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La semaine de l’UE - Déjà un bureau pour gérer les problèmes des étudiants avec le marché de l’emploi Entre les jeunes et les chefs d’entreprise, un échange placé sous le signe de l’optimisme(photo)

Beaucoup de frustration, mais aussi, surtout, beaucoup d’idées et une volonté réelle de faire bouger les choses, telle est l’impression qui ressort de la première journée de la « semaine de travail et d’information en direction des jeunes », organisée par l’Union européenne. Une soixantaine d’étudiants des huit principales universités du pays ont ainsi écouté trois chefs d’entreprise libanais, qui leur ont parlé de leurs expériences respectives, avant de discuter entre eux des problèmes qu’ils affrontent pour finir par s’entendre sur la formation d’un comité de travail, qui s’emploierait à trouver des solutions, dans le cadre d’un bureau financé par l’UE. Du concret, donc, une fois n’est pas coutume, et une prochaine réunion pour la mise en œuvre du mécanisme d’application à la mi-février. Les jeunes étaient tout oreilles, heureux de faire l’objet d’une attention particulière de la part de l’UE et surtout soulagés de voir qu’on cherchait à les aider à surmonter leur terrible anxiété face au marché de l’emploi local, qui leur paraît bloqué. D’ailleurs, l’idée de départ de l’ambassadeur de l’UE, Patrick Renauld, était justement de montrer aux jeunes Libanais, qui ne rêvent que d’émigration, que leur pays offre de nombreuses opportunités, mais le problème essentiel consiste en un manque d’informations aussi bien du côté des chefs d’entreprise que de celui des étudiants. D’où l’idée de créer un bureau qui se chargerait de collecter les informations et de les communiquer aux jeunes. Le ministre de l’Économie, M. Bassel Fleyhane, qui a participé à l’ouverture de cet atelier de travail, a abondé dans ce sens, affirmant aux jeunes que désormais, la situation est inversée : avant c’était les étudiants qui couraient après les chefs d’entreprise, mais désormais, cela va être le contraire. Avec l’ouverture des marchés, ces derniers auront plus que jamais besoin des compétences des jeunes. Du courage, de la détermination, du souffle... et c’est la réussite Pourtant, les étudiants n’en semblaient pas encore vraiment convaincus, ayant plutôt l’impression d’un système paralysé par la « wasta » et autres pistons. Mais c’est justement pour leur donner des témoignages positifs que l’UE a convié trois chefs d’entreprise qui ont parlé de leurs expériences respectives. M. Alfred Moukarzel (Moukarzel Farms) a certainement marqué les jeunes, qui, dans les débats de l’après-midi, l’ont cité à plusieurs reprises. Agressif, franc, tenant un discours qui sort de la langue de bois habituelle, le jeune chef d’entreprise a raconté comment, après six ans passés comme antiquaire en France, il a décidé de reprendre la ferme familiale, dans la montagne libanaise, en 1995. Une loi venait alors d’être promulguée redonnant les terres dans cette région à leurs propriétaires, et le jeune homme a joué la carte légale jusqu’au bout, malgré les pressions diverses, dans cette montagne où le sang qui avait coulé pendant des années marquait encore les esprits. « De la détermination, du courage, du travail acharné, une vision claire, le goût du risque... et la réussite ne peut qu’être au bout du chemin. » C’est en quelque sorte le message qu’il a délivré aux jeunes. Avec un franc-parler assez rare, Moukarzel s’est plaint qu’au Liban, les gens n’aiment pas travailler et veulent surtout faire un gain rapide, sans penser et donc investir sur l’avenir. Aux jeunes qui l’écoutaient attentivement, Moukarzel a demandé d’utiliser leur cerveau, de réfléchir, d’accepter de faire des efforts et des sacrifices et, surtout, d’avoir du souffle. « Émigrer n’est pas une solution, c’est un pis-aller. Et il est très rare de réussir à l’étranger. Le Liban peut redevenir une plate-forme régionale, et cela ne tient qu’à nous, mais nous devons pour cela comprendre que notre principal marché est la Syrie et le monde arabe. » M. Moukarzel a refusé la logique confessionnelle ou raciste dans laquelle on cherche à enfermer les jeunes, appelant ceux-ci à ne pas se laisser manipuler. Il a reconnu employer des travailleurs syriens, tout en ajoutant en réponse à une question qu’il n’a pas besoin d’un ingénieur. Il apprend lui-même et préfère louer les services d’un technicien. Ce qui a été un peu comme une douche froide pour les étudiants ingénieurs, qui se sont demandé s’il n’en sera pas toujours ainsi, lorsqu’ils seront sur le marché du travail. Adapter les formations universitaires aux besoins du marché M. Joe Faddoul, PDG d’Istisharat, a jeté de l’huile sur le feu en déclarant que l’un des problèmes actuels est que sa société ne trouve pas de cadres moyens et qu’elle est contrainte d’embaucher des ingénieurs pour des postes de programmateurs. Autrement dit, les formations données dans les universités ne correspondent pas aux besoins du marché. Pourtant, M. Faddoul a voulu tenir un langage optimiste, montrant aux jeunes que d’importantes sociétés spécialisées dans l’informatique sont en train de s’installer au Liban, où il y a encore beaucoup de facilités et d’atouts pour la production de logiciels. Le couturier de renommée internationale, Élie Saab, a annoncé qu’il comptait créer cent emplois dans le courant de l’année en installant un atelier de prêt-à-porter au Liban, et qu’il a donc besoin d’une main-d’œuvre spécialisée, ainsi que de dessinateurs de mode et de tissus. S’il ne les trouve pas sur place, il les amènera de l’étranger. Autrement dit, il existe donc des opportunités, mais il faut que les formations universitaires y correspondent. À cet égard, Mme Marie-Claude Hélou Saadé, consultante dans le domaine socioéconomique, a précisé que l’objectif de l’association dont elle est la secrétaire générale, « Business in the Community-Lebanon », est de concilier l’intérêt des compagnies avec celui des communautés sociales. « Un travail de fond doit être accompli afin d’apporter des solutions radicales et d’éviter, demain, de faire, en tant que chefs d’entreprise ce dont vous vous plaignez aujourd’hui. » Cinq gros problèmes et quelques solutions La désinvolture des chefs d’entreprise à leur égard est l’un des problèmes soulevés par les étudiants, lorsque le modérateur Gilbert Doumit leur a donné la parole. Déversant leur trop-plein de frustration, les jeunes, représentant leurs universités respectives ou à titre personnel, ont longuement parlé de leurs craintes et des obstacles qui se dressent constamment sur le chemin. Avec l’aide de Mmes Véronique Ruggirello et Sybille Bikar, de la délégation de l’Union européenne, il a été possible de dégager 5 grands problèmes. D’abord, la difficulté d’acquérir de l’expérience, les entreprises libanaises considérant généralement les stagiaires comme un poids et non comme une possibilité de sang neuf, sans compter le fait qu’en général, au Liban, on rechigne à faire profiter les autres de ses compétences, par crainte de la rivalité. Pour y remédier, plusieurs propositions ont été avancées, dont la dynamisation des amicales des anciens des universités, pour favoriser les stages professionnels, ou en créant des salons de l’étudiant, pour permettre aux jeunes et aux entreprises d’entrer en contact, sans oublier un listing des entreprises et de leurs offres de stage. Second problème, celui de l’orientation, auquel on peut remédier par une sorte de journée portes ouvertes dans les entreprises, pour permettre aux étudiants de voir les opportunités qui s’offrent, un peu comme font les universités pour les élèves en classes terminales. En troisième lieu, les étudiants ont évoqué le manque de communication entre le secteur privé et les universités, et c’est là un des défis que se propose de relever le bureau qui sera créé grâce à l’UE. Quatrième problème, le développement personnel et l’incapacité pour l’étudiant de « se vendre » et d’imposer ses compétences. Et là, il faudra lui redonner confiance en lui-même et l’amener à savoir prendre conscience de sa valeur et de son apport à une entreprise. Dernier problème répertorié, l’impossibilité d’avoir accès à l’information. Mais c’est un problème courant au Liban, où partout, dans le secteur privé comme dans le secteur public, on se heurte au manque de transparence et à l’absence de communication. Reste le problème de la « wasta » contre lequel les étudiants se sont soulevés, affirmant qu’il pourrit l’ensemble du système et dicte même les admissions à l’UL par exemple. Les quelques chefs d’entreprise qui ont assisté à tous les débats ont répondu que ce système pouvait fonctionner tant que le marché libanais était fermé. Mais avec l’ouverture en perspective, les entreprises seront contraintes à recourir à des compétences si elles veulent être compétitives. Et, si la « wasta » peut aider à trouver un travail, elle ne pourra plus maintenir une personne non qualifiée à son poste. De toute façon, comme l’a dit le modérateur, Gilbert Doumit, ce phénomène est essentiellement sociopolitique et si le bureau en gestation remplit sa mission, il en viendra à bout petit à petit. Au bout de cette longue, mais passionnante journée, les jeunes ont choisi trois d’entre eux pour chaque université, qui formeront un groupe de travail chargé de mettre en œuvre le mécanisme d’action. Ce groupe devrait tenir sa première réunion avec les représentants de l’UE à la mi-février pour entamer un véritable recensement sur le terrain, afin de déclencher le premier réseau de communication entre le secteur privé et les étudiants. Le chemin est sans doute encore long, mais hier, dans les yeux des étudiants, il y avait un véritable espoir. Scarlett HADDAD
Beaucoup de frustration, mais aussi, surtout, beaucoup d’idées et une volonté réelle de faire bouger les choses, telle est l’impression qui ressort de la première journée de la « semaine de travail et d’information en direction des jeunes », organisée par l’Union européenne. Une soixantaine d’étudiants des huit principales universités du pays ont ainsi écouté...