Rechercher
Rechercher

Actualités

Guerre en Irak - L’ancien ministre des Affaires étrangères estime que la bataille sera longue et coûteuse Boueiz : Une victoire militaire américaine ne pourra pas se traduire politiquement(photo)

Habitué à s’exprimer en toute franchise, même si cela peut déplaire à ses interlocuteurs, l’ancien chef de la diplomatie libanaise, M. Farès Boueiz, est tout étonné de rencontrer, même dans les villages reculés du Kesrouan, un appui à son point de vue sur la guerre en Irak, condamnant notamment les visées hégémonistes des États-Unis. « Les chrétiens semblent avoir tiré les leçons du passé. Ils ne croient plus aux bonnes intentions des Américains ». Ceux-ci auraient, selon lui, lancé cette campagne pour cinq enjeux, d’importance diverse, mais qui sont tous loin d’être dans l’intérêt des pays arabes. Malgré tout, il voit mal les États-Unis sortir grands vainqueurs de la guerre. « Ils pourront certes remporter une victoire militaire, mais ils ne pourront sans doute pas la traduire politiquement ». Ses nombreuses années à la tête du ministère libanais des Affaires étrangères ont laissé des traces sur lui. Farès Boueiz suit avec passion les bouleversements dans le monde. Son expérience, son sens de l’analyse et ses propres sources d’informations lui permettent de se faire une idée précise de la situation générale. Le député relève d’abord que les États-Unis n’ont cessé de changer le titre de cette guerre. Ils ont ainsi commencé par évoquer la nécessité d’ôter à l’Irak ses armes de destruction massive. Or, s’il faut en croire les inspecteurs de l’Onu qui parlent maintenant plus librement, de telles armes ne seraient plus en possession de l’Irak depuis longtemps. « De quelle démocratie parle-t-on ? » Les Américains ont ensuite parlé d’instaurer la démocratie en Irak. « Mais de quelle démocratie parle-t-on ? Une démocratie occidentale peut-elle être installée dans un pays qui ne l’a pas connue depuis 50 siècles (450 ans d’occupation ottomane, et le reste entre le mandat britannique et les coups d’État). Enfin, la démocratie peut-elle arriver sur les ailes des Tomahawk ? Sans oublier le fait que les régimes alliés des États-Unis dans la région ne sont pas forcément de grandes démocraties ». M. Boueiz se demande aussi si l’on peut installer une démocratie en Irak, tout en préservant l’unité de ce pays. « Parfois, ajoute-t-il, la démocratie n’est pas nécessairement le remède ». Mais, selon l’ancien ministre, même ce titre a été abandonné et aujourd’hui, les États-Unis ne parlent plus que d’un gouvernement militaire. Ils n’évoquent plus la possibilité d’organiser des élections libres et ils pensent surtout aux contrats de leurs compagnies. « Finalement, le titre retenu aujourd’hui se résume à faire tomber le régime de Saddam Hussein ». Selon l’ancien ministre, derrière ces changements de titres, se cache une volonté hégémonique de ceux que l’on appelle les néoconservateurs américains. « Cette guerre est dictée par cinq enjeux. D’abord, après la chute de l’URSS, ils souhaitent concrétiser le fait qu’ils sont la seule grande puissance. “Choc et stupeur” n’est pas seulement le titre de l’opération militaire, c’est aussi la situation dans laquelle devrait entrer le monde après cette guerre. Second enjeu, cette équipe souhaite mettre la main sur l’argent du pétrole, d’abord en réduisant le prix du baril puis en ramenant cet argent dans les caisses des compagnies américaines. D’ailleurs, l’empressement des Américains à protéger les puits de pétrole, alors que par ailleurs le peuple est massacré, en est la meilleure preuve ». Le troisième enjeu, serait, selon Boueiz, les considérations électorales de George W. Bush. « Après son élection faiblarde et les événements du 11 septembre, Bush pense que la guerre pourrait entraîner une réélection éclatante ». L’importance du facteur israélien Le quatrième enjeu, qui est, pour Boueiz, sans doute le plus important, est le facteur israélien. « Jamais le lobby juif n’a été aussi puissant au sein de l’Administration américaine. On a même créé des postes pour permettre à ses représentants d’influer directement sur les décisions. On n’avait jamais entendu parler d’un Conseil de la Défense, au ministère du même nom. C’est le poste créé pour M. Perle. En tout cas, à travers cette guerre, Israël a trois buts : détruire un État ennemi, ôter aux Arabes une de leurs cartes et liquider la cause palestinienne. Abou Mazen est déjà prêt pour cela ». Boueiz estime, à ce sujet, que ce que souhaiteraient imposer les Américains, sur pression israélienne, c’est un État palestinien qui comprendrait Gaza et 25 à 30 % de la Cisjordanie, après avoir renoncé à Jérusalem et au droit au retour des Palestiniens et qui n’aurait pas de souveraineté, puisqu’il n’aurait ni politique étrangère ni armée et que l’entité serait rattachée à un autre État, probablement la Jordanie. Pour faire accepter une telle solution, il faut donc briser toute velléité de protestation arabe. Enfin, l’ultime enjeu serait le halo messianique, Bush se croyant investi d’une mission. Pour toutes ces considérations, les États-Unis se sont donc lancés dans cette guerre, mais Boueiz estime qu’à ce stade, certaines données se sont avérées fausses : les Américains ont cru un moment ne pas devoir mener la guerre, en croyant que Saddam et sa famille fuiraient rapidement. L’armée irakienne ne s’est pas non plus effritée en un clin d’œil et les chiites du Sud ne se sont pas soulevés. Au contraire, toujours selon l’ancien ministre, le régime irakien est entré dans une nouvelle phase : la résistance et les opérations-suicide. La guerre passe ainsi par plusieurs étapes : celle des bombardements massifs, qui s’est avérée plus longue et plus coûteuse que prévu, et celle de l’entrée à Bagdad, devenue inévitable et qui entraînera forcément des combats de rues, dans lesquels la suprématie technologique ne jouera plus beaucoup. En d’autres termes, la guerre sera plus longue et coûteuse que prévu et si Bush finira par remporter une victoire militaire, le prix en sera tellement lourd qu’il ne pourra pas la traduire politiquement. D’autant qu’il faudra alors gérer l’après-Saddam. Comment maintenir l’Irak unifié, avec les huit à neuf millions de Kurdes qui veulent un État ? Et si on ne le leur donne pas, ils entreront en résistance. Mais si on le leur donne, c’est la Turquie qui sera en colère, avec ses huit millions de Kurdes, sans compter que la région de Kirkouk que les Kurdes convoitent renferme la moitié des réserves pétrolières de l’Irak. Ce serait d’ailleurs pourquoi, selon M. Boueiz, la Turquie n’a pas pu mettre en balance les 30 milliards de dollars promis par les Américains et sa propre unité. Pour la Syrie, un choix entre le mauvais et le pire Le second problème qu’affronteront les Américains sera le dossier chiite. Ceux-ci forment 60 % de la population irakienne. Accepteront-ils de ne pas être au pouvoir ou de ne pas avoir leur État ? À ce sujet, Boueiz estime que le président syrien aurait joué un grand rôle pour convaincre les dirigeants iraniens d’empêcher un soulèvement des chiites irakiens contre le régime de Saddam Hussein, d’abord pour éviter un démembrement de l’Irak et ensuite pour prolonger autant que possible la résistance des Irakiens pour éviter une victoire rapide des Américains. Car, alors, ceux-ci seraient en mesure d’imposer une paix conforme à la volonté israélienne dans la région. Selon Boueiz, la Syrie ne pouvait se désolidariser de sa réalité arabe. Mais même abstraction faite de l’idéologie nationaliste arabe, elle ne pouvait adopter une autre position pour des considérations réalistes : la liquidation de la cause palestinienne, l’encerclement par des régimes proaméricains, un remodelage de la région suivant des critères inconnus et en réponse aux intérêts d’Israël. La Syrie a donc choisi entre le pire et le mauvais, le pire étant la victoire rapide d’Américains sous la coupe d’Israël, le mauvais étant une victoire coûteuse qui empêchera les Américains de mener leurs projets à terme. Dans ce cas, le régime irakien aura sauté, mais la situation sera difficile à gérer et il y aura diverses résistances qui émergeront, et ce ne sera pas sur l’opposition irakienne actuellement unie contre Saddam, mais qui laissera éclater ses divisions lorsqu’il ne sera plus, que les Américains pourront compter. Boueiz ne pense pas que les Américains ont forcément prévu toutes les difficultés qu’ils pourraient affronter. « On s’est toujours basé sur ce genre de réflexion et souvent elle s’est avérée fausse. Les Américains sont isolés et connaissent mal ce qui se passe dans le monde. Kissinger l’a d’ailleurs écrit dans ses mémoires : le monde a toujours pensé que les tiroirs de la Maison-Blanche sont pleins de plans pour régler toutes les crises. En fait, Dieu seul sait combien de nuits nous avons passé à essayer d’établir des plans ou à modifier d’autres qui sont apparus inadaptés ». Boueiz n’écarte donc pas la possibilité que les États-Unis aboutissent à l’inverse de ce qu’ils ont souhaité, c’est-à-dire au lieu de la démocratie, l’exacerbation des fanatismes et donc encore plus d’extrémisme. « Aujourd’hui, le problème des régimes arabes est qu’ils ne vont pas aussi loin que le souhaitent leurs peuples. Et la démocratie tant vantée par les États-Unis, c’est avant tout le retour à la volonté populaire. C’est pourquoi, ces régimes qui seraient touchés par le remodelage américain me paraissent plus proches des États-Unis que ceux qui pourraient naître. Loin de moi l’idée de défendre ces régimes, mais la démocratie dans la région montrera surtout aux Américains la haine et la colère qu’ils inspirent aux populations. Une évolution graduelle est incontournable, sinon tout pourrait déraper ». Reste que cette guerre comporte encore beaucoup d’inconnues. Et Boueiz conclut avec cette phrase célèbre : « On sait comment commence une guerre, mais nul ne sait comment elle se termine. » Scarlett HADDAD
Habitué à s’exprimer en toute franchise, même si cela peut déplaire à ses interlocuteurs, l’ancien chef de la diplomatie libanaise, M. Farès Boueiz, est tout étonné de rencontrer, même dans les villages reculés du Kesrouan, un appui à son point de vue sur la guerre en Irak, condamnant notamment les visées hégémonistes des États-Unis. « Les chrétiens semblent avoir...