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Opinion La guerre des hommes et la guerre des idées

Par Pascal MONIN Professeur à l’USJ « La guerre, c’est la guerre des hommes. La paix, c’est la guerre des idées », écrivait Victor Hugo. C’est un véritable duel que se livrent aujourd’hui la France et les États-Unis. À la logique d’une « guerre préventive » est venue s’opposer la logique de paix et du droit international. L’issue de cette bataille diplomatique est scellée, les États-Unis sont déterminés à s’engager dans un conflit armé en Irak en dehors de l’Onu et de la légitimité internationale. Conflit dont on ne peut présager ni des conséquences ni des prolongements, ni même de la fin comme toute aventure militaire. Par contre, ce dont nous sommes sûrs, c’est que cette guerre va non seulement entraîner ses lots de destructions, de morts, de réfugiés et d’horreurs, mais aussi va représenter un grave tournant dans l’histoire de l’humanité. Les États-Unis s’apprêtent à appliquer la doctrine de la prévention qui bouleverse la conception traditionnelle de l’autodéfense et est en contradiction flagrante avec la charte de l’Onu. Mais pourquoi les Américains veulent-ils aller jusqu’au bout de cette logique ? Comment sommes-nous passés d’une logique de désarmement à une logique de guerre ? C’est bien un principe impérial qui définit la politique américaine aujourd’hui. Aucune nation n’a été aussi dominante culturellement, technologiquement, militairement et économiquement depuis l’empire romain. Les États-Unis ont des troupes aux quatre coins du monde. Leurs intérêts sont planétaires. Ils tirent les ficelles partout et sont devenus le principal organisateur du monde contemporain. La guerre contre l’Irak traduit cette réalité de l’hyperpuissance incontestée que la notion même d’empire ne suffirait plus à définir et qui n’a plus à s’encombrer ni de coalitions ni de droit international... Un empire, c’est une ambition, c’est une satisfaction de soi et un prosélytisme qui risquent d’entraîner le monde trop loin. C’est une « guerre de l’axe du bien contre l’axe du mal » qui est proclamée par le président américain. Voici donc l’affrontement présenté en termes moraux et en un concept simpliste. Pour Georges Bush et son équipe, la victoire de l’an 2000 n’est pas le fruit du hasard mais la volonté de la divine providence. Ils se croient donc investis d’une mission sacrée : apporter au monde la liberté, la démocratie et le libéralisme ! Fort de ses convictions, croyant en son messianisme et soutenu par des conseillers conservateurs, voire fondamentalistes pour certains, le président Bush va donc rapidement déclencher les hostilités avant de lasser son opinion et de compromettre les chances de sa réélection. Au-delà du renversement de Saddam Hussein, c’est donc l’avenir du Moyen-Orient qui est en jeu. La victoire du bien sur le mal certes, mais aussi en finir avec le conflit israélo-arabe et la deuxième intifada, protéger Israël et lui assurer sa sécurité, s’assurer la mainmise sur une des régions les plus riches en pétrole et surtout sortir de la récession et du marasme économique que connaissent les États-Unis : voici les vraies raisons de la guerre. On ne peut donc se passer d’explications économiques pour justifier le déclenchement de ce conflit. Guerres et cycles économiques sont étroitement liés, et la guerre en Irak vient à nouveau renforcer cette thèse. Face à cette détermination américaine, la conjonction des efforts de la France, marqués par une intervention remarquable de son ministre des Affaires étrangères à l’Onu, la diplomatie du Vatican et les millions de manifestants à travers le monde, sont venus rappeler à l’Administration américaine l’existence d’un droit international et la naissance d’une sorte de citoyenneté planétaire. C’est un moment unique de l’histoire où, à travers la planète, un front antiguerre, sans précédent, s’est constitué. De New York à Bagdad en passant par Paris, Londres, Rome, Berlin, Madrid, Le Caire ou Melbourne, des millions de voix ont dit non à la guerre. C’est la première fois que l’opinion publique internationale manifeste aussi massivement et de façon unitaire pour la paix. Dans cette période d’incertitudes, cet élan spontané, cette formidable solidarité des peuples est un magnifique espoir pour l’avenir, pour l’après-guerre, et une réponse claire à la théorie du choc des civilisations et des cultures. C’est un des rares moments comme on en connaît peu dans l’histoire des peuples. Ce mouvement déborde largement du cadre traditionnel du pacifisme ou de l’antiaméricanisme. C’est un ultime défi lancé à la guerre et aux dirigeants bellicistes. Le président Chirac s’est retrouvé en phase avec cette opinion pour éviter les ravages de la guerre. Car, au-delà de ses intérêts pétroliers et politiques, la position de la France est un formidable rejet de cette vision unilatérale du monde. La France, fidèle à son humanisme et aux principes des droits de l’homme, mène, avec principalement l’Allemagne, la Russie et le Vatican, ce combat pour que le droit international ne se réduise pas à la raison du plus fort. C’est une question de principe, la France n’a pas cédé. Jacques Chirac vient de marquer l’histoire de son empreinte. Fidèle à la conception gaullienne des affaires du monde, il a plus que quiconque su faire bouger les lignes et transcender les différents clivages. La France a fait clairement le choix de la paix et s’y tient. Même si le conflit est devenu inéluctable, Chirac tout comme Jean-Paul II sont des artisans de la paix recherchant la justice, le respect du droit international et le respect du multilatéralisme. L’histoire leur donnera raison. Cependant, de nombreuses incertitudes demeurent quant aux conséquences de cette guerre asymétrique caractérisée par une disparité et un déséquilibre des potentiels. L’enlisement n’étant pas à exclure, la guerre sera-t-elle longue ou de courte durée ? L’avenir politique de Tony Blair ou de José Maria Aznar, voire de Georges W. Bush, ne se joue-il pas actuellement ? Le remodelage du Moyen-Orient va-t-il se réaliser selon les plans de Washington ? Va-t-on assister à l’éclatement de l’Irak et d’autres pays de la région puis au règlement du conflit israélo-arabe ? Quelles seront les retombées du bras de fer que se livrent la France et les États-Unis ? Quel avenir pour la construction européenne et le rôle des futurs États membres ? Quelle place restera t-il à l’Onu et au Conseil de sécurité dans la gestion des affaires du monde ? Qu’en est-il de l’avenir de l’Otan ? Les retombées de la fin de la guerre froide et de la disparition de l’URSS sur les relations internationales, sur le fonctionnement de l’Onu et de ses institutions qui n’ont pas eu lieu dans les années 1990 vont, semble-t-il, trouver leur traduction en ce début du XXIe siècle. « La vie est un récit insensé fait de bruit et de fureur déclamé par un acteur fou », écrit William Shakespeare. Il ne fait plus de doute que les États-Unis sortiront vainqueurs de ce conflit. Mais se pose déjà le problème de l’après-guerre. Sauront-ils gagner la paix ? Rien n’est moins sûr.
Par Pascal MONIN Professeur à l’USJ « La guerre, c’est la guerre des hommes. La paix, c’est la guerre des idées », écrivait Victor Hugo. C’est un véritable duel que se livrent aujourd’hui la France et les États-Unis. À la logique d’une « guerre préventive » est venue s’opposer la logique de paix et du droit international. L’issue de cette bataille...