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Actualités - OPINION

Heures H

Un plébiscite pour la bête noire du régime, Rafic Hariri, ou bien un vote de défiance – et même de désaveu – sanctionnant durement la gestion de son pâle successeur, Sélim Hoss ? Le séisme électoral de Beyrouth était, sans doute, les deux. Car la persécution est une lame à double tranchant, une arme qui ne fait parfois que précipiter l’alternance tant redoutée : surtout lorsque la politique de vindicte pure se double d’un immense vide au niveau des prestations politiques, administratives ou économiques et financières. On s’est contenté, durant les deux dernières années, de charger Rafic Hariri de tous les maux du pays, comme si un gouvernement pouvait vivre et faire de vieux os sur les abus d’un autre ; on a poursuivi ou fait mine de poursuivre certains de ses plus proches collaborateurs alors que l’on laissait courir, ou même que l’on récompensait d’autres figures éclaboussées par des scandales notoires, immobiliers notamment. On s’est mesquinement échiné à démolir Hariri, et avec lui les chantiers inachevés de son programme de reconstruction, sans rien édifier ou réédifier à la place : ni une administration saine, car redoutant le couperet d’une inspection aussi impartiale que vigilante ; ni une économie de survie cohérente et crédible ; ni enfin l’État des institutions dont on attend encore ne serait-ce que l’ébauche d’une gestation, et cela une décennie entière après le difficile et trompeur accouchement de Taëf. À plus d’un égard cependant, le scrutin de dimanche dans la capitale traduit une modification sensible de la règle du jeu, laquelle paraissait figée dans le cadre étouffant des contraintes de l’après-guerre. Oui, la vie politique est en train de renaître au Liban, après une morne hibernation forcée, maintes violations des textes, bien des exclusions et des procès à sens unique, après une longue série de lois électorales scélérates et autres offenses à la représentation nationale : atteintes dont il n’est pas inutile de rappeler d’ailleurs qu’elles étaient, aussi, le fait de plus d’un gouvernement Hariri. Ce que le scrutin de l’an 2000 a soudain révélé aux Libanais c’est que pour peu que soit atteint un niveau suffisant de mobilisation populaire, le plus arbitraire des découpages électoraux peut très bien se retourner contre ses propres architectes. Ainsi les responsables ont-ils scindé Beyrouth en trois circonscriptions, à seule fin d’endiguer l’opposition haririenne ; à force de maladresses cependant, dont la plus bassement stupide était sans doute ce dévoiement insensé des médias publics qui a précédé le scrutin, ils n’ont réussi qu’à provoquer une vague de fond, une déferlante qui a emporté toutes les digues sur son passage. Ainsi, et pour la première fois dans les annales libanaises, un Premier ministre en exercice est battu à plate couture, au point de perdre son propre siège à l’Assemblée. C’est la première fois de même qu’est pris en défaut le facteur arménien (et plus précisément la machine du parti Tachnag) qui, depuis un demi-siècle, déterminait l’issue de toute consultation à Beyrouth. Les suffrages de la communauté arménienne ne sont plus garantis d’office, désormais, au pouvoir du moment ; sous la poussée de ses jeunes générations, cette communauté ne veut plus du statut de protégé – de protégé tenu à vie par le devoir de gratitude envers l’autorité – dans lequel la confinait cette vieille tradition électorale ; elle veut s’affirmer comme une communauté à part entière qui, sans pour autant renier son patrimoine, donne à voir depuis quelque temps un bel effort d’intégration nationale, politique, culturelle et même linguistique. Et puisqu’il est question de langue, c’est tout le discours politique qui est salutairement en train de changer dans notre pays, à la faveur de ces élections : élections conçues pourtant dans la perspective de changements d’un tout autre genre, et dont les programmateurs pensaient que la savante préparation rendait superflue toute manipulation par trop flagrante des urnes. Une liberté de ton nouvelle peut être observée en effet, et pas seulement chez les ténors de l’opposition. On ne dénonce plus «les interventions occultes», mais, de plus en plus souvent et très explicitement, les ingérences des services de renseignements, qu’ils soient syriens ou libanais. On ne craint plus d’arracher leur drap blanc aux insaisissables, aux longtemps anonymes «fantômes» prétendant régenter une démocratie libanaise tronquée et bien approximative certes, mais qui a invariablement résisté – et survécu – à toutes les tentatives de militarisation du système. On appelle ici et là à une union nationale véritable, libre de toute exclusion et faisant appel aux représentants authentiques des diverses fractions libanaises. On réclame sans défi bien sûr, mais sans flagornerie et sans crainte non plus, un rééquilibrage des relations libano-syriennes : tous développements que devra nécessairement prendre en compte la nouvelle direction syrienne, dont il est permis de croire qu’elle est elle-même sujette aux vents du changement. En définitive, c’est moins la nostalgie de l’ère Hariri que l’espoir d’un sain fonctionnement des institutions, allant de pair avec une émancipation même graduelle du pays, qui anime aujourd’hui l’opinion qui ravive en elle l’intérêt pour la chose publique. Cet espoir, il incombe au pouvoir – mais aussi à l’opposition – de le préserver, de l’entretenir dans l’intérêt de la nation. En réaffirmant dimanche sa détermination à agir selon la Constitution, le président Lahoud a entrepris de rassurer ceux qu’avaient émus et alarmés les extravagants propos de certains de ses proches; voilà qui rendait superflue la tardive, et au demeurant fort imprécise, mise au point publiée le même jour par le ministre de l’Intérieur. De l’opposition actuelle en revanche, on attend qu’elle prouve que ses options réformatrices n’étaient pas seulement une démarche tactique, un slogan électoral. Que le temps est venu de retrouvailles véritables sans lesquelles il ne peut y avoir de Liban, d’une pratique effective de la démocratie à la lumière de toutes les erreurs du passé, récent et moins récent. Il y va, après tout, de bien plus qu’un Monsieur H à la place d’un autre.
Un plébiscite pour la bête noire du régime, Rafic Hariri, ou bien un vote de défiance – et même de désaveu – sanctionnant durement la gestion de son pâle successeur, Sélim Hoss ? Le séisme électoral de Beyrouth était, sans doute, les deux. Car la persécution est une lame à double tranchant, une arme qui ne fait parfois que précipiter l’alternance tant redoutée :...