Rechercher
Rechercher

Actualités

Réfugiés - Une grande misère et un avenir aléatoire Les chiites irakiens installés au Liban ne rêvent que du départ de Saddam Hussein

Ils seraient près de 40 000, mais ne sont pas encore officiellement répertoriés, ni reconnus comme une communauté. Les Irakiens du Liban sont essentiellement des réfugiés, attendant un éventuel départ vers un pays d’accueil, ou des clandestins qui survivent plutôt mal que bien, sans trop savoir que faire de leur avenir. Depuis quelques semaines, chaque nuit amène son lot de nouveaux venus, croyant avoir atteint la terre promise et qui découvrent les affres de la misère, de l’humiliation et de la clandestinité. Le plus souvent, ils ont tout vendu chez eux et, riches de quelques centaines de dollars, ils croient pouvoir acheter le monde, mais découvrent les limites de leurs moyens, en même temps que la désillusion. Leur seul espoir ? Le départ de Saddam Hussein dont, même à des centaines de kilomètres, ils prononcent le nom en tremblant. De prime abord, on dirait un jeune comme les autres : cheveux plaqués au gel, jeans moulant et lunettes cerclées de noir, mais Amir a bientôt la trentaine et, sous son look « in », il cache des années de souffrances et d’épreuves. Aujourd’hui, fort de sa carte de réfugié donnée par le HCR et d’une promesse d’acceptation au Canada, il se veut le « coordonnateur » de la communauté irakienne du Liban. Il connaît presque tous ses compatriotes et passe son temps dans les rues pour chercher les nouveaux venus et les aider. C’est lui d’ailleurs qui nous pilotera auprès des familles, les poussant à parler sans crainte. Son histoire pourrait faire l’objet d’un roman. Mais, dans son cas, la réalité dépasse la fiction. Rapatrié en 2001, il revient au Liban en 2002 Sa famille, chiite, était traditionnellement proche de sayyed Mohammed Baker el-Sadr, assassiné par le régime irakien en 1998. Son père a été arrêté dans la foulée et, selon Amir, n’a été libéré que pour mourir 12 jours plus tard, le régime essayant sur les détenus ses armes chimiques. Il a lui-même été arrêté pendant plusieurs mois et il raconte avoir été contraint à respirer du citron et de l’acide mélangés, bouillis, d’où ses problèmes de vue et son asthme chronique. Il est donc venu au Liban, en 1999. Le HCR lui ayant refusé le statut de réfugié, il a été rapatrié par les autorités libanaises et syriennes, avec un lot de 24 autres Irakiens vers le Kurdistan irakien. Et là, ils ont connu une nouvelle tragédie. D’abord, il y a deux camps rivaux, celui du parti de Massoud Barazani, qui, selon Amir, passe des accords en douce avec le régime irakien, notamment pour faire passer le pétrole en Turquie et celui de Jalal Talbani, dont le but serait de supplanter le premier. Les 25 réfugiés ont été emprisonnés trois mois par chaque camp, avant d’atterrir ensuite dans une sorte de no man’s land truffé de mines. Ils étaient si pauvres qu’ils n’avaient plus d’autre moyen de survie que de vendre leur sang sur le trottoir. C’est là que la Croix-Rouge les découvre et décide de défendre leur cause auprès du HCR. Amir a les yeux embués en évoquant cette période de sa vie, sans conteste la pire. Il a donc été renvoyé au Liban, via la Turquie, mais cette fois, muni de sa carte de réfugié, il veut désormais aider ses compatriotes, en attendant ses papiers pour le Canada. Sa grande tristesse est d’avoir laissé sa femme et ses deux enfants dans un camp de réfugiés au nord de l’Irak, mais il espère pouvoir les appeler auprès de lui, au bout de quelques mois. L’histoire d’Amir permet deux constatations : lorsque le Liban rapatrie les Irakiens vers le nord du pays, sous prétexte que là, ils sont hors de portée du régime, il les plonge aussi, surtout s’ils sont chiites, dans un nouvel enfer. Ensuite, la fameuse expérience des Kurdes au nord de l’Irak semble loin d’être aussi idyllique que ne le prétendent les Américains. On serait donc bien loin d’une véritable démocratie et les chiites d’Irak sont désormais la communauté la plus persécutée du pays. Tout perdre, y compris la dignité C’est aussi l’avis d’Aminé, une femme aux mains lisses et soignées qui vit une dépression après l’autre, ne parvenant pas à supporter sa misère actuelle. Originaire de Bassorah, la grande ville chiite du sud de l’Irak, elle et son mari sont aussi des partisans du leader chiite assassiné, Mohammed Baker Sadr. En 1991, son mari a d’ailleurs été arrêté et depuis, à la moindre crise, il était chaque fois interpellé. En Irak, selon Aminé, « si vous n’êtes pas membre du parti Baas (elle prononce ce nom comme un crachat, tant sa rancœur est grande), vous n’êtes rien. Et nous n’étions rien. Mon mari est avocat, il ne pouvait pas travailler. Je suis professeur de mathématiques, niveau bac et j’étais constamment surveillée par mes collègues. On m’imposait les notes que je devais mettre à mes élèves. Nous n’osions jamais parler ouvertement, même devant nos enfants. Beaucoup de parents ont été arrêtés sur un mot de leurs enfants. Personne ne peut imaginer une telle situation. En 2001, la sécurité est venue chez moi, à la maison. Mon mari était absent. Je lui ai fait parvenir le message de ne pas rentrer et nous avons pris alors la décision de partir. Nous sommes arrivés à Beyrouth en août 2001, croyant atteindre le bon port. Mais nos maigres réserves ont vite fondu et nous n’arrivons pas à trouver du travail. J’ai fait la tournée des écoles proposant mes services en contrepartie de l’admission de mes 5 enfants, en vain. Personne ne se soucie de notre sort. Je peux tout faire sauf les ménages, mais nul ne veut de moi. Ma fille de 13 ans a une tumeur et je n’ai pas les moyens de la soigner. Heureusement Caritas s’est proposée pour nous aider pour les soins médicaux. Mais nous n’avons pas de ressources et le HCR a refusé de nous accorder le statut de réfugiés... Quel avenir pour nous et nos enfants ? Notre seul espoir aujourd’hui est dans le départ de Saddam Hussein ou le changement du régime. Vous ne savez pas ce que c’est de tout perdre, y compris la dignité ». Aminé pleure et il n’y a pas de mots pour la consoler. Pour elle, les chiites d’Irak sont comme les damnés de la terre. « Qu’avons-nous donc fait pour mériter une telle souffrance ? » lance-t-elle entre deux sanglots. Même le portrait de Mohammed Baker Sadr collé sur le mur ne lui est plus d’aucun secours, mais elle veut quand même croire qu’un jour, la vie sera plus clémente avec ses enfants, à Bassorah, peut-être, ce site paradisiaque, tant convoité. Scarlett HADDAD
Ils seraient près de 40 000, mais ne sont pas encore officiellement répertoriés, ni reconnus comme une communauté. Les Irakiens du Liban sont essentiellement des réfugiés, attendant un éventuel départ vers un pays d’accueil, ou des clandestins qui survivent plutôt mal que bien, sans trop savoir que faire de leur avenir. Depuis quelques semaines, chaque nuit amène son lot de...