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Interview - Professeur de relations internationales à l’USJ, Élias Abou Assi, analyse les ambitions US au-delà de la guerre en Irak « Le nouvel ordre mondial est en train de naître »(photo)

Élias Abou Assi n’y va pas par quatre chemins pour analyser l’issue de la guerre en Irak : s’il s’agit d’une « guerre propre » – ce qui n’en a pas l’air jusque-là – au sens d’une opération chirurgicale visant le régime et les seules infrastructures de l’État et épargnant les populations civiles, les résultats ne peuvent qu’être bénéfiques pour les Américains. Parallèlement, affirme le professeur de relations internationales à l’USJ, si l’Administration US exerce des pressions sur Israël pour donner le feu vert à la fameuse feuille de route menant à l’établissement d’un État palestinien, « les péchés de la superpuissance seront littéralement pardonnés » et nous assisterons, au niveau mondial, à une pax americana. Si le contraire arrive, c’est-à-dire si la guerre piétine, entraînant des pertes collatérales, les Américains seront amenés à recomposer avec la réalité, notamment celle qui prévaut au sein du Conseil de sécurité où les autres membres seraient amenés à jouer à nouveau un rôle favorisant ainsi la multipolarité. Sinon, et en attendant que la guerre se décante en Irak, comment pouvons-nous qualifier le nouvel ordre international ? « Difficile de cerner le nouveau système international tant qu’il n’existe pas encore. Nous sommes précisément en train d’assister à sa naissance », affirme M. Abou Assi qui estime qu’il est quasi impossible, pour le moment, de définir le contour du nouvel ordre mondial encore en pleine mutation, même s’il a commencé bien avant la guerre déclenchée contre l’Irak. Pour l’instant, dit-il, ce qui apparaît clairement à l’horizon, c’est un nouvel ordre porté par l’hyperpuissance américaine dans lequel la démocratie et la force économico-financière en sont les garde-fous et les soupapes de sécurité. Si la guerre en Irak est un passage obligé vers ce nouvel ordre, il ne faut surtout pas se leurrer en croyant que cette épreuve se limite à la seule convoitise du pétrole, fait remarquer le professeur. Les velléités américaines vont bien au-delà, estime-t-il : « C’est l’ensemble de l’arc du cercle allant de la péninsule arabique (Golfe arabo-persique) à l’Asie centrale (mer Caspienne) que l’Administration US cherche à sécuriser, l’Irak n’étant qu’une partie de cet arc ». M. Abou Assi souligne que l’objectif des États-Unis est de maintenir une présence stratégique dans cette zone car, dit-il, « celui qui domine cette région domine le monde » et renforce sa position dans le nouvel ordre international. « Il s’agit des plus grandes réserves du pétrole et d’un grand marché potentiel. D’un autre côté, cet arc de cercle permet aux Américains de contenir, ou le cas échéant d’accompagner, la montée en puissance de la Chine », précise M. Abou Assi qui explique que par le fait même, la Russie sera tenue en respect, ainsi que les pays de l’Europe dans la mesure où les États-Unis contrôleraient ainsi les sources du pétrole et les voies d’approvisionnement. D’autant plus que la Chine est en voie d’industrialisation et que ses besoins en pétrole vont augmenter, sans mentionner ceux de l’Europe qui sont déjà bien connus, dit-il. Cette stratégie vise en outre à contrôler en même temps le centre névralgique de l’islamisme, une stratégie que la puissance US a commencé à mettre à exécution à partir de l’Irak, point stratégique dans une région qu’il entend dompter en la démocratisant. « N’est-ce pas la situation idéale que d’être présent physiquement dans cette partie du monde et de mettre en place des régimes amis » ?, s’interroge le professeur en précisant que c’est ainsi que l’ordre américain entend lutter – du moins dans un premier temps – contre le mal fondamentaliste. Sur le processus de démocratisation « promis » par l’Administration américaine dans la région, notamment en Irak, prétexte qui a d’ailleurs servi au déclenchement de la guerre, M. Abou Assi affirme : « La démocratie n’est ni une denrée, ni un produit qui s’exporte. C’est une culture, une volonté, une initiation. Il faut en outre tenir compte des spécificités religieuses de chaque pays » dit-il, en admettant qu’il faut toutefois commencer quelque part. Sans aller jusqu’à affirmer que le système international qui se dessine est un système « unipolaire », ou « unilatéral », pour le professeur de relations internationales, l’important est de savoir qu’un chapitre nouveau des relations internationales a commencé avec la fin de la bipolarité mais qui a coïncidé avec la première guerre du Golfe en 1991. Évoquant les deux dimensions « légale » et celle « des rapports de force », seules constantes qui ont marqué le cours des événements, il affirme que ce sont les rapports de force qui finissent toujours par dominer sur la scène internationale souvent aux dépens du droit. Preuve en est le malheureux exemple de la guerre d’Irak, où les États-Unis ont réussi « à tirer avantage d’un imbroglio juridique par le biais de la 1441 en s’arrogeant le droit d’interférer », dit-il. Face à une Amérique qui est parfois tentée de faire cavalier seul pour régler les affaires du monde, comment se dessine la carte de la planète ? « L’Europe à géométrie variable n’était déjà pas une formule efficace en soi. Que serait-ce alors si on y ajoutait une crise comme celle qui a précédé la guerre d’Irak et qui a achevé de creuser le fossé entre ce qu’on a appelé le camp de la paix et les alliés des Américains ? », s’interroge M. Abou Assi en expliquant que l’Union européenne n’arrive toujours pas à parler d’une seule voix. Selon lui, elle portera pendant longtemps les séquelles de cette crise transatlantique et de la guerre irakienne quelle qu’en soit l’issue. La Chine, pour sa part, doit surmonter des obstacles politiques et économiques de taille (intégration à l’OMC, la question de Taïwan etc.). Cela revient à dire qu’elle aura besoin de quelques décennies pour effectuer une montée en puissance sur la scène internationale. Pour la Russie, c’est toujours la traversée du désert qui sera d’ailleurs plus longue que prévu. Quant au Japon, véritable « usine de transformation », c’est sur les États-Unis qu’il doit compter pour assurer ses matières premières ainsi que sa survie économique, d’ailleurs « à moins d’être condamné au chômage », dit-il. Et de conclure qu’« aucun, parmi ces ensembles, ne peut à lui seul ébranler la suprématie américaine. Ils ne peuvent non plus le faire groupés parce qu’il existe des obstacles majeurs à un rapprochement stratégique entre l’Europe et les partenaires potentiels et ce, sur le double plan économique et géopolitique ». Jeanine JALKH Les décisions, fruit d’un compromis au sein de l’Administration américaine « Cela relève d’un simplisme pur et simple que d’attribuer la paternité de cette guerre (irakienne) à une seule personne, aussi influente et éminente fut-elle », affirme Élias Abou Assi. Faisant allusion à Paul Wolfovitz, le premier conseiller du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et grand stratège dont le nom a été relié au déclenchement de la guerre, M. Abou Assi souligne que le processus de décision est complexe et qu’il ne saurait être réduit à une seule personne. En cas de crise surtout, la décision est prise entre quatre protagonistes qui sont chapeautés par un président et un vice-président. Il s’agit du Pentagone, du département d’État, de la CIA (Central Intelligence Agency) et du Conseil national de sécurité. « La décision est mijotée selon un rapport de force ou un compromis entre les 4 protagonistes en faveur de l’une ou l’autre partie. C’est pourquoi on parle toujours de divergences pour ne pas dire de rivalités entre le Pentagone et le département d’État. En tout état de cause, c’est le président qui tranche », précise-t-il. C’est d’ailleurs un scénario semblable qui a eu lieu lors du déclenchement de la guerre, quand la première frappe a visé le bunker de Saddam Hussein. Il s’agit en fait d’une opération pratiquement « imposée » par la CIA, qui avait recueilli des informations sur les lieux où se trouvait le président irakien.
Élias Abou Assi n’y va pas par quatre chemins pour analyser l’issue de la guerre en Irak : s’il s’agit d’une « guerre propre » – ce qui n’en a pas l’air jusque-là – au sens d’une opération chirurgicale visant le régime et les seules infrastructures de l’État et épargnant les populations civiles, les résultats ne peuvent qu’être bénéfiques pour les...