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L’affaire NTV, un tournant dans la pratique politique ?

Depuis quelques jours, la même question se pose, brûlante, sur toutes les lèvres : l’affaire de la NTV changera-t-elle quelque chose à la pratique actuelle du pouvoir ? Constituera-t-elle enfin le passage à la logique de l’État de droit ? Et pour cause : s’il est une chose que cette affaire a réussi à mettre, une fois de plus, en exergue, c’est bien le fait qu’il existe un sérieux déséquilibre au niveau de la pratique du pouvoir par les responsables. Sinon, elle n’aurait pas suscité un tel tollé – presque une crise politique généralisée, tout au moins une crise gouvernementale. Elle aurait été traitée, au contraire, en catimini, loin des regards, dans le cadre des institutions. La NTV, un règlement de comptes de plus entre les pôles du pouvoir ? À en croire les informations qui circulent, le président de la République, Émile Lahoud, n’a eu vent de toute l’affaire qu’à l’issue de son déroulement. De même que le Premier ministre, Rafic Hariri, n’a appris la reprise des émissions de la chaîne sur satellite qu’après qu’il l’ait constatée de visu. Cependant, au milieu de l’écheveau d’analyses et d’explications divergentes et hétéroclites autour des rapports Lahoud-Hariri durant cette affaire, un fait retient l’attention : au moment où les milieux haririens affirmaient que ce dernier tenait de manière permanente le président Lahoud, en vacances dans le Sud de la France, au courant des mesures qu’il entendait prendre concernant les programmes satellites, les cercles de Baabda démentaient, eux, que le chef de l’État ait été au courant des velléités du Premier ministre. Mais il est clair comme de l’eau de roche que le conflit entre les deux hommes – qui a éclaté à la suite de la décision du ministre des Télécommunications, Jean-Louis Cardahi, d’autoriser la NTV à reprendre ses émissions par satellite – est le fruit d’un cumul de non-dits sur le plan personnel. C’est dans ce sens que l’entretien télévisé de M. Hariri, en début de semaine, a été quelque peu « explosif », puisque le Premier ministre a bouleversé la donne en prenant position sur des questions sur lesquelles il était jusque-là resté silencieux. Un développement remarqué par les milieux proches du palais présidentiel, peu satisfaits du déballage télévisé de M. Hariri, lequel se situe dans leur optique en porte-à-faux avec l’esprit du « lavage des cœurs » qui devait tacitement gouverner les relations entre les deux hommes. Le Premier ministre n’y a pas été de main morte, rappelant qu’il avait été la cible de toutes les flèches depuis un an et huit mois. Et que cela l’avait empêché de mener à bien sa mission de restructuration financière et économique du pays. Une campagne le visant à laquelle tous, selon lui, ont pris part, et malgré laquelle il a réussi à améliorer les perspectives financières du pays. Plus que cela, le chef du gouvernement a affirmé que, depuis Paris II, il n’était plus attaché au pouvoir, mais qu’il ne présenterait pas sa démission de sitôt. Pour certains, cela est très indicatif, et prouve que si Hariri lui-même affirme ne plus tenir au pouvoir, nul des premiers ministrables n’osera sauter le pas et prendre les commandes dans les circonstances actuelles. L’audace haririenne De l’audace. C’est ce que certains milieux politiques ont vu dans le discours haririen sur la non-application des lois et la « décision politique revêtue d’une dimension judiciaire » de fermer la MTV. Ces milieux ont estimé que cette position opérait un changement dans la politique du Premier ministre. Une reconnaissance des erreurs commises, et donc, en filigrane, une volonté de rectifier ces failles. Un autre que lui, dans la même position, n’aurait pas adopté le même ton offensif. Ce qui lui a valu les foudres de certaines gens du pouvoir, particulièrement en ce qui concerne ses propos relatifs aux ingérences dans la justice. De plus, le Premier ministre a continué sur sa lancée, en faisant publier samedi un communiqué dans lequel il a réclamé la réouverture de la MTV. À la suite d’une extrapolation qui se résume en ces termes : pourquoi ne pas appliquer à la MTV ce qui a été valable dans le cas de la NTV ? Ce que le chef du gouvernement a omis dans sa logique transitive – mais s’agit-il vraiment d’une omission ? –, c’est la différence qui existe entre les deux dossiers. L’un est judiciaire : la MTV a été condamnée par le tribunal des imprimés. L’autre est administrativo-légal : aucune sentence n’a été prononcée contre la NTV. En d’autres termes, la proposition de M. Hariri aux ministres concernés outrepasse le principe de la séparation des pouvoirs. Et, paradoxalement, constituerait, si elle venait à se concrétiser, une ingérence dans les affaires de la justice. Une déviance condamnée par le Premier ministre dans le cadre de son intervention télévisée. Pour les analystes, ce qu’il faut voir d’abord dans le communiqué du bureau de M. Hariri, ce sont les différents messages politiques qu’il contient : au pouvoir et à ses alliés privilégiés, les Murr, à l’opposition et aux leaderships chrétiens. Dans une réprobation claire de la décision de M. Cardahi de réautoriser NTV sur satellite, M. Hariri a demandé que des parties influentes soutiennent la MTV comme d’autres, au pouvoir, ont appuyé NTV. Ces parties œuvreraient à annuler la décision de fermeture totale de la chaîne prohibée. Autrement plus intéressants sont les messages que le Premier ministre a voulu, dit-on, faire parvenir à l’opposition, et plus précisément au Rassemblement de Kornet Chehwane. Pour beaucoup, ce n’est pas un hasard que M. Hariri ait adopté, concernant l’affaire MTV, une position très proche de celle du groupe de l’opposition. De son côté, Kornet Chehwane s’est gardé de tout commentaire concernant les déclarations du Premier ministre. Jugeant ses prises de position, pour l’heure, réactionnaires. Le groupe sait pertinemment que les positions de M. Hariri ne peuvent pas, pour l’heure, constituer un fondement pour de nouvelles relations. D’autant plus qu’aux yeux de Kornet Chehwane, les gens du pouvoir, aussi divisés fussent-ils entre eux, se retrouvent quand même sous le seul plafond syrien, bon gré mal gré. L’essentiel reste dans la leçon politique à tirer de toute cette polémique. Il serait grand temps, affirme un député de l’opposition, que les responsables passent enfin de la logique de partage du pouvoir à celle de l’État. Des rapports de coexistence et d’entente personnelle aux relations institutionnelles. Ce qui ne saurait être que l’aboutissement d’un processus lent et volontaire. Mais qui a, seul, le pouvoir de rétablir l’ordre. À cet égard, s’éloigner de l’esprit de l’accord de Taëf est synonyme de chaos dans la pratique politique et dans les relations des pôles du pouvoir entre eux. Cela aboutit à un processus qui se répète, marqué par un état de tension extrême, suivi d’une phase de statu quo. Le tout profondément marqué par le cours des événements et les intérêts des uns et des autres. D’où la nécessité profonde de passer, dans la pratique quotidienne, à la logique de l’État de droit. Philippe ABI-AKL
Depuis quelques jours, la même question se pose, brûlante, sur toutes les lèvres : l’affaire de la NTV changera-t-elle quelque chose à la pratique actuelle du pouvoir ? Constituera-t-elle enfin le passage à la logique de l’État de droit ? Et pour cause : s’il est une chose que cette affaire a réussi à mettre, une fois de plus, en exergue, c’est bien le fait qu’il...