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ÉDUCATION - Les entorses à la loi se multiplient, et les jeunes sont souvent piégés par des promesses fallacieuses La prolifération des « boutiques universitaires » plonge le secteur de l’enseignement supérieur dans le chaos

Dans le bureau d’un responsable des affaires estudiantines de l’une des grandes universités du pays, une jeune fille fond en larmes. C’est la énième fois qu’elle se voit refuser une demande d’équivalence pour un diplôme obtenu dans une nouvelle « université » basée à Tripoli. Deux ou trois ans de perdus : si elle veut intégrer une des universités jouissant d’un certain prestige, elle doit tout recommencer et elle s’obstine... Contrairement à ce qu’on pourrait croire, son cas est loin d’être isolé depuis que la prolifération incontrôlée des universités a plongé le secteur de l’enseignement supérieur privé dans le chaos. Non qu’une diversité d’établissements nuise au pays, bien au contraire. Mais les abus rapportés par de très nombreuses sources (dont, comble du paradoxe, certains responsables d’universités récemment établies) sont innombrables, aggravés par le contrôle officiel inefficace ou inexistant : des instituts techniques ou technologiques qui délivrent des diplômes universitaires ; des établissements qui fonctionnent sans permis et créent un état de fait ; des salles de classes situées dans des immeubles résidentiels non adaptés à cet effet ; un appât du gain qui a remplacé le souci pédagogique ; des promesses de succès assuré aux postulants aux diplômes, quel que soit leur niveau ; des étudiants, non titulaires d’un baccalauréat, admis illégalement... et, surtout, des jeunes qui se trouvent pris au piège de la facilité, obtenant, en fin de compte, des diplômes non reconnus par la commission nationale des équivalences et généralement peu prisés sur le marché du travail. Il y a aujourd’hui 41 établissements d’enseignement supérieur privés reconnus par le ministère concerné et figurant dans son guide (20 universités et 21 instituts). Il y en a cependant un plus grand nombre qui fonctionne, même sans permis, dans le pays, au vu et au su de tout le monde. Selon les statistiques du ministère, les établissements « nouveaux » (par opposition aux universités établies depuis longtemps et dont la fondation remonte parfois au XIXe siècle) recrutent aujourd’hui quelque 10 000 étudiants (ce chiffre du ministère est revu à la hausse par d’autres sources). Et les demandes de permis pour l’ouverture de nouveaux établissements ou de facultés supplémentaires dans des universités existantes s’empilent entre-temps sur les bureaux des comités concernés (on parle de 35 nouvelles demandes). Pourquoi ce chaos ? Les nouveaux permis octroyés par les gouvernements successifs depuis 1996, après le vote du décret sur les normes d’acceptation des dossiers (bien malmené depuis sa parution), auraient favorisé ultérieurement la création d’institutions ayant un but commercial plutôt que pédagogique, de véritables « boutiques universitaires » et qui, jusqu’à très récemment, n’ont été soumises à aucun contrôle. De l’aveu même du directeur général du ministère de l’Enseignement supérieur, Ahmed Jammal, ce n’est qu’en mai 2002 qu’a été instauré un premier suivi de la mise en pratique des dossiers présentés par les responsables de ces établissements, et les résultats de l’inspection ont montré que les irrégularités existent bel et bien, même si les responsables du ministère et les pédagogues – ceux qui dénoncent aujourd’hui cet état de fait – ne sont pas d’accord sur l’ampleur du problème. Ce dossier de L’Orient-Le Jour sur l’enseignement supérieur privé ne vise évidemment pas à lancer des jugements de valeur manichéens, mais à mettre le doigt sur la plaie en dénonçant les ravages du manque de contrôle et de l’absence de standards académiques, dans un secteur pourtant réputé au Liban, aujourd’hui rattrapé par la mentalité commerçante. Nous examinerons dans un premier temps les circonstances de la naissance du décret sur les normes, ainsi que les irrégularités qui ont entaché sa mise en application, en sus de la nouvelle loi examinée actuellement par la commission parlementaire de l’Éducation. Des responsables pédagogiques universitaires livreront aussi leurs impressions concernant l’impact de la récente anarchie sur l’image de l’enseignement supérieur au Liban. Nous exposerons aussi – et c’est là un facteur fondamental – les solutions possibles. Dans un second temps, nous nous attarderons sur les pratiques douteuses devenues communes dans certains établissements, leurs conséquences sur le niveau, les études et l’avenir des étudiants, ainsi que sur les précautions que les jeunes et leurs parents doivent prendre avant de choisir un établissement donné. Restent quelques questions que l’on se doit de poser, mais dont la réponse n’est pas aisée à trouver : pourquoi s’acharne-t-on à déstabiliser et à discréditer ce secteur vital ? Est-ce la déliquescence ambiante qui se propage aux jeunes jusque dans le sanctuaire du savoir ? Le haut niveau universitaire qui faisait la fierté du Liban est-il victime des pressions des politiques et des investisseurs qui ont trouvé là une nouvelle poule aux œufs d’or ? Les jeunes sont-ils conscients de la gravité de l’enjeu, sont-ils attirés par la facilité, ou bien ne figurent-ils dans ce drame que comme des victimes ? La jeune fille qui pleurait dans le bureau du responsable a compris trop tard que les belles promesses étaient creuses, et qu’on ne badine pas avec le point de départ de toute une vie... Suzanne BAAKLINI
Dans le bureau d’un responsable des affaires estudiantines de l’une des grandes universités du pays, une jeune fille fond en larmes. C’est la énième fois qu’elle se voit refuser une demande d’équivalence pour un diplôme obtenu dans une nouvelle « université » basée à Tripoli. Deux ou trois ans de perdus : si elle veut intégrer une des universités jouissant d’un...