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Moi démocratiser you !

Comprenne qui pourra : les Turcs sont les alliés stratégiques des États-Unis, ils détestent Saddam Hussein, lorgnent sur les pétroles de Mossoul, brûlent d’aller désarmer l’entité autonome kurde irakienne jouxtant leur frontière, ils ont un besoin pressant de l’assistance économique promise par les États-Unis. En un mot, les Turcs ont 26 milliards de bonnes raisons d’y aller, mais voilà soudain que pour le principe, pour l’honneur, par respect des institutions et de leur opinion publique massivement opposée à la guerre, ils trouvent moyen de refuser aux GI’s l’accès de leur territoire. Ce n’est peut-être là que partie remise, puisque les généraux sont là – avec la bénédiction de Washington bien sûr – pour imposer un nouveau vote, positif cette fois, au Parlement. Mais en attendant, c’est une bien piquante leçon de démocratie que vient d’administrer à l’insupportable donneur de leçons américain une démocratie turque pourtant toute relative. Les dirigeants arabes eux aussi détestent Saddam Hussein, même s’il est absolument vrai que ce n’est guère leur fibre démocratique qui les porte à de tels sentiments ; mais leur désunion a atteint de tels abîmes qu’ils sont incapables de se retrouver sur autre chose que des mots : et éventuellement des gros mots, comme ceux échangés à Charm el-Cheikh par le Libyen Kadhafi et le Saoudien Abdallah. Le tout récent sommet n’a fait que confirmer ce fait désespérant : pas plus que les souffrances endurées par les Palestiniens en butte depuis des mois à la furia israélienne, la perspective du séisme annoncé n’a pu inciter les États de la Ligue à sortir de leurs léthargiques émois et frayeurs. Plus encore que le fracas de la guerre ce sont les ondes de choc de l’après-guerre qui épouvantent les chefs arabes, mais tous n’ont pas peur de la même façon. Il y a ainsi ceux qui, comme le Koweït miraculeusement rescapé en 1991 d’entre les griffes de Saddam, réclament tout haut la tête du Raïs irakien. Il y a ensuite ceux qui, tout en accueillant sur leur sol l’armada américaine, s’escriment à donner le change en prônant tantôt la négociation dans le cadre de l’Onu, tantôt un départ en exil de Saddam. Particulièrement délicate, sur ce plan, est la position des deux royaumes saoudien et jordanien. Les attentats du 11 septembre 2001 de Washington et New-York ont jeté un froid sur les relations traditionnellement étroites entre les États-Unis et l’Arabie, puisque la plupart des terroristes des airs étaient des ressortissants saoudiens et qu’il est vite apparu qu’une bonne partie des largesses caritatives des émirs aboutissaient dans l’escarcelle d’Oussama Ben Laden. En se préparant à prendre pied durablement en Irak dont les réserves de pétrole ont peu à envier à celles du royaume wahabite, en poussant à la libéralisation d’un système saoudite qui, depuis trois quarts de siècle, repose sur une sainte alliance entre la famille des Saoud et le clergé wahabite, les Américains ne font guère secret de leur intention de marginaliser leur allié des beaux jours, dont la fiabilité a été prise en défaut. Quant à la Jordanie qui lors de la première guerre d’Irak avait joué le mauvais cheval, elle file doux cette fois ; mais on peut se demander si de se ranger résolument sous la bannière étoilée mettra effectivement le trône hachémite à l’abri des éventuelles secousses internes et des menées de la droite israélienne qui rêve de déporter en masse vers la Jordanie, déjà peuplée aux deux tiers de Palestiniens, les habitants des territoires autonomes. À l’autre bout du spectre arabe, c’est le cas de la Syrie qui est le plus remarquable. En s’associant il y a douze ans – de manière plutôt symbolique, au demeurant – à l’expédition internationale contre l’Irak, ce pays n’avait pas grand-chose à perdre et beaucoup à gagner, notamment un très lumineux feu vert américain à sa prise en charge de tout le Liban. Si carotte il y a, elle n’est guère visible cette fois. Et même si pour l’heure le bâton n’est pas trop voyant non plus, les astreintes et contraintes de l’après-guerre sont légion. Bien que sa franche coopération en matière de lutte contre le terrorisme religieux lui ait valu les éloges de Washington, Damas abrite diverses organisations radicales palestiniennes jugées elles aussi éminemment terroristes et soutient le Hezbollah libanais, objet de la même accusation. Au plan strictement interne, le président Bachar el-Assad pourrait se voir inviter à concrétiser sans délai les tendances libérales qu’on lui prête depuis, en base de cette équation toute simple aux yeux des Américains : comment un Irak débaassisé à outrance pourrait-il côtoyer longtemps une Syrie immuablement baassiste ? Tous ces paradoxes, toutes ces contradictions sont loin d’être exclusivement arabes et c’est à l’Administration Bush que revient indiscutablement la palme de l’incohérence : une incohérence non point subie, dictée par le cours des évènements comme c’est le cas pour la plupart des pays du Proche et du Moyen-Orient, mais codifiée, érigée en doctrine par les stratèges illuminés de Washington. Car voici une superpuissance qui, pour châtier un Irak resté sourd aux injonctions de l’Onu, se dit prête à se passer de l’assentiment de la même Onu. Qui s’indigne qu’un veto puisse être opposé à ses ardeurs guerrières alors qu’elle n’a cessé, des décennies durant, d’user et d’abuser de cette procédure pour bloquer toute résolution défavorable à son protégé israélien. Qui, au nom du prosélytisme démocratique, s’apprête à se muer en occupant et qui attend des potentats de la région qu’ils l’épaulent dans son dessein ce qui, pour eux, reviendrait à scier la branche sur laquelle ils sont perchés. Et qui, par stupidité ou alors par malveillance, fait de la démocratisation de l’Irak le préliminaire d’un réglement pacifique au Proche-Orient : l’inverse étant vrai, non seulement pour l’Irak mais pour tous les pays de la région. D’être l’unique superpuissance ne donne pas droit seulement, hélas, à la folie des grandeurs. Voici venu le temps de la superfolie. Issa GORAIEB
Comprenne qui pourra : les Turcs sont les alliés stratégiques des États-Unis, ils détestent Saddam Hussein, lorgnent sur les pétroles de Mossoul, brûlent d’aller désarmer l’entité autonome kurde irakienne jouxtant leur frontière, ils ont un besoin pressant de l’assistance économique promise par les États-Unis. En un mot, les Turcs ont 26 milliards de bonnes raisons...