Politique et petits doigts de pied

Les hommes et les femmes en Occident – un peu ailleurs aussi – sont des êtres humains à part entière, ils ont un système nerveux, un système pileux, deux yeux, une bouche et deux oreilles. Comme les Libanais. Ils aiment leurs enfants, ils n’en font pas beaucoup mais ils les saoulent, souvent, de tendresse. Comme les Libanais. Ils attendent le week-end avec impatience, une mer, une montagne, ou un balcon, les petits doigts de pied en éventail d’infante flamenca. Comme les Libanais. Ils achètent une belle voiture, et ils l’aiment leur voiture, ils la bichonnent, une prunelle d’œil. Comme les Libanais. Ils se rencontrent parfois au bureau, touchés par la grâce en plein cœur, ils vivent ensemble longtemps. Comme les Libanais. Les hommes et les femmes en Occident – un peu ailleurs aussi – choisissent chaque semaine six numéros, Loto mon beau Loto, ils fantasment leurs châteaux en Espagne. Comme les Libanais. Ils s’inscrivent au yoga, au cha-cha-cha, au golf, ils apprennent l’émail et la poterie aux cours du soir. Comme les Libanais. Ils cultivent le navet, se précipitent pour bouffer des pop-corns graisseux devant une crétinerie made in US, ils s’extasient et crient au génie devant les sculptures ou les collages hallucinés d’un artiste abscons et hermétique venu d’ailleurs. Comme les Libanais. Ils aiment à découvrir de nouvelles saveurs, la cuisine japonaise, thaïlandaise, lettone ou sénégalaise, ils adorent. Comme les Libanais. Les hommes et les femmes en Occident – un peu ailleurs aussi – se plongent jour après jour dans d’énormes et gloutonnes toiles d’araignées, ils surfent sur Internet, les yeux rivés sur leur écran, ils «chattent». Comme les Libanais. Ils font sonner leur portable, ils l’habillent de toutes les couleurs, ils exhibent leurs polos Lauren, leurs sacs Gucci, leurs carrés Hermès, leurs œufs de caille Cartier au doigt, ils lisent Jeune et Jolie. Comme les Libanais. Ils se mêlent de politique, confondent la gauche avec la droite, ils trouvent un tel coincé, une autre bien foutue, un troisième trop obsédé par le plus petit des maroquins. Comme les Libanais. Les hommes et les femmes en Occident – un peu ailleurs aussi – sont en grande majorité citoyens, conscients de leurs droits et de leurs devoirs, citoyens d’un État, un vrai, avec un gouvernement, un Parlement et une Justice à leur service, ils ont ainsi appris à aimer leur pays, à le respecter, ils ont évolué. On peut toujours rêver.