Rechercher
Rechercher

Actualités

Atteintes au domaine fluvial, déchets accumulés, négligence officielle... L’emprise de l’homme sur son espace n’est pas étrangère à la gravité des dégâts causés par la tempête

La nature, qui subit si souvent l’emprise des hommes, reprend, un jour ou l’autre, ses droits. C’est peut-être la grande leçon à tirer des dégâts causés par la violente tempête qui frappe actuellement le Liban. Le déchaînement des intempéries ne va jamais sans ennuis pour les hommes, mais il s’avère, à première vue, que l’impact du mauvais temps a été grandement aggravé par des problèmes résultant de la mauvaise gestion qui sévit encore dans le pays : les atteintes au domaine public fluvial, les déchets qui polluent le lit des fleuves, la déforestation qui pourrait être l’une des causes majeures des grands éboulements observés dans les différentes régions... sans compter l’extraordinaire fragilité de l’infrastructure routière, révélée par les trombes d’eau qui se sont abattues sur le Liban ces derniers jours. Ainsi, au-delà du drame social représenté par la perte de la quasi-totalité des récoltes de la majorité des agriculteurs libanais, des lacunes considérables dans le domaine de la gestion des ressources et de l’urbanisation ont été révélées au grand jour par les pluies diluviennes. « Gouverner, c’est prévoir. » Abdallah Zakhia, militant des droits de l’homme et de la protection de l’environnement, cite ce dicton pour mieux illustrer les impressions que lui ont laissées les images d’inondations et d’éboulements de ces derniers jours : « Cette tempête a mis à nu la mauvaise gestion et la politisation à outrance d’administrations chargées de s’occuper de certains aspects techniques. Il y a un non-respect des lois les plus élémentaires de l’environnement et de l’urbanisme : les habitations se lézardent, les routes s’effondrent par manque de murs d’appui, des jetées sont détruites sur le littoral, etc. Partout, il est évident que l’avis des spécialistes est négligé lors de la réalisation des projets. » Le premier problème rendu évident par la pluie incessante est celui des déchets qui se sont accumulés dans les lits des fleuves, gênant les cours d’eau et aggravant les inondations. « Les cours d’eau n’ont pas été en mesure d’absorber la quantité exceptionnelle de pluie qui s’est abbattue sur le pays, notamment dans la Békaa qui se trouve entre deux chaînes de montagnes », explique Ali Darwiche, ingénieur agronome et vice-président de l’association écologique Green Line. « Depuis des années, les riverains et les usines jettent leurs déchets dans les fleuves sans aucun contrôle. On ne s’est aperçu de la catastrophe que dans les conditions météorologiques extrêmes. Or, aujourd’hui, les dégâts sont considérables parce que les cours d’eau, avec un débit beaucoup plus fort, transportent ces déchets d’un endroit à l’autre, les acheminant jusqu’au lac artificiel de Qaraoun dans la Békaa, et ailleurs, jusque dans la mer. » Le changement du cours des fleuves par les hommes est, selon M. Darwiche, particulièrement grave. « C’est un problème qu’on a également observé en Europe, dit-il. Quand on modifie le paysage et le chemin emprunté par l’eau, quand il devient plus court, par exemple, il y a des étranglements qui ont lieu, d’où l’aggravation des inondations. » « Le problème, c’est qu’il n’y a aucune gestion du domaine fluvial », dénonce Jalal Halwani, expert en hydrologie et membre du conseil de l’Université libanaise. « Dans les villages, il n’y a aucune gestion des ressources naturelles, notamment hydrauliques. Quand les ministres de la cellule de crise se sont rendus dans la région du Litani pour constater les dégâts causés par la tempête, ils sont tombés des nues à la vue des agressions contre le domaine public fluvial, pourtant perpétrées, au vu et au su de tous, depuis des années... » Ces agressions, qui couvrent près de 10 millions de mètres carrés de surface dans tout le Liban, provoquent aujourd’hui de véritables drames sociaux. Des habitations construites trop près des cours des fleuves se trouvent aujourd’hui entourées par les eaux. À l’insouciance populaire est venue s’ajouter la négligence officielle de la mise en place de règles d’urbanisme dans les régions. « Si l’on avait équipé les fleuves al-Kabir et Oustouane du Akkar comme on l’avait fait de Nahr Beyrouth, il n’y aurait pas eu de problème », souligne M. Halwani. Tragique déforestation La défaillance des infrastructures routières dans les montagnes, là aussi réalisées, apparemment, sans respect pour la nature du sol et sans précautions particulières, a isolé des villages entiers. Dans la localité de Akkar al-Atika, qui s’étend de 900 à 1 200 mètres d’altitude, des quartiers entiers ont été isolés par l’effondrement des routes qui y mènent, ce qui a causé un problème social important. Les éboulements et, par conséquent, l’érosion du sol qui en résulte constituent un autre phénomène observé lors de ces intempéries. Ont-ils été aggravés par la déforestation qui affecte aujourd’hui plus d’une région ? M. Darwiche pense que c’est le cas. « Les importantes érosions sont dues en partie à la dégradation des espaces verts, puisque les arbres ont la particularité d’absorber l’eau et de retenir le sol4, explique-t-il. Durant les années qui ont suivi la guerre, on n’a pas prêté attention à ce problème amplifié aujourd’hui par la catastrophe. » Pour M. Halwani, cependant, « la nature du sol, notamment dans les régions agricoles, n’est pas rocheuse, d’où le fait que l’érosion, avec les pluies abondantes qui sont tombées, est un phénomène plutôt naturel ». Toutefois, il insiste sur le fait que la quantité considérable d’eau provenant des pluies, qui ont atteint leur niveau le plus élevé depuis 1969 (le double de la moyenne annuelle), ne présente pas que des aspects négatifs. « Il y a des sources qu’on croyait taries de façon permanente et qui ont réapparu dans certaines localités du Liban-Nord », souligne-t-il. En effet, l’eau est aussi, et surtout, une richesse... pour qui sait la retenir. « Si on avait construit des barrages dans les montagnes, on aurait pu stocker des centaines de milliers de mètres cubes d’eau pour l’été », déplore M. Halwani. M. Darwiche, lui, dénonce le « double gaspillage de l’eau, qui finit, inutilisée, dans la mer, et de terre fertile perdue en raison de l’érosion ». Comment aurait-on pu éviter cela ? « Par la construction de murs de soutien ou par la disposition de cultures en escalier », indique-t-il. Enfin, quelles leçons tirer des dégâts causés par la tempête et quelles mesures prendre avec le retour du beau temps ? « Il faut tout d’abord nettoyer très rapidement les lits des fleuves, notamment dans la Békaa, avertit M. Darwiche. Aujourd’hui, les chutes de neige qui ont remplacé les pluies diluviennes ont minimisé les dégâts à court terme. Mais la fonte prochaine des neiges pourrait causer des inondations supplémentaires, vu que le sol est déjà gorgé d’eau. Il faut prendre les précautions nécessaires, notamment pour assurer la sécurité des habitants. » M. Zakhia, quant à lui, soutient qu’à plus long terme, il faudra mettre en place une politique environnementale et de développement, notamment dans les régions éloignées. « Sans études d’impact environnemental imposées avant la réalisation de tout projet, on ne pourra pas résoudre ce genre de problèmes », insiste-t-il. S.B.
La nature, qui subit si souvent l’emprise des hommes, reprend, un jour ou l’autre, ses droits. C’est peut-être la grande leçon à tirer des dégâts causés par la violente tempête qui frappe actuellement le Liban. Le déchaînement des intempéries ne va jamais sans ennuis pour les hommes, mais il s’avère, à première vue, que l’impact du mauvais temps a été...