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Actualités - INTERVIEWS

Rencontre - L'ex-otage raconte sa terrible expérience à l'Orient Le Jour Marie Moarbès : les messages de soutien m'ont donné la force de me battre(photos)

«J’ai beaucoup de chance. Je suis entourée d’affection. Tout cet élan de solidarité, tous ces gens que je ne connais pas qui m’ont envoyé des prières, des encouragements, des félicitations, moi, une personne toute simple, qui avait claqué la porte de son appartement pour un voyage de deux semaines… et me voici de retour, alors que six de nos compagnons sont encore là-bas…». Marie Moarbès a beau être une personne forte, dès qu’elle évoque les otages occidentaux encore aux mains du groupe Abu Sayyaf, elle a les larmes aux yeux. En cette jeune femme si frêle, il y a tellement d’émotion que l’interlocuteur le plus indifférent en est tout retourné. Elle parle avec ses yeux immenses, ses mains, et bien sûr avec sa bouche. Mais même dans ses silences, il y a un monde de confidences et on en redemande, on veut tout savoir, tout en étant conscient que les nombreux visiteurs attendent et qu’il y aura toujours, pour celui qui n’a pas vécu une telle expérience, des choses incompréhensibles, insaisissables. Marie Moarbès aurait voulu que son arrivée au Liban se fasse dans la plus grande discrétion. Elle a donc été très surprise de voir des photographes l’attendant à l’AIB. Depuis, son téléphone ne cesse de sonner, à la grande désolation de son père l’avocat Michel Moarbès, soucieux avant tout de la protéger. Car, ce n’est sans doute pas facile de passer de la jungle de Jolo – où il lui arrivait, certains soirs de déprime, de sentir qu’elle n’existait plus – aux lumières des projecteurs, en se découvrant brusquement transformée en vedette, mais la jeune femme en a vu d’autres. Avec un mélange de détermination et de gentillesse, elle se jette à l’eau, interrompant son récit lorsque les détails peuvent nuire à ses compagnons encore détenus, passant avec humour sur les situations les plus difficiles, comme si par pudeur, il valait mieux en rire. Passionnée de plongée sous-marine, Marie avait décidé, avant de commencer un nouveau boulot, de prendre deux semaines de congé en se livrant à son hobby favori. L’île de Sipadan étant connue pour être le paradis des plongeurs, c’est là qu’elle choisit de se rendre. «Elle était classée comme lieu sûr», précise la jeune femme qui ajoute qu’en général, elle n’aime pas l’aventure, menant une vie plutôt calme et sans histoire. Elle arrive donc sur place le samedi soir, fait de la plongée dans la journée de dimanche. «C’était merveilleux», souligne-t-elle. Puis vers 19h, se rend au restaurant. Le groupe de 23 personnes commence à dîner en tenue de plage lorsque des éléments armés débarquent, le visage dissimulé sous des cagoules. Ils commencent par leur prendre leurs montres et autres objets de valeur et les touristes croient d’abord qu’il s’agit d’un simple vol, puis les éléments armés leur demandent de se diriger vers la plage, sans leur donner le temps de se changer. De là, ils sont priés sans ménagement de monter à bord de deux barques. Comme il faisait nuit, les touristes ne savent pas qui est monté et qui est resté sur place. Ils pensent simplement à deux de leurs compagnons qui faisaient de la plongée nocturne et qui ont échappé à l’aventure. Le trajet en barque dure 20 heures et les passagers malgré eux sont recroquevillés, la tête sur les genoux pour éviter d’attirer l’attention des pêcheurs croisés en mer. Les touristes ne savent rien de leur destination et ne comprennent pas ce qui leur arrive. Ils restent ainsi «dans l’eau de mer, l’urine et l’essence, sans boire ni manger». Dialogue à l’aide des fusils Ils débarquent enfin sur l’île de Jolo, et la longue marche dans la jungle commence pour les 21 touristes (les deux Américains se sont, dit-on, enfuis) dont la plupart sont pieds nus. Ils sont trop épuisés pour poser des questions, d’autant que leurs ravisseurs ne parlent ni anglais ni français. Ils atteignent finalement une hutte en bambou qui leur servira de premier point de repère. L’aube pointe déjà. Ils achèvent leur premier jour de détention. Constamment entourés de gardes armés, ils osent à peine parler entre eux et toutes sortes de scénarios leur passent par la tête. «Nous avons cru qu’il s’agissait d’un groupe qui faisait la traite des blanches en Asie ou d’une tribu dont le principal rite était le sacrifice des blancs. Nous ignorions tout et le seul dialogue avec les geôliers se faisait par gestes. Ils répondaient avec les fusils». Les geôliers leur apportent un peu de riz qu’ils doivent manger avec les doigts. Au début, cela leur semblait difficile, mais à la fin c’était devenu une habitude. Comme il y avait des Malais parmi les otages, les Européens leur demandent ce qu’ils parviennent à comprendre des conversations des ravisseurs. Finalement un de ces derniers cherche à les rassurer. «Ne vous inquiétez pas. Vous êtes des instruments pour que notre gouvernement accepte de nous parler». Dès cet instant, ils cessent d’être des êtres humains, mais seulement des objets entre les mains des ravisseurs. Ceux-ci commencent par leur demander d’écrire des lettres adressées au gouvernement philippin pour le sommer de parler aux ravisseurs signées de leur nom et de leur nationalité. Les otages s’exécutent volontiers, pensant que l’affaire sera rapidement réglée et Marie signe la sienne : Marie Moarbès, libanaise. «Un vrai cauchemar» Mais les jours passent et l’horizon n’apporte aucune nouvelle. Les otages comptent les semaines de dimanche en dimanche. Ils sont coupés du monde entier. Il y a bien une radio, mais elle diffuse des programmes dans le dialecte local et il est impossible d’y comprendre quelque chose. Les otages se séparent par petits groupes, selon les affinités, mais se retrouvent lorsque les dangers deviennent menaçants. C’est surtout le cas lors des attaques de l’armée philippine contre le camp des ravisseurs. «Ce fut atroce, raconte Marie. Comme dans le dernier film de Spielberg, sauf qu’il ne s’agissait pas d’un film. Des avions, des obus, des tirs de partout, un type qui tombe devant nous, des courses hystériques dans la jungle, un vrai cauchemar». Par la suite, les otages sont transportés dans un autre camp et «la vie» commence à prendre un rythme routinier. Marie reconnaît que son initiative de soigner un des ravisseurs blessés déplaît à certains de ses compagnons. «Mais pour moi, un blessé est un blessé et l’action humanitaire ne doit pas être discriminatoire». Elle a donc soigné ce jeune homme et beaucoup d’autres. «À la fin, nous étions devenus leurs docteurs. Pourtant je n’avais qu’un brevet élémentaire de secouriste». Au début, les otages se racontent leurs vies respectives, commentent des films ou des livres lus, font des projets d’avenir, parfois sans trop y croire, mais tout cela est bien vite épuisé et ils s’ennuient terriblement à tourner en rond en broyant du noir. «Nous avons craqué à tour de rôle et chaque fois, il se trouvait quelqu’un pour tenter de nous remonter le moral». À partir du deuxième mois, ils commencent à recevoir des cahiers et ils se mettent à écrire. Puis le courrier est devenu un peu plus régulier. «Quand on recevait une lettre, on était heureux pendant une semaine, puis la déprime recommençait». Il faut sans doute un grand courage pour tenir le coup ? «Je ne crois pas, dit-elle. Toute personne placée dans une telle situation trouve en elle la force de résister. Moi-même, je ne croyais pas que je pouvais survivre à de telles conditions. On découvre en soi des ressources insoupçonnées». Marie Moarbès se tait un instant puis reprend : «Ce sont les messages reçus pendant ma détention qui m’ont donné la force de me battre. Sans tous ces gens, j’aurais sans doute craqué». Elle n’en revient toujours pas d’avoir reçu tant de lettres. «Des gens qui ne me connaissaient pas me disaient qu’ils priaient pour moi, qu’ils étaient fiers de moi et d’autres, d’anciens camarades de classe, de vagues connaissances, voulaient partager mon malheur. C’était incroyable. Pour eux tous, je sentais que je ne devais pas me laisser aller. Même si à certains moments, il était difficile de croire à notre libération». Marie rappelle que les messages provenaient de Libanais des quatre coins du monde. «Je suis très honorée de toute cette attention. Je me demande si, à leur place, j’aurais fait la même chose». Certains soirs, pour se donner du courage, Marie lançait à ses compagnons : «Mandela est resté 21 ans en prison, pour nous cela ne fait que quelques mois». Marie raconte qu’elle n’a rencontré le médiateur libyen Rajab Azzarouk qu’une seule fois le 27 mai, lorsqu’il est venu au camp. «C’était la première fois que nous voyions des gens autres que nos geôliers, à part les journalistes. Il nous a rassurés affirmant que notre affaire était en bonne voie». Le monde oublie les autres Le plus dur, c’était justement les rumeurs sur leur libération prochaine. La déception n’en était que plus terrible. C’est pourquoi Marie a eu cette poignante déclaration à la télévision, taxant ses ravisseurs de menteurs et demandant à ses parents de ne croire personne. «Cette fois-là, c’était insupportable. On nous avait annoncé qu’on serait libérés. “Ton père est à Zamboanga et ta mère en Libye”, m’avaient même dit les ravisseurs et je croyais que le cauchemar était fini. Et puis, plus rien, sans la moindre explication. J’ai pensé à mon père, cet homme malade qui s’est traîné jusqu’à cette île pour m’accueillir, et j’ai eu peur qu’il ne fasse une attaque cardiaque. C’était tellement injuste pour nos familles». Aujourd’hui, Marie ne supporte pas l’idée que six de leurs compagnons soient encore à Jolo. «J’aurais voulu sortir en dernier, parce que je pouvais encore tenir. Et maintenant si l’un d’eux ne s’en sort pas, je porterai un sentiment de culpabilité jusqu’à la fin de mes jours». La jeune femme forte qui affirme vouloir faire encore de la plongée a soudain les larmes aux yeux. «S’il vous plaît, faites campagne pour leur libération. J’ai l’impression que le monde les oublie un peu». Marie raconte encore que lors de sa libération, elle ne comprenait rien à ce qui se passait. «Tous ces gens, tous ces produits. Des draps… Je n’arrive d’ailleurs toujours pas à retrouver une vie normale. Peut-être qu’avec le temps, ça viendra». Mais son principal souci, voire son obsession, c’est de revoir ses compagnons. «J’ai besoin de les revoir. Nous sommes devenus une famille». Elle en a donc plusieurs désormais, puisque, après les quelques jours en France, elle est revenue à Beyrouth pour y rencontrer sa grande famille libanaise, les amis d’abord, bien sûr, mais aussi les milliers d’inconnus qui l’ont aidée et soutenue. Et à travers cet entretien, c’est à eux tous qu’elle s’adresse, heureuse et flattée de pouvoir leur rendre un peu de leur affection. Le salon est plein de monde. Tous attendent pour parler à l’ex-otage. Il est donc temps de partir. Un dernier mot toutefois : merci Marie.
«J’ai beaucoup de chance. Je suis entourée d’affection. Tout cet élan de solidarité, tous ces gens que je ne connais pas qui m’ont envoyé des prières, des encouragements, des félicitations, moi, une personne toute simple, qui avait claqué la porte de son appartement pour un voyage de deux semaines… et me voici de retour, alors que six de nos compagnons sont encore...