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Entretien - Le leader du PSP se veut rassurant : Rien à craindre pour le Liban, avec « les trois piliers de la sagesse » Walid Joumblatt : « La démocratie en Irak, c’est le transfert pour les Palestiniens » (photo)

Un Walid Joumblatt inattendu : installé devant sa table de travail, un tas de journaux devant lui, il sélectionne, coupe méticuleusement et range dans un dossier. Le leader du PSP lit tous les jours la presse, internationale (bien plus rapidement, précise-t-il) et locale. Il refuse de confier ce travail à une équipe, comme le font les autres politiciens, car il ne veut pas de « maîtres à penser ». Aujourd’hui, ce qui l’intéresse, comme tout le monde d’ailleurs, c’est la guerre annoncée en Irak. « Il y aurait eu moyen de l’éviter, dit-il, si une formule dans le genre d’un Taëf irakien avait été adoptée. Mais Saddam Hussein a raté cette chance et aujourd’hui il est trop tard ». Que faut-il craindre pour le Liban ? Joumblatt déteste cette question. Il se réfugie dans le sarcasme qu’il manie à merveille. « Que pourrions-nous craindre ? Nous avons, pour reprendre la formule de Lawrence d’Arabie, nos trois piliers de la sagesse... ». Et si on lui demande pourquoi il est si ironique, il répond : « Je ne me prends pas moi-même au sérieux. Pourquoi voulez-vous que je le fasse avec les autres ? » Pour Joumblatt, la guerre a été décidée il y a longtemps, par George Bush père dont on retrouve l’équipe autour de son fils, pour des intérêts pétroliers. Sans oublier les intérêts israéliens, puisque dans l’Administration américaine, il y a désormais partout des « israélophiles ». Joumblatt va encore plus loin. Selon lui, nous assistons actuellement à une « sharonisation de la politique de Bush ». Et il rappelle comment le président américain avait qualifié le Premier ministre israélien d’« homme de paix ». Ce n’est donc pas un hasard si les Américains s’en prennent aujourd’hui à l’Irak, qui dispose d’une grande réserve pétrolière et d’un potentiel scientifique important, le seul de cette importance dans le monde arabe. « Je dois reconnaître, dit-il, que Saddam Hussein a beaucoup travaillé dans ce domaine, en réussissant à former une base scientifique ». Un nouveau monde se dessine Aujourd’hui donc un monde nouveau se dessine. Après la Première Guerre mondiale, il y a eu le Congrès de Versailles ; après la seconde, il y a eu Yalta et maintenant, les efforts de la France visent à résister à un monde unipolaire. « Le grand absent, ajoute M. Joumblatt, est le monde arabe. On décide de son sort et il ne veut rien faire... » Le leader du PSP ne comprend pas comment le ministre saoudien des Affaires étrangères considère qu’un sommet arabe extraordinaire n’est pas nécessaire. « En tout cas, estime-t-il, c’est peut-être une bonne idée. Les Arabes pourront ainsi tenir leur sommet à Bagdad, sous la présidence de Tommy Franks ». Selon M. Joumblatt, le frère de Saoud el-Fayçal, le prince Turki, n’a pas eu des positions plus heureuses. « Il a dit récemment qu’islam et démocratie sont incompatibles. Évidemment, puisque le seul islam qu’il connaît est celui de Ben Laden, qu’il a créé, avec Bush père lorsque ce dernier était le patron de la CIA ». Pour Joumblatt, l’émir Bandar ben Sultan, l’ambassadeur saoudien à Washington fait aujourd’hui de l’excès de zèle avec les Américains. « Il se contente de leur demander de ne pas causer trop de dommages collatéraux, car trop de morts pourraient provoquer un malaise dans le monde arabe. Comme si c’était là le grand point. » Concernant la position de l’Europe, Joumblatt estime que « n’en déplaise aux cow-boys, elle reste ancrée dans ses traditions et ses principes. Les États-Unis ne veulent pas de Kyoto, de la Cour pénale internationale. Ils ont disloqué l’Union européenne et ils sont en train de marginaliser les Nations unies. Ils veulent instaurer une politique unilatérale. D’où leur conflit avec justement cette vieille Europe ». Pour Joumblatt, en Occident, les manifestations sont l’expression de l’opinion publique et les Églises y participent activement, alors que, dans le monde arabe, elles sont téléguidées. Est-ce pour cette raison qu’il n’y a pas lui-même participé ? « Les ministres et députés membres de mon bloc y étaient. Mais je ne voulais pas participer à des manifestations sectaires. » C’est de l’après-guerre qu’il faut parler Selon lui, l’objectif n’est pas d’appuyer Saddam Hussein, qui est indéfendable, mais de dire non à la guerre. Joumblatt ne comprend pas, à ce sujet, comment Ali Hassan el-Magid (qu’il a surnommé « Ali le chimiste », pour son rôle dans le Kurdistan irakien) est reçu avec égard au Liban. « Quelques anciens membres du Baas irakien veulent entraîner le Liban, mais aujourd’hui, c’est de l’après-guerre qu’il faut parler ». À quoi doit-on s’attendre ? « Au renforcement des régimes réactionnaires, les laquais des États-Unis, qui vont se lancer dans la surenchère tout en augmentant leur dispositif répressif. Il ne faut pas oublier non plus que l’un des objectifs stratégiques de cette guerre est de démanteler l’Opep (l’Organisation des pays exportateurs de pétrole) et de mettre la main sur le robinet pétrolier. » Ne croit-il pas, comme le disent certains, à des changements dans les régimes actuels arabes ? « Je serais aux anges si certains de ces régimes pouvaient tomber. J’espère voir cela de mon vivant. » Joumblatt ne décolère pas d’entendre « ces régimes », comme il le dit, parler de la Palestine, comme d’un fait divers. Croit-il que Sharon pourrait profiter de la guerre contre l’Irak pour lancer une offensive contre les Palestiniens ? « Il n’en a pas besoin. Il le fait tous les jours. De toute façon, s’il veut entreprendre quoi que ce soit, je ne vois pas qui pourrait l’en empêcher. Les roitelets du Golfe, peut-être ? Ou le prince des croyants au Maroc ? » Seul le Libyen trouve grâce à ses yeux, en raison de ses positions lors du sommet de Charm el-Cheikh. Et le Syrien aussi, bien entendu, qui « s’accroche à ses principes et fait de son mieux pour essayer de faire respecter ce qui reste de la légalité internationale ». Pourtant, le régime syrien coopère étroitement avec les États-Unis ? « Nous avons un objectif commun, lutter contre l’islam obscurantiste, à la Ben Laden ». À ce sujet, Joumblatt en veut beaucoup à la chaîne al-Jazira qui a fait de Ben Laden « son fonds de commerce. Avec la CNN, elle dirige le monde ». Bâtir un espoir à long terme Quant à lui, il préfère regarder la BBC et pour connaître les nouvelles internes, il s’adresse à ses « aides de camp », comme il les appelle. Joumblatt est assez satisfait du travail de son bloc pendant les débats sur le budget. Tout comme il considère comme positive la proposition du président du Conseil d’ouvrir le secteur de la téléphonie mobile au public et à la CNSS. « À mon avis, il faut lui donner 30 % et non 10 % des fonds, car elle couvre une grande partie de la population. En tout cas, c’est mieux que de donner le secteur à des familles privées. » Pour le reste, il préfère rester absent de la scène locale, précisant avoir refusé une invitation aux États-Unis, mais se défendant d’avoir conseillé au patriarche maronite d’en faire de même. « Le patriarche n’a pas besoin de conseils de ce genre. Je crois en sa clairvoyance. » Tout comme il se défend d’avoir entrepris la moindre médiation entre la Syrie et le président du Conseil. « Pour l’instant, je laisse la situation interne à nos trois piliers de la sagesse, pour reprendre la formule de Lawrence d’Arabie. » Joumblatt ne peut s’empêcher de tourner en dérision les formules actuelles. « Ils disent notre peuple, comme s’ils savaient ce que veut le peuple, ou la situation exige que nous dépassions nos conflits personnels... Je déteste cette façon de toujours donner des leçons de morale. » Pour lui, il n’y a pas de morale en politique, il faut l’admettre une fois pour toutes, mais lutter quand même jusqu’au bout, « parce qu’on ne va pas capituler maintenant. Et puis ces millions de gens qui défilent dans les rues disent en fait non à l’unilatéralisme américain. Il faut donc bâtir un espoir à long terme. Même si aujourd’hui les Arabes sont un monde exsangue, inamovible et que l’annonce de la prochaine instauration d’une démocratie en Irak pourrait bien se traduire par un transfert des Palestiniens ». Joumblatt ne veut pas se prononcer sur la durée de la guerre. « Je suis seulement sûr que ce ne sera pas une partie facile pour les Américains. Même si au début le calme règnera. Très vite, tout recommencera, c’est cela l’histoire des peuples... » Scarlett HADDAD
Un Walid Joumblatt inattendu : installé devant sa table de travail, un tas de journaux devant lui, il sélectionne, coupe méticuleusement et range dans un dossier. Le leader du PSP lit tous les jours la presse, internationale (bien plus rapidement, précise-t-il) et locale. Il refuse de confier ce travail à une équipe, comme le font les autres politiciens, car il ne veut pas de «...