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Causerie-débat - Jean Leca au ministère de la Culture Les Américains « ne veulent pas posséder », mais « structurer le milieu » pour qu’il ne soit pas fauteur de troubles

En plein dans l’actualité : « Y a-t-il une communauté internationale ? » Tel était le thème, avant-hier samedi, de la causerie-débat initiée, au ministère de la Culture, par l’infatigable locataire des lieux, Ghassan Salamé. Quant à l’homme de la journée, c’était Jean Leca, professeur des Universités à l’Institut d’études politiques de Paris. La communauté internationale. Au moment où, dans l’enceinte du Conseil de sécurité – son espace de prédilection par excellence –, Colin Powell et Dominique de Villepin la divisent en deux, Jean Leca commence par évoquer l’ère post-11/09/01 et prévenir que, depuis, le paradigme dominant a changé. Que d’un monde dominé par les idées de John Locke et ouvert sur celles d’Emmanuel Kant, « nous nous sommes retrouvés » dans le monde de Thomas Hobbes, un monde ouvert cette fois sur Friedrich Nietzsche et sur Karl. Comprendre sans doute par là que d’une société dont même le souverain, par contrat, se doit d’obéir aux lois, une translation s’est faite, vers un Léviathan, une société au sein de laquelle si le citoyen veut vivre, il doit renoncer à ses droits au profit d’un souverain absolu, qui définirait, justifierait, l’État. Le tout avec, en toile de fond, l’internationalisme libéral, « endormi, halluciné », et la société civile globale. Pour Jean Leca, « nous nous sommes totalement trompés depuis le XVIe siècle ». Depuis que prévalait le droit de la mer. À l’époque, explique-t-il, la mer n’était à personne, c’était la patrie commune de l’humanité, d’où émergeaient les normes du droit international. La maritimisation de la Terre était générale ; l’humanité, un immense océan ; et la société civile globale, la racine morale de l’État. Jean Leca pose alors la question, premier concept de l’internationalisme libéral : « Une société civile globale a-t-elle aujourd’hui besoin d’un État ? » Deuxième concept : le remplacement de la souveraineté par la citoyenneté internationale. « La souveraineté suppose des gens indociles. Seul celui qui n’accepte pas d’être gouverné est digne d’être gouverné », rappelle Jean Leca. En (se) demandant ensuite ce que pouvait bien signifier « un bon citoyen », il souligne, à juste titre, que c’était cela le centre du débat, il y a trois jours à New York, entre (c’est toujours les mêmes) Powell et de Villepin : qu’est-ce qu’un bon citoyen ? Sans ambages, c’est celui qui sait faire passer les intérêts de la société avant les siens propres. Troisième concept : la gouvernance mondiale. D’abord avec l’environnement, l’axe Rio-Tokyo-Durban, « c’est comme la mer, c’est notre bien commun, nourrissier ». Il y a des domaines dans lesquels il n’y a pas de rivalité entre les États. Puis l’organisation financière internationale, l’organisation mondiale du commerce, et, enfin, la théorie des prix du pétrole. Et c’est là que l’explication de Jean Leca devient encore plus intéressante, peut-être parce qu’assez ambiguë. « Depuis cinquante ans, les États-Unis considéraient que le pétrole était hors marché. Aujourd’hui, ce qui est important, c’est qu’il y a des demandeurs et des offreurs. Les USA ne sont pas mus par le désir de contrôler le pétrole, mais par celui d’empêcher que des États n’abondent dans la politique qui était la leur, avant le contrôle », affirme-t-il. Assurant que ce qui justifie les velléités guerrières des Américains n’est pas le désir de posséder, « mais de structurer le milieu pour qu’il ne soit pas fauteur de troubles ». Sauf que là, nuance Jean Leca, c’est le soft power qui devrait être de rigueur : les pressions, la poursuite des inspections, etc. Et après avoir souligné que, selon le nouveau paradigme, la communauté internationale « ne peut pas être conçue sur le modèle de la communauté interne », l’universitaire développe ces deux conceptions de la communauté internationale qui s’affrontent. Celle, la plus récente, « du pauvre » secrétaire d’État US, Colin Powell, calquée, ou presque, sur le modèle Suez 1956. Et selon laquelle ce qui menace la paix n’est pas les actions d’un État, ou ses armements, « mais la nature du régime politique qu’il représente, le danger qu’il génère pour ses citoyens ou ceux des autres ». Il continue : « Quand les USA, l’hegemon international, défendent, au nom de la justice et de la paix, leur liberté nationale, c’est celle du monde qu’ils défendent. Jamais Disraëli ou Clemenceau n’auraient raisonné comme ça. Ils veulent donc la guerre parce que c’est le régime qui est en cause, et cela est tout à fait conforme avec l’internationalisme libéral. » Et face à ce presque droit divin, face à ce messanisme mystico-militaire, que vaut ce que défend Dominique de Villepin ? « Presque rien. » Jean Leca allume sa pipe. Une causerie, suivie d’un débat, deux fois par mois, au ministère de la Culture. « Words, words, words », certes, mais en ces temps où la cannonière risque d’occuper tout l’espace, des mots, avec les idées et les concepts qui les véhiculent, peuvent retrouver toute leur prépondérance. Z.M.
En plein dans l’actualité : « Y a-t-il une communauté internationale ? » Tel était le thème, avant-hier samedi, de la causerie-débat initiée, au ministère de la Culture, par l’infatigable locataire des lieux, Ghassan Salamé. Quant à l’homme de la journée, c’était Jean Leca, professeur des Universités à l’Institut d’études politiques de Paris. La communauté...