité ». Il rappelle que si l’idéologie du panarabisme a trouvé sa fin après la guerre de 1967, l’identité arabe est, elle, toujours bien vivante, comme le prouvent les réactions face aux conflits en Irak et en Palestine. L’existence des États n’est plus remise en cause face à la oumma, mais les politiques le sont. Enfin, M. Hitti rappelle que les sentiments d’humiliation et de vulnérabilité peuvent pousser les Arabes vers un cloisonnement identitaire, mais que la seule façon de faire face à ce danger est de construire une identité ouverte sur l’autre. Mme Roux, pour sa part, a parlé de la réalisation identitaire, notamment dans les sociétés occidentales. Elle a constaté que « chez l’humain, cette identité culturelle, en se réalisant, dépasse bien vite la seule identité biologique, pour référer à ce qui est propre à l’espèce humaine, l’esprit et la conscience, sans toutefois dénier sa composante biologique ». Elle passe d’une analyse de la conscience humaine à la place privilégiée qu’y occupe le mythe, notamment le mythe religieux et les religions, qui, en un sens, « sont favorables au développement de l’espèce humaine », puisqu’elles donnent à l’esprit humain « assurance, confiance et espérance ». Le développement de l’identité individuelle amène Mme Roux, dans son exposé, à la notion de « sujet », dans la relation de l’individu avec autrui. Quant à l’identité sociale, elle se fonde, selon elle, sur la culture, celle-ci étant « l’ensemble des habitudes, coutumes, savoir-faire, savoirs, normes, croyances qui se perpétuent de génération en génération, en chaque individu, et génèrent la complexité sociale ». Mme Roux, qui insiste sur la complexité du rapport de l’individu à sa société, s’attarde sur l’apparition de l’État, d’abord trop fort et totalitaire, puis civilisateur et démocratique. Elle constate enfin, citant Edgar Morin, que « le progrès ne peut venir que du ressourcement », donc de la régénération des acquis. « Ma croyance d’enseignant est que lorsqu’on comprend les choses et qu’on les analyse avec cette précision, on a des chances de sortir un peu plus du fanatisme et des usages meurtriers des revendications identitaires ». C’est ainsi que M. Arkoun a terminé son intervention sur les manipulations identitaires, au cours de laquelle il a présenté une méthodologie, « pour essayer de discuter de la question identitaire, non pas de façon polémique, passionnelle, purement croyante, mais de façon qui nous éclaire davantage sur les enjeux de la construction identitaire et les utilisations actuelles des identités pour envenimer les conflits politiques ». « Nous avons quatre forces qui s’opposent à quatre autres forces qui englobent toutes les sociétés, toutes les formes de société, tous les niveaux de société », poursuit-il. « La première, c’est la formation étatique, le centre politique, depuis la formation d’un groupe politique qui dirige un clan ou une tribu, jusqu’à l’État moderne complexe. Ensuite vient l’autre force qui est l’écriture, et l’usage de l’écriture, donc la constitution des clercs (...) S’opposant à la formation étatique, nous avons ce qu’on a appelé longtemps (...) les sociétés segmentaires – c’est-à-dire divisées en segments claniques ou tribaux – qui utilisent la généalogie, c’est-à-dire le lien de sang pour définir leur identité, leur mécanisme de solidarité (...) À l’écriture va s’opposer l’oralité, les cultures orales, un fossé que nous pouvons observer encore aujourd’hui, dans toutes les sociétés où l’oralité n’est pas encore totalement éradiquée. » En bref, M. Arkoun oppose donc les quatre facteurs, formation étatique, écriture, culture savante et orthodoxie, à la société fragmentaire, l’oralité et la culture populaire. « Aujourd’hui sociologiquement, notamment dans les pays arabes où les questions identitaires sont plus que brûlantes pour ces raisons-là, la culture populaire a laissé place à une autre forme dégradée de la culture populaire elle-même, et qui est la culture populiste (c’est cela l’analyse des identités) », explique M. Arkoun. « Cette culture populiste va, par sa base sociale très large, avoir la majorité par son discours de protestation et de contestation des formes d’identités représentées par des États alliés de l’ennemi occidental (c’est le langage d’aujourd’hui), ou bien des États laïcisés, qui sont donc l’ennemi de l’islam », toujours selon des expressions usitées.
L’identité humaine est-elle un obstacle ou plutôt un moteur pour la consolidation d’une société diverse ? C’est pour apporter des éléments de réponse à cette question, qui intéresse particulièrement le Liban, qu’une conférence-débat a été organisée au siège de l’Unesco à Paris, le 28 mars, par l’Association du dialogue interculturel et interreligieux...