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Actualités - OPINION

Le rendez-vous de Jérusalem

C’est un sentiment de douleur, de rage horrifiée, mais paradoxalement un sentiment d’espoir aussi qu’inspire l’actuel déchaînement de violence dans les territoires palestiniens occupés. De douleur bien naturellement, à la vue de tous ces jeunes corps ensanglantés allant grossir le nombre déjà considérable de martyrs tombés pour que revive une patrie ; d’horreur face à la barbarie sans limites apparentes d’Israël, qui en est à donner les chars et les hélicoptères lance-missiles contre les foules en colère ; et d’espoir, dans la certitude désormais bien ancrée parmi les Palestiniens et une bonne partie de la population du globe – y compris, quoi qu’il paraisse, pas mal d’Israéliens – que l’histoire est irréversiblement en marche. Que l’État palestinien n’est plus qu’affaire de temps, et qu’il faudra bien trouver une solution pour Jérusalem, cité pour trop de peuples sacrée : Jérusalem, pour laquelle on mourra volontiers encore ; Jérusalem la sainte, que ne semblent mériter, pourtant, que ceux qui lui versent grassement le tribut du sang ; Jérusalem, théoriquement «réunifiée» depuis trois décennies déjà par Israël mais où subsiste tenacement, dans les murs comme dans les cœurs, l’ancienne frontière. Des pierres pour libérer le sol national : aucune forme de résistance, mieux que l’intifada, ne pourra jamais symboliser de si puissante manière le précieux, l’indestructible cordon ombilical reliant l’homme et sa terre. C’est qu’elle affectionne les symboles, l’histoire, et qu’elle finit souvent par récompenser ceux qui en font une affaire de vie. Ou de mort, car telle est la dure loi des nations. Non point, bien évidemment, qu’à ce terrible impôt du sang, l’infortuné peuple palestinien n’ait pas déjà payé plus que son dû. Mais ce n’est pas porter insulte aux immenses sacrifices consentis durant le demi-siècle écoulé, bien au contraire, que de voir dans les générations actuelles celles qui ont su enfin optimiser, au-delà du possible, cet incessant combat. C’est du dedans qu’ils se battent désormais, les jeunes Palestiniens, sans plus compter sur les classiques serments de solidarité des frères arabes. Et de transformer en enfer la plus inexpugnable des forteresses. Ce que l’intifada a magistralement réussi à faire c’est de réunir dans son inégal combat, et cela pour la première fois sans doute dans les annales du conflit de Palestine, les deux conditions indispensables du succès : la force d’impact auprès des chancelleries comme des consciences ; et l’énorme courant de sympathie internationale que commandent ces adolescents risquant à tout instant leur vie pour conspuer et lapider l’occupant : un occupant condamné à assumer publiquement, désormais, le sale rôle qui n’a jamais cessé en réalité d’être le sien. C’est qu’elles ne vont pas l’une sans l’autre, ces deux conditions. Le monde est ainsi fait qu’il peut, certes, sous le feu roulant d’une actualité fortement médiatisée, prendre conscience d’une cause qu’il pressent juste ; mais il mesurera bien chichement parfois sa faveur à un tel combat car pour une raison ou une autre, ce dernier n’a provoqué en lui aucun sursaut. Il ira même parfois, le monde, jusqu’à s’inquiéter égoïstement des retombées néfastes que peut avoir cette grave affaire sur ce qu’il est convenu d’appeler l’ordre international, sur sa vie, sur sa prospérité économique, sur son confort. À l’inverse, ce même monde peut se montrer capable de compassion, mais sans plus d’engagement : compassion pour ces réfugiés par exemple, croupissant depuis des décennies dans les camps de la misère mais dont on avait fini par oublier qu’il faudrait bien un jour les rétablir dans leurs droits ou, du moins, une partie de leurs droits. Ces deux ingrédients – force d’impact, sympathie mondiale – la résistance armée n’a jamais pu, ou su, les associer indissolublement dans sa longue et coûteuse lutte. Car s’il est vrai que les raids de fedayine, les attentats aux explosifs, les prises d’otages, les détournements d’avions ont eu un retentissement planétaire, qu’ils ont rappelé la Palestine au bon souvenir de l’univers, il n’est pas moins vrai qu’ils ont engendré en même temps un vaste phénomène de rejet : ils ont dissimulé aux yeux de l’opinion internationale le véritable terroriste, un terroriste de vocation, de goût et de tempérament, l’État d’Israël. En se fourvoyant en Jordanie puis au Liban, la guérilla aura gaspillé par ailleurs une somme effroyable de vies et d’énergies humaines qu’il eût mieux valu investir dans une résistance interne enracinée dans le sol national. Combien elle eût marché plus vite l’histoire, encore elle, si dès le lendemain du désastre de 1967, la priorité avait été donnée à la révolte permanente dans les territoires occupés, si l’on n’avait pas prétendu faire passer par Amman, Beyrouth et jusque par Jounieh la route de la Palestine. Si l’on avait eu le courage politique d’accepter à temps ce qui était accessible, au lieu de traiter de traîtres les rares leaders arabes prônant la négociation, celle-là même que les tenants des divers volets se bousculent pour solliciter aujourd’hui. Si l’on n’avait pas été continuellement en retard d’une paix, pour finir par se perdre dans les labyrinthes de l’accord d’Oslo. C’est une génération palestinienne née sans doute trop tard que mobilise l’intifada. Mais l’avenir lui appartient déjà. Car à Jérusalem, et il faudra peut-être en remercier Ariel Sharon pour son insolente promenade sur l’Esplanade des mosquées, elle fait acte de possession, aujourd’hui, de tout un passé politico-religieux : un passé que n’est plus en mesure d’occulter ou de défigurer l’usurpateur malgré sa folie meurtrière, malgré toutes ses atteintes à la Ville sainte. L’an prochain à Jérusalem ? Elle prendra peut-être tout son temps, l’histoire, elle en a la fâcheuse habitude. Mais on peut désormais parier qu’elle finira bien par être au rendez-vous.
C’est un sentiment de douleur, de rage horrifiée, mais paradoxalement un sentiment d’espoir aussi qu’inspire l’actuel déchaînement de violence dans les territoires palestiniens occupés. De douleur bien naturellement, à la vue de tous ces jeunes corps ensanglantés allant grossir le nombre déjà considérable de martyrs tombés pour que revive une patrie ; d’horreur...