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Dialogue - Le dégel entre Bkerké et Damas laisse espérer un nouveau départ Des « relations privilégiées » aux relations équilibrées ?

Les indices précurseurs d’un nouveau dégel syro-chrétien étaient signalés depuis un certain temps. Des signaux discrets ont, semble-t-il, été envoyés de part et d’autre, loin des feux de la rampe, pour ouvrir la voie vers cette détente. Il aura fallu le dernier communiqué de l’Assemblée des évêques maronites, rendant hommage au discours du président Bachar el-Assad à Charm el-Cheikh, pour que ce qui apparaît comme un processus en bonne et due forme se manifeste au grand jour. Le président syrien aurait fait transmettre au patriarche maronite sa profonde gratitude concernant cette prise de position. Et d’ores et déjà, il est question d’une nouvelle initiative hautement symbolique qui ne manquera pas d’accélérer le dégel en gestation. Au stade actuel, une question fondamentale se pose : la volonté d’ouverture de Damas en direction de Bkerké est-elle uniquement l’expression d’un calcul tactique imposé par les contraintes régionales du moment ou bien est-elle, cette fois-ci, le fruit d’une réelle option stratégique s’inscrivant dans le sillage d’un rééquilibrage plus global des rapports entre les deux pays ? À un moment où un nouvel ordre géopolitique semble poindre à l’horizon au Moyen-Orient, a-t-on enfin pris conscience de la nécessité impérieuse de repenser (dans toute l’acception du terme) les relations entre Libanais et Syriens, et plus particulièrement entre Damas et les chrétiens, de manière à les redéfinir dans une perspective historique, en tenant compte des appréhensions, des attentes et des intérêts bien compris de chaque partie concernée ? Ce n’est que dans ce dernier cas de figure que l’opération de charme en cours présentera un intérêt certain. Mais pour rectifier le tir, un élément clé, un paramètre essentiel, s’impose : le rétablissement de la confiance. Cela reviendrait à prendre un faux départ si, une fois de plus, on s’obstinait à s’enivrer de discours creux et à pratiquer la politique de l’autruche. Un remède administré à la hâte peut s’avérer totalement inefficace si on se trompe de diagnostic. Force est de reconnaître donc que les dix dernières années ont constitué un très lourd passif dans les relations entre la Syrie, d’une part, et une très large fraction des Libanais chrétiens – Bkerké en particulier –, mais aussi certains responsables musulmans, d’autre part. Il faudra beaucoup de gestes symboliques, et surtout beaucoup d’autres initiatives fondamentales dépassant le cadre du symbole pour remonter progressivement la pente. Si l’objectif recherché est d’ouvrir véritablement une nouvelle page dans ces rapports bilatéraux, il est impératif – on ne le répétera jamais assez – d’envisager des mesures concrètes, des démarches solides, afin de retrouver la confiance perdue (ce que les anglophones appellent « Confidence Building Measures » ). En pratique, les divers courants de l’opposition chrétienne sont sans doute appelés aujourd’hui à apporter la preuve, dans leur comportement politique, que l’ère de l’antisyrianisme primaire est révolue. Ils se doivent de convaincre l’autre partie que le Liban n’est pas, et ne sera pas, le ventre mou de la Syrie. À cet égard, si nous nous trouvons véritablement face à une volonté politique syrienne de redresser la situation sur des bases durables, le donquichottisme excessif de certains risque d’avoir un effet contre-productif. En contrepartie, ce serait commettre encore une fois une grave erreur que de vouloir imposer à ceux qui représentent réellement la sensibilité chrétienne un discours politique contre nature, façonné sur mesure. Le fond du problème dans nos rapports avec Damas réside sans doute dans le fait que les dirigeants syriens, de même d’ailleurs que les Libanais eux-mêmes, n’ont jamais su (ou voulu) établir une nette distinction entre le rôle d’un allié et celui d’un vassal. Vouloir établir des « relations privilégiées » entre les deux pays ne signifie pas nécessairement qu’il faut se soumettre à l’idée d’une satellisation du Liban et s’accoutumer au phénomène de réflexe pavlovien qui caractérise souvent le comportement et les prises de position quotidiennes de certains de nos responsables. Dans ce contexte, la notion même de « relations privilégiées » mériterait d’être repensée. Dans la mesure où celles-ci n’étaient conçues qu’à sens unique, elles devraient sans doute être remplacées par la notion de « relations équilibrées ». Pour construire l’avenir, les responsables des deux pays se doivent, plus que jamais, d’enclencher un véritable travail de fourmi, de tisser des liens basés sur des intérêts réciproques, ponctuels, quotidiens, prenant en considération les impératifs et les doléances de chaque partie. Le partenariat euro-méditerranéen offre, soit dit en passant, le cadre idéal à une telle approche. Il reste que pour que l’ensemble de ce processus puisse être mené à bien, il est impératif que le Liban, et plus précisément le camp chrétien, soit doté d’une classe politique crédible et véritablement représentative des aspirations des diverses composantes de la population. Si la méfiance a atteint un degré aussi avancé dans les rapports avec Damas, c’est sans doute parce que le régime syrien s’est employé au cours des dix dernières années à imposer aux Libanais, et plus particulièrement aux chrétiens, un establishment politique dans son écrasante majorité en totale dissonance avec la base populaire ou, au mieux, systématiquement neutralisé et rendu incapable d’influer sur le cours des événements et de refléter les aspirations de l’électorat. Pour établir des relations saines et solides avec le Liban, la Syrie a besoin avant tout de pouvoir traiter avec des leaders bénéficiant d’une légitimité incontestable, et donc capables de faire évoluer les mentalités et de surmonter les blocages psychologiques du passé. Elle ne peut s’appuyer dans cette entreprise sur une classe politique qui, à quelques exceptions près, est réduite à un statut de vassal ou ne survit que parce qu’elle est profondément corrompue. Le président Bachar el-Assad s’est lancé chez lui dans une délicate opération de lutte contre la corruption. L’expérience des dernières années a montré que la corruption est contagieuse. Elle étend souvent des ramifications qui dépassent les frontières. Vouloir établir un climat de confiance réciproque en continuant à miser, au Liban, sur un establishment rongé par la corruption et dépourvu de toute légitimité relèverait d’une pure chimère. L’histoire a souvent prouvé que c’est avec des leaders crédibles auprès de leur opinion publique qu’il est possible de dépasser des situations conflictuelles, de construire l’avenir et d’établir des alliances équilibrées et, par conséquent, durables. Michel TOUMA
Les indices précurseurs d’un nouveau dégel syro-chrétien étaient signalés depuis un certain temps. Des signaux discrets ont, semble-t-il, été envoyés de part et d’autre, loin des feux de la rampe, pour ouvrir la voie vers cette détente. Il aura fallu le dernier communiqué de l’Assemblée des évêques maronites, rendant hommage au discours du président Bachar el-Assad...