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Introduction à la vie des votes

Juxtaposer deux images : l’une, montrant des centaines de milliers de manifestants à Paris, Sydney, Rome, Madrid, San Francisco, Londres ou Séoul, et l’autre, zoomant sur des dizaines de milliers, à Beyrouth, Amman, Le Caire, Damas, Sanaa, Ramallah ou Saïda. Assimiler le dénominateur commun : une belle et formidable volonté de dire non à une guerre, d’en refuser la théorie, les justificatifs, l’exécution, les horreurs. Et puis prendre en pleine figure la différence : dans les villes du Proche-Orient – à Saïda par exemple, il y a deux jours – des nuées de personnes scandent le nom de Saddam Hussein, brandissent ses portraits comme ils l’auraient fait pour un Zorro, un prophète, un messie. Il y a là une totale et affligeante confusion des genres, un dangereux amalgame, de l’aveuglement, presque du négationnisme lorsque l’on pense aux crimes et aux massacres commis par le despote obscurantiste. La guerre menée par Washington contre l’Irak, insensée et inadmissible, orpheline parce qu’illégitime et illégale, avait pourtant, dans ses germes, quelque chose d’assez rare, une spécificité qui aurait pu vite dépasser la simple anecdote, rassembler un maximum de peuples. Pour une fois, tout était en place pour que l’on s’élève contre les deux camps. Contre l’unilatéralisme et la théocratie. Contre la tyrannie et l’idéologie. Contre ces quatre déclinaisons, plus ou moins graves, de la non-démocratie. Et de cette double opposition, à condition qu’elle eut été planétaire – si Londres, Madrid, Canberra, Varsovie et les autres n’avaient pas fait montre d’un désolant suivisme, si de nombreuses capitales arabes n’avaient pas étalé leur bien étonnante amnésie –, une troisième voie aurait pu naître, une nouvelle donne, une mondialisation autre. Alors comment faire comprendre aux Libanais, aux Arabes et, corollairement, à quelque trente pour cent d’Occidentaux, qu’il ne faut pas se tromper de cible ? Que la toute naturelle fin de non-recevoir qu’ils opposent à cette guerre fomentée, exigée, calculée par un illuminé, qui a réussi par l’esbrouffe à squatter le bureau ovale, ne doit pas équivaloir à un soutien au régime de Bagdad ? Qu’il ne faut pas confondre le peuple d’Irak, auquel doivent revenir toutes les aides, tous les appuis, toutes les manifestations, avec l’autocratie de Saddam ? Comment leur faire comprendre, aussi, que ce « non » ne doit absolument pas occulter le fait que sur une échelle de Richter sanctionnant de 0 à 10 la démocratie d’un pays, d’un régime, les États-Unis atteignent à peine un 7 alors que l’Irak stagne, depuis des décennies, sur le zéro ? Comment, enfin, leur dire qu’il n’y a absolument rien à voir entre cette démocratie yankee certes loin d’être idéale (mais où peut-on trouver une démocratie idéale ?) et la politique hégémoniste de l’Administration Bush ? Particulièrement singularisé en ces temps de crise planétaire, le monde arabo-musulman peut-il espérer, malgré tout, en profiter, confronté qu’il est aujourd’hui à l’image, terrifiante, pathogène, de son incapacité à digérer, assimiler, métaboliquement, ce concept – certes bien élastique – de démocratie ? Incapacité ou refus ? Le changement, l’évolution, ne peut certainement pas – c’est une évidence – être le résultat d’une croisière bushienne. Ni naître d’un quelconque dirigeant arabo-musulman : son installation sur un ersatz de trône est par trop confortable pour être abandonnée. Il reste les peuples. Dont la quasi-majorité se complaît, bien malheureusement, bien trop souvent, dans cet incroyable « Par notre âme, par notre sang, nous nous sacrifierons pour toi, ô... », ce don de soi de l’extrême qui englue les Arabes dans les trop moyennâgeuses oubliettes de l’histoire. Qui, quoi alors ? La société civile, les intellectuels, les étudiants ont sans doute aujourd’hui un beau défi à relever. Prouver, malgré les croyances immémoriales, que démocratie, arabité et islam peuvent s’avérer fort compatibles. Au contraire de la religion et de l’État... Mais ce n’est pas parce qu’ils sont incapables, visiblement, de sauter sur l’occasion pour (re)découvrir les bienfaits de la démocratie dans leur pays qu’Émile Lahoud, Rafic Hariri ou Nabih Berry doivent se croire exemptés du devoir, nécessaire, minimal – mille fois plus souhaitable que leur amour immodéré des guéguerres de petit pouvoir local –, d’être, face à leurs concitoyens, de simples mais indispensables objecteurs de conscience. De leur apprendre à faire la différence entre un peuple et (la politique de) son dirigeant. Qu’ils le fassent, et que cessent de fleurir, dans les rues de Beyrouth, les portraits triomphants d’un homme coupable des pires crimes contre son peupe d’Irak. Que cessent les slogans haineux, simplistes, un peu bêtes contre le peuple américain et son way of life. Que se multiplient plutôt les soutiens, concrets, au peuple irakien et que se multiplient les refus, les cris, contre la politique de George W. Bush et celle de Saddam Hussein. Ziyad MAKHOUL
Juxtaposer deux images : l’une, montrant des centaines de milliers de manifestants à Paris, Sydney, Rome, Madrid, San Francisco, Londres ou Séoul, et l’autre, zoomant sur des dizaines de milliers, à Beyrouth, Amman, Le Caire, Damas, Sanaa, Ramallah ou Saïda. Assimiler le dénominateur commun : une belle et formidable volonté de dire non à une guerre, d’en refuser la...