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Entretien - Prônant une doctrine moderniste, le dignitaire religieux est très écouté à Najaf et Kerbala Fadlallah : Débarrassé du dictateur, l’Irak s’opposera aux nouveaux occupants(photo)

Premier à condamner toute collaboration avec les Américains contre le régime irakien, en août dernier, sayyed Mohammed Hussein Fadlallah suit de près les développements dans la région. Recours moderniste de la communauté chiite, le sayyed a passé près de la moitié de sa vie à Najaf et compte beaucoup de partisans là-bas. Son neveu, qui l’accompagne partout, raconte d’ailleurs non sans fierté qu’au cours du dernier pélerinage à La Mecque, en décembre, les chiites irakiens se précipitaient par centaines vers lui, pour lui dire « Vous êtes notre recours, le remplaçant de Mohammed Baker el-Sadr (assassiné par Saddam Hussein) ». Mais le sayyed, lui, refuse ce genre de commentaires, tout comme il ne se prononce pas sur les fatwas contradictoires de l’ayatollah Sistani, la plus importante figure chiite d’Irak. Pour lui, si les chiites n’ont pas résisté davantage, c’est qu’ils n’en avaient pas les moyens. « D’autant qu’ils étaient pris entre deux feux, celui d’un régime détesté et celui des envahisseurs étrangers. Mais maintenant, une longue résistance va commencer ». Son domicile, bien gardé, est aussi animé qu’une ruche. Les téléphones sonnent sans arrêt et les télés sont branchées en permanence. Mais le sayyed, lui, reste aussi calme qu’à l’accoutumée. Remis de son malaise, il cherche toujours à se situer au-dessus de la mêlée, refusant de se laisser entraîner dans les petites questions politiques. Il affirme ainsi ne pas avoir d’indications précises sur la situation à Kerbala, tout en reconnaissant que Najaf a été prise. Il ajoute qu’il est très difficile, pour l’instant, de se faire une idée précise de l’avenir de l’Irak. La population y est formée de différentes ethnies et confessions, de même qu’elle regroupe plusieurs courants politiques. C’est pourquoi, trouver une base commune pour les relations entre ces divers groupes exige beaucoup d’efforts et de planification. « Or, les considérations américaines qui ont permis la planification de cette guerre consistaient surtout dans la volonté d’encercler économiquement, politiquement et militairement l’Iran, d’exercer des pressions sur la Syrie et, bien sûr, d’étendre le contrôle américain sur toutes les ressources pétrolières de la région. L’objectif stratégique est de faire pression sur toutes les puissances du monde en contrôlant toutes les ressources pétrolières. C’est pourquoi je suis convaincu que le conflit entre les États-Unis et la Grande-Bretagne d’une part et le camp de la paix de l’autre va se poursuivre sur les intérêts de chaque partie. Nous avons déjà entendu les déclarations de plusieurs responsables américains qui disent que la France, l’Allemagne et la Syrie seront écartées des contrats de la reconstruction de l’Irak ». L’avenir de l’Irak reste inconnu Selon sayyed Fadlallah, tous ces facteurs auront un impact certain sur l’avenir de l’Irak « que les Américains souhaitent transformer en un prolongement de leurs bases dans les pays du Golfe, à partir duquel ils dirigeront la région. Tout cela ne pourra que déranger le peuple irakien. C’est pourquoi, à ce stade, l’avenir de l’Irak est ouvert à tous les vents ». Sayyed Fadlallah rejette les promesses américaines d’instaurer la démocratie dans ce pays et de libérer les Irakiens du joug du dictateur. « Ces propos avaient été déjà utilisés par les Britanniques en 1917 et nous avons vu la suite. Ils sont essentiellement destinés à s’attirer la bienveillance des populations simples ». Comment explique-t-il l’absence de résistance des chiites du Sud ? « Face à la plus grande puissance du monde et à son alliée aux moyens considérables, la Grande-Bretagne, les chiites ont résisté autant qu’ils l’ont pu. Il ne faut pas oublier que les soldats américains et britanniques tuaient délibérément les civils. Ils ont utilisé toute leur machine infernale et les gens étaient démunis. Il faut ajouter à cela que le peuple irakien était pris entre deux feux, entre un régime qui a détruit le pays, avec l’approbation des Américains, et une invasion étrangère. Saddam Hussein avait utilisé des méthodes atroces pour tuer ses opposants et le peuple irakien ne disposait d’aucune perspective pour le futur, qui le pousserait à tenir. Dans ces conditions, il ne pouvait plus résister à ce stade-là. Mais tout cela va changer ». Selon lui, le peuple irakien a déjà combattu l’occupant et tout son passé prouve qu’une force étrangère ne peut y rester longtemps. « Le peuple se reposera donc un an ou plus, mais il s’opposera ensuite au nouveau dictateur, même s’il a des allures de démocrate ». Sayyed Fadlallah est convaincu que le régime que pourraient instaurer les Américains ne devrait pas être très différent de celui de Saddam Hussein. « Les sunnites resteront la façade, mais les chiites auront un peu plus de droits ». Mais il précise qu’il n’est pas question qu’il se rende lui-même en Irak, tant que ce pays sera sous occupation américaine, même s’il reconnaît avoir des partisans sur place, où il est considéré comme un recours pour les chiites. « En tout cas, j’ai toujours essayé de travailler dans l’intérêt des chiites d’Irak. Nous n’appelons pas à la création d’un État chiite en Irak. Nous pensons qu’un État uni, où tous les citoyens seront égaux, est dans l’intérêt de toutes les communautés. » Et si l’Iran appuie la création d’un État chiite ? « Les Américains ne laisseront pas les Iraniens intervenir en Irak. Ce pays est différent de l’Afghanistan, où les chiites sont minoritaires et où les Américains avaient besoin de l’Iran ». Qu’en est-il des informations sur la mise en échec par la Syrie et l’Iran, à travers lui notamment, d’un projet de soulèvement chiite au sud de l’Irak, prévu dès les premiers jours de l’offensive anglo-américaine? « J’ai travaillé pour favoriser l’éveil du peuple irakien, afin qu’il prenne conscience que les Américains et les Britanniques le trompent en affirmant vouloir le libérer. Il ne faut donc avoir aucune confiance en eux ». Le cas du Hezbollah fait partie du conflit israélo-palestinien Sayyed Fadlallah en profite pour rendre un vibrant hommage à la France et à son président, Jacques Chirac, qui, dit-il, « nous donne le sentiment que le général De Gaulle est revenu. Il a ainsi réussi à vaincre diplomatiquement les Américains, au Conseil de sécurité, au nom du droit, malgré les relations stratégiques qui lient la France et les États-Unis. Mais c’est là toute la différence entre les relations d’un maître et de son suiveur et ceux d’alliés égaux ». Jusqu’où pourraient aller, selon lui, les pressions américaines sur la Syrie et l’Iran ? « Je suis convaincu qu’en définitive, les Américains ne pourront pas se passer des voisins de l’Irak pour la gestion future de ce pays, même s’ils ne veulent pas donner un rôle déterminant à l’Iran. Quant à la Syrie, elle leur demeure indispensable, même s’ils exercent des pressions sur elle. Celles-ci peuvent porter sur le volet syro-israélien, la présence et les activités des organisations palestiniennes à Damas, la résistance libanaise, l’intégrisme musulman... ». Mais si les États-Unis contraignaient la Syrie à renoncer à la carte du Hezbollah, cela ne lui permettrait-il pas de contrôler mieux la scène chiite libanaise ? « Je crois que le problème du Hezbollah fait partie du vaste conflit israélo-palestinien. Or, je ne pense pas que dans un avenir proche, le président Bush souhaite réellement régler ce conflit. Pour l’instant, il s’est contenté d’évoquer des grandes lignes, la fameuse feuille de route, sans préciser un mécanisme d’action. Il parle de négociations et les Israéliens s’engouffreront dans cette brèche, pour élaborer des conditions qui servent leurs intérêts. C’est pourquoi, les propos de Bush me paraissent destinés à sauver la face des alliés arabes des États-Unis, sans plus ». Mais ses relations avec le Hezbollah demeurent-elles conflictuelles ? « Nous n’avons aucun lien organique structurel. Nous faisons partie de la scène chiite libanaise. Mais en ce qui me concerne, c’est le peuple libanais dans son ensemble qui m’intéresse, ainsi que toutes les populations du monde, les déshérités, les opprimés et ceux qui luttent pour une vie plus décente. Depuis que je me suis lancé sur la scène publique, j’ai toujours voulu rester indépendant. Des divergences existent entre ma conception de la religion et celle des ulémas iraniens, mais elles ne dépassent jamais le stade doctrinaire ». Scarlett HADDAD
Premier à condamner toute collaboration avec les Américains contre le régime irakien, en août dernier, sayyed Mohammed Hussein Fadlallah suit de près les développements dans la région. Recours moderniste de la communauté chiite, le sayyed a passé près de la moitié de sa vie à Najaf et compte beaucoup de partisans là-bas. Son neveu, qui l’accompagne partout, raconte...