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Actualités - REPORTAGES

Reportage - Rmeich, Debel et Ain Ebel après la tempête électorale Pour les villages chrétiens, une intégration ratée (photo)

En près de quatre mois, la libération et les élections législatives sont passées par là, mais les villages chrétiens de l’ex-bande frontalière continuent à être les parents pauvres de la région. Un véritable séisme a frappé Rmeich, Debel, Aïn Ebel et leurs habitants ne parviennent toujours pas à dépasser le choc, sans que nul ne se soucie réellement de leur sort. Ils ont pourtant voté, pas tellement dans l’espoir que quelque chose change, mais plutôt par soif de la légalité, cette légalité dont ils ont été privés depuis plus de 22 ans et qu’ils continuent à attendre. Le printemps de la libération a été suivi de l’été de la peur et maintenant l’automne s’installe dans le Sud libéré, avec ses couleurs nostalgiques et cette tristesse qui est désormais inhérente à la région. Debel cherche à conjurer le sort en accrochant des portraits flambant neufs du président assassiné Béchir Gemayel pour le 18e anniversaire de sa mort, des portraits particulièrement anachroniques sur les murs lépreux qui portent encore les stigmates de la désolation et de l’abandon. Aïn Ebel affiche aussi son identité, avec les croix rouges des Forces libanaises fraîchement peintes sur ses murs, mais Rmeich la stoïque ne veut accorder son allégeance qu’au président de la République Émile Lahoud, dont le portrait trône sur la place principale du village. Ici, même le ministre et député réélu Assaad Hardane est interdit de portrait, à la demande expresse du curé du village Négib el-Amil (un nom pas vraiment de circonstance) devenu une sorte de père spirituel des ouailles complètement déboussolées. « Depuis le début, ils nous considèrent comme des traîtres » Après l’animation des villages chiites devenus, depuis le 25 mai dernier, un immense chantier de reconstruction, le calme des villages chrétiens est impressionnant. Il raconte, à lui seul, la tragique histoire d’une libération avortée et d’une intégration ratée. À qui la faute ? Sans doute un peu à tout le monde, mais les habitants de ces villages n’en finissent pas de payer le prix fort pour des fautes réelles ou imaginaires. «Depuis le premier jour de la libération, raconte Siham, qui tient un restaurant à l’entrée du village de Rmeich, “ils” nous ont considérés comme des traîtres. Et depuis, nous avons le sentiment de payer pour cela». Si tout autour de ces villages les routes sont recouvertes d’une asphalte noire et brillante, à Debel, Aïn Ebel et Rmeich, les crevasses s’agrandissent de jour en jour. Aucune construction en vue, mais plutôt des boutiques qui ferment par manque de clients. Même la boulangerie de Rmeich, jadis célèbre dans la région pour son pain croustillant, ne travaille plus que trois jours par semaine, les habitants des villages voisins n’achetant pas leur pain ici. «Avant aussi, ils ne le faisaient pas, raconte une villageoise, mais les miliciens de l’ALS achetaient suffisamment de pain pour faire fonctionner la boulangerie. Aujourd’hui, il n’y a plus assez de clients…». Dans tous les villages chrétiens, c’est la même ambiance morose. Certes, il y a un peu plus d’animation dans les rues, mais les échanges avec les villages chiites voisins, notamment Aïta Chaab, surnommé dans la région de «Qom du Liban», à cause de ses convictions intégristes, restent très limités. Le père al-Amil cherche à minimiser ces données. «Nos voisins sont très courtois et certains d’entre eux ont pris en gérance des terres de nos villages et nous nous croisons tous les matins, mais ils ont leurs coutumes et nous avons les nôtres». Du temps de l’ALS, les villages chrétiens ne se sentaient pas aussi isolés, puisqu’à l’époque les responsables de la milice leur réservaient leurs faveurs. En réalité, tout le problème est là : la résistance ayant pris une coloration chiite, dans ces villages, les miliciens se sentaient en sécurité et les habitants tout en n’étant pas engagés sous la bannière de l’ALS profitaient de ses bienfaits. Contrairement à leurs voisins chiites, ces villages n’ont connu l’exode qu’avec la libération, lorsque plusieurs familles se sont réfugiées en Israël. Et depuis, ils ont du mal à s’en remettre. Voter pour se faire accepter… «Il faut que ceux qui sont partis puissent revenir chez eux». Cette phrase revient sans cesse dans toutes les conversations, comme une litanie ou une prière. Pour les habitants de ces villages, les procès actuellement en cours ne sont guère encourageants. «Les villageois qui se sont livrés à la justice n’ont pas encore été jugés. Cela fait quatre mois qu’ils croupissent en prison sans autre forme de procès. Entre-temps, leurs familles vivent sans ressources, dans l’angoisse». Certes, les perquisitions justifiées ou arbitraires des premiers jours effectuées par les hommes du Hezbollah ont cessé, «mais il arrive encore aux services de renseignements de l’armée d’arrêter des gens du village, selon des listes qu’ils mettent constamment à jour». Dans les premiers temps, et alors que la population était encore déboussolée, des éléments incontrôlés se sont fait passer pour des éléments de la Sûreté de l’État pour s’approprier les biens de ceux qui se sont réfugiés en Israël. Mais très vite, les notables et à leur tête le père al-Amil ont contacté les autorités, notamment le chef de l’État et le président de la Chambre, pour mettre un terme à ces exactions. La situation s’est nettement améliorée, mais les habitants de ces villages continuent à se sentir exclus, et même montrés du doigt par leurs voisins chiites. «Mais enfin, s’écrie Siham, on nous demande d’effacer en quelques jours 25 ans de joug israélien. À Beyrouth, vous avez eu le temps de vous habituer à la nouvelle situation, nous on nous juge parce qu’il nous faut du temps pour nous adapter. Est-ce leur faute à ceux qui sont nés ici entre 1976 et 2000 s’ils n’ont connu que la situation d’occupation ? Pourquoi, au lieu de nous aider à nous adapter, s’empresse-t-on de nous condamner ?». L’épouse du curé, qui ne mâche pas ses mots, est pourtant fière d’annoncer que pendant toutes ces années le drapeau israélien n’a jamais flotté à Rmeich. «Nous ne sommes pas des traîtres, juste des citoyens qui tentent de survivre». Les habitants de ces villages ont cru trouver dans les élections législatives l’occasion de s’intégrer à la légalité toute neuve chez eux. Ils ont accueilli toutes sortes de candidats, ceux du «rouleau compresseur» et les individuels, répétant tous qu’ils ont hâte de revenir à la patrie, mais qu’ils craignent en raison de la crise économique de regretter les temps prospères de l’occupation. En vain. Ils sont tous venus, ont tous promis et ont tous disparu à la fin du scrutin. Les habitants ont pourtant voté en faveur de la liste de coalition dont ils ne connaissent pas la plupart des candidats. Non par peur ni à cause des pressions, comme cela a été dit, mais «pour nous sentir des citoyens à part entière». Ils sont toutefois conscients que s’ils devaient réellement choisir, ce ne sont pas ces candidats qu’ils auraient élus. Mais depuis, la libération, ils ont le sentiment qu’ils doivent se contenter de peu. «L’avenir ? lance le père al-Amil. Il sera sans doute à l’image des années de misère et d’abandon que le Sud a connues avant la guerre». Le printemps de la libération n’aura donc été qu’un automne pour les oubliés de l’espoir.
En près de quatre mois, la libération et les élections législatives sont passées par là, mais les villages chrétiens de l’ex-bande frontalière continuent à être les parents pauvres de la région. Un véritable séisme a frappé Rmeich, Debel, Aïn Ebel et leurs habitants ne parviennent toujours pas à dépasser le choc, sans que nul ne se soucie réellement de leur sort....