VIENT DE PARAÎTRE Chawki Abou Chakra : le poète a dit…

Une vie entière consacrée à l’écriture. Douce servitude pour un homme de lettres épris de littérature, surtout de poésie et de journalisme. Né en 1935, Chawki Abou Chakra a très tôt manifesté une ferme vocation pour l’imaginaire et l’engagement total au Parnasse. Première œuvre publiée en 1959, un recueil de poésie au titre singulier, Akyass al-Fokaraa (Sacs de pauvres), lui vaut la sympathie du public et le respect de la critique et de la presse. C’est que ses mots, hautains, ardus, châtiés, ne sont pas ceux de Monsieur Tout-le-monde, même pas de ceux qui taquinent les muses… Poète à part entière, Chawki Abou Chakra est un orfèvre des mots, un ciseleur qui ne laisse guère au hasard des inspirations vagabondes les formulations toujours tirées sur leur trente et un… Aujourd’hui, plus de onze ouvrages jalonnent sa carrière. On cite au hasard des titres qui ont toujours frappé par leur originalité : Maa ila hissan al-Aailat (De l’eau pour le cheval de famille), Hirati Jalissat touffahat ala tawilat (Mon indécision est assise pomme sur table), Salaat al-Ichtiyak ala sarir al-wehdat (La prière du désir sur un lit de solitude). Le plus récent de ses écrits date de l’an 2000, où il retraçait à travers des textes percutants, incisifs et d’une haute tenue littéraire, un long parcours de combat avec le quotidien et les mots. Mais on revient toujours aux lieux de ses premières amours. Viennent donc de sortir en librairie ces poèmes fidèles à une image de marque où brio, musicalité et images originales forment la tessiture flamboyante d’un recueil au souffle ardent et à la pensée tendue. Nouti Mouzdahir al-kawam (Avare à la stature florissante), 148 pages, Dar Nelson, est le dernier-né de l’inspiration de ce poète aux horizons chargés comme une aquarelle évanescente. Vision du monde, des choses, des êtres et de la nature à travers le dire musical et imagé d’un poète à la voix étrange et aux sonorités enchâssées dans un arabe d’une belle « gutturalité » (et qu’on nous passe le barbarisme!). C’est avec maestria et un savant dosage de la grammaire et les virtuosités de langage que Chawki Abou Chakra mène sa barque dans les méandres des sentiments, des sensations et des impressions. Témoignant du mal-être et de l’angoisse de vivre, des élans et des désespoirs d’une traversée humaine, conjurant le sort avec des mots incantatoires, apaisant ses tourments avec du rêve filé au creux des phrases, Chawki Abou Chakra, qui sait mesurer « le sel de la solitude et de l’attente » en dépit de nombreuses préciosités flagrantes, affiche une poésie libre et moderne (avec quelques accents cyniques vite escamotés !) certes altière et dédaigneuse mais aspirant à la sérénité et à la réconciliation avec soi. Edgar DAVIDIAN