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Le blocage institutionnel inéluctable en l’absence d’un État de droit L’entente entre les responsables insuffisante pour garantir la stabilité politique (photo)

Le grand problème institutionnel au Liban fut et demeure aujourd’hui celui de l’harmonisation des lois avec l’esprit et la lettre des accords de Taëf et, par voie de conséquence, celui du respect des dispositions de la Constitution, estime, sous couvert d’anonymat, un dirigeant politique influent. L’ancienne Constitution, celle qui régissait les institutions avant Taëf (1989), accordait théoriquement au président de la République de vastes prérogatives, au point où les chefs de gouvernement, ou au moins certains d’entre eux, en étaient arrivés à considérer que leur rôle ne dépassait pas celui d’un scribe et que le chef de l’État était une sorte de monarque régnant sur une République. Dans le souci d’atténuer ce sentiment chez leurs Premiers ministres et tous ceux que ces derniers représentaient, certains présidents avaient adopté une voie coutumière au détriment de la voie constitutionnelle, de sorte qu’ils s’abstenaient souvent d’exercer toutes leurs prérogatives pour ce qui est de la formation du cabinet, de la désignation du Premier ministre, du renvoi de ce dernier et du limogeage des ministres. Ces présidents avaient donc recours à des consultations parlementaires et bien que celles-ci fussent généralement purement formelles, ils s’en tenaient dans la plupart des cas aux résultats auxquelles ces consultations débouchaient. Lorsque le chef de l’État jugeait bon, comme l’y autorisait la Constitution, de ne pas se conformer à l’opinion majoritaire, notamment chez les musulmans, il se retrouvait inévitablement face à une crise politique. C’est dans une telle situation que s’est placé le président Charles Hélou (1964-1970) lorsqu’il a décidé, en 1968, de nommer au poste de Premier ministre Abdallah Yafi, au lieu de Rachid Karamé, que la majorité des musulmans réclamait. Le successeur de Hélou, Sleimane Frangié (1970-1976), allait connaître le même problème en 1973 avec la nomination d’Amine el-Hafez à la tête du gouvernement, se retrouvant face à un front formé des principaux dignitaires religieux et politiques musulmans qui exigeaient la désignation du même ... Rachid Karamé. Mais le chef de l’État avait aussi la possibilité de contrecarrer la formation du gouvernement lorsque les consultations en vue du choix du Premier ministre débouchaient sur un nom qui ne lui plaisait pas. De sorte que le président du Conseil désigné se retrouvait dans l’impossibilité de constituer son cabinet et finissait par démissionner, cédant la place à un autre personnage – plus acceptable aux yeux du président de la République – au terme de nouvelles consultations. D’autre part, lorsque Constitution écrite et coutume venaient à s’opposer, les présidents avaient tendance à recourir au texte de la Loi fondamentale, qui présentait l’avantage de leur donner le dernier mot. Frangié fut contraint d’en user face à Saëb Salam, qui faisait valoir devant lui que la coutume n’autorisait pas le chef de l’État à s’opposer à la composition du gouvernement présentée par le Premier ministre. Il lui répondit alors que la Constitution avait davantage force de loi que la coutume, le poussant à la démission. Fouad Chéhab (1958-1964), quant à lui, demandait à connaître les dispositions de la Constitution chaque fois qu’un litige éclatait sur un quelconque problème. En somme, sous la 1re République, les présidents avaient tendance à appliquer la coutume lorsqu’ils étaient en phase avec leurs Premiers ministres et la Constitution lorsqu’ils ne l’étaient pas. Il est bien évident que les choses ont changé avec la Constitution de Taëf. Ou plutôt que les rôles ont été inversés, puisque c’est désormais le chef du gouvernement qui, lorsqu’un litige institutionnel surgit, réclame le retour au texte de la Loi fondamentale, dans la mesure où certaines de ses dispositions le privilégie, au détriment du président de la République. Dans le contexte actuel, c’est l’évolution des rapports entre le président Émile Lahoud et le Premier ministre Rafic Hariri qui commande le fonctionnement des institutions. Ainsi, lorsque les deux sont d’accord, leur entente aboutit de facto à un gel des textes constitutionnels. Quant au vote en Conseil des ministres, il est tout simplement court-circuité, dans la mesure où les deux têtes de l’Exécutif peuvent soit se mettre d’accord au préalable sur un sujet litigieux soit ajourner son examen jusqu’au moment où ils parviendront à un accord sur ce dossier. En revanche, lorsque les dissensions éclatent entre le chef de l’État et celui du gouvernement, le scénario est le suivant : le second réclame le retour aux textes, autrement dit le recours au vote en Conseil des ministres pour trancher le conflit, et le premier s’y oppose, dans la mesure où le vote serait par définition en sa défaveur lorsqu’il ne dispose pas d’une majorité parmi les membres du gouvernement. Ainsi donc, pour le dirigeant politique influent, c’est toujours le même problème institutionnel qu’affronte le pays, quel que soit le mandat présidentiel en place, à moins que des solutions tranchées ne soient adoptées. Parmi ces solutions, il propose des révisions constitutionnelles partielles qui feraient par exemple du chef de l’État le responsable de la composition du gouvernement après la désignation du Premier ministre par voie de consultations parlementaires contraignantes. À défaut, on pourrait permettre au Parlement d’avoir son mot à dire. En tout état de cause, estime le dirigeant, il ne faut surtout pas maintenir la disposition constitutionnelle en vigueur, qui stipule que le cabinet est formé par le Premier ministre en accord avec le président. Il propose également la mise en place par voie de législation d’un statut interne pour le Conseil des ministres, qui contraindrait le président de séance à soumettre au vote toute question litigieuse qui ne serait pas tranchée après deux réunions du Conseil. Cependant, ce responsable est conscient de la difficulté, dans le contexte actuel, d’amender la Constitution. Cela n’empêche pas, selon lui, que l’on s’emploie dès à présent à améliorer la marche du travail au sein du Conseil des ministres, de sorte que la question du vote ne soit pas tributaire de l’existence ou non d’une majorité présidentielle. En résumé, conclut ce leader, la stabilité politique du pays n’est pas assurée par une simple entente entre les hauts responsables, celle-ci pouvant être éphémère. Seul l’État de droit est en mesure d’assurer cette stabilité. Les États ne sont pas gouvernés uniquement par des consensus entre les dirigeants, mais par des Constitutions et des lois, de sorte que si le consensus tombe, il reste le droit pour trancher. Émile KHOURY
Le grand problème institutionnel au Liban fut et demeure aujourd’hui celui de l’harmonisation des lois avec l’esprit et la lettre des accords de Taëf et, par voie de conséquence, celui du respect des dispositions de la Constitution, estime, sous couvert d’anonymat, un dirigeant politique influent. L’ancienne Constitution, celle qui régissait les institutions avant Taëf...