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Actualités - REPORTAGES

Beyrouth I - Panachage à l'Est, liste complète à l'Ouest L'indifférence d'Achrafieh et de Saïfi détonne avec l'effervescence de Mazraa

Beyrouth l’indifférente. Beyrouth l’enfiévrée. La première boude, boycotte ou vote timidement. La deuxième s’agite, s’enflamme et vote presque comme un seul homme, pour un seul homme. À 16h, le taux de participation à Achrafieh et Saïfi n’avait même pas atteint les 25 % en moyenne. Il avait déjà dépassé les 55 % à Mazraa. Beyrouth I n’a pas suivi d’un même élan la dynamique électorale, ce qui a, du coup, minimisé les chances des listes et des candidats indépendants de percer la liste Hariri, ce rouleau compresseur – comme se plaisaient à l’appeler les électeurs de l’ancien chef de gouvernement – qui menace de tout balayer sur son chemin. Majoritaires à Beyrouth I, les voix sunnites se sont orientées presque toutes vers la liste haririenne de «la dignité». Beyrouth I peut quand même se targuer d’avoir été le théâtre d’une guerre sans merci : celle que les délégués des 32 candidats aux 6 sièges de cette circonscription ont dû mener contre les listes panachées, distribuées à l’entrée des bureaux des 257 bureaux de vote. L’électorat chrétien a donc une fois de plus manqué au rendez-vous. Le matin, les candidats assurent qu’il est encore tôt, que les habitants d’Achrafieh n’aiment pas être bousculés. En fin de matinée, ils pensent qu’il faudra attendre que l’heure du déjeuner passe et affirment que de tout temps, les électeurs attendent l’après-midi pour se rendre aux urnes. Mais passé 16h, il fallait se rendre à l’évidence : Achrafieh ne veut pas voter. Saïfi encore moins. Dans les bureaux de vote de ce quartier portuaire, le taux de participation n’avait pas dépassé les 15 % en moyenne. Pourtant le matin, tout portait à croire qu’Achrafieh était saisie d’une véritable fièvre électorale : l’effervescence dans les rues, les embouteillages, le va-et-vient incessant des convois hurlant les mérites des candidats qui les financent. Mais très vite, on découvre que cette agitation n’est due qu’à la présence des délégués, qui, par milliers, envahissent les rues et vont jusqu’à improviser des barrages pour distribuer les listes de candidats aux passants et aux automobilistes. Ils portent pour la plupart les T.shirts bleu marine à l’effigie de Hariri et des casquettes blanches sur lesquelles on pouvait lire tantôt «ichtaknélak» (tu nous a manqué) tantôt «la’ayounak» (pour tes yeux). Le bouillonnement dans les rues détonne étrangement avec le calme imperturbable à l’intérieur des bureaux de vote, où le mouvement des électeurs est particulièrement fluide. Dans l’un d’eux, réservé aux femmes, à Chahrouri, une seule personne avait voté. «Mais il n’y a pas de quoi s’étonner. C’est tout à fait normal. Je tiens le bureau des centenaires. Regardez». Riant aux éclats, le chef du bureau de vote nous montre sa liste d’électrices, dont la plupart sont nées au début du siècle. Certaines, comme Georgine Jackard, sont nées en 1898. Dans les bureaux de vote adjacents, on se plaint des erreurs qui truffent les listes d’électeurs. Les gens arrivent, munis de leurs cates électorales, mais ne trouvent pas leurs noms sur les listes. Le même problème se pose dans plusieurs autres bureaux aussi bien à Achrafieh, qu’à Saïfi ou à Mazraa. Entouré de ses partisans dans son quartier général, place Sassine, Fouad Makhzoumi, dont la liste croise le fer avec celle de Rafic Hariri, se plaint de ce que ses électeurs n’ont pas pu, tous, retirer leurs cartes du ministère de l’Intérieur. Des listes panachées Ceux qui ont quand même voulu prendre part à la consultation populaire à Achrafieh glissent dans les urnes des bulletins panachés, à l’exception des Arméniens qui votent pour la liste Makhzoumi, au centre de vote de l’école publique Laure Moghaizel. Les électeurs ont préféré constituer leurs propres listes et certains révèlent volontiers qu’ils ont choisi Massoud Achkar (indépendant), Michel Pharaon (liste Hariri) et Michel Sassine (liste Makhzoumi). Rares sont les personnes qui affirment voter pour une liste complète. Michel, un sexagénaire, affirme avoir voté pour Hariri, «mais aussi pour Makhzoumi, parce qu’il faut que quelqu’un puisse faire contre-poids». «J’ai aussi voté pour lui, parce qu’il n’a pas beaucoup d’argent et qu’il est le fils d’Achrafieh», enchaîne-t-il en désignant du doigt le bureau électoral de Massoud el-Achkar. Ce dernier se trouve dans le parking où il reçoit Albert Moukheiber, député élu du Metn, venu lui exprimer son appui, au terme d’une tournée dans les bureaux de vote d’Achrafieh, «pour soutenir Massoud». «J’espère bien que nous lui dirons “Mabrouk»ce soir», déclare-t-il. Massoud Achkar brigue comme on le sait le siège maronite de Beyrouth, qu’il dispute avec sept autres candidats, victimes tous d’un panachage à outrance. Les partisans de Ghassan Matar (PSNS) distribuent des listes Makhzoumi et Hariri sur lesquelles le nom du candidat PSNS remplace respectivement ceux de l’ancien bâtonnier Antoine Klimos et du président de l’Ordre des médecins Ghattas Khoury. La rumeur court selon laquelle les partisans de M. Hariri à Achrafieh biffent le nom de M. Khoury au profit de M. Klimos. Une autre fait état d’un échange de voix entre MM. Achkar et Makhzoumi. À quelques mètres du centre de vote, à l’école secondaire des filles à Achrafieh, un homme d’une trentaine d’années assiste, l’air amusé, à l’agitation populaire devant la porte d’entrée. «Mais bien sûr que je n’ai pas voté», lance-t-il indigné en réponse à nos questions. «Suis-je bête ? Pour qui vais-je voter ? Mais ce sont tous des menteurs». Il laisse ensuite tomber d’un air désabusé : «Pauvres Libanais qui croient encore que leur voix sert à quelque chose d’autre qu’à conférer une légitimité à un fait accompli». Il se reprend pour dire que s’il ne boycottait pas, il aurait opté pour Massoud Achkar. Très populaire à Achrafieh, ce dernier se serait mis d’accord avec Tammam Salam sur un report de voix entre Beyrouth I et Beyrouth II. Mais l’accord n’aurait pas tenu. De toute façon, avec le taux de participation enregistré dans les quartiers chrétiens, M. Achkar n’aurait pas assuré un nombre important de voix à M. Salam. « Hariri et rien d’autre que lui » Contrairement à Achrafieh, Mazraa vote massivement. Sans l’organisation exemplaire et la discipline des forces de l’ordre, il aurait été difficile de circuler au sein des bureaux de vote. Postés devant les portes principales des écoles où ces bureaux sont installés, les agents des FSI filtrent les électeurs qu’ils laissent entrer par petits groupes seulement. À l’école Omar Farroukh, Mme Roula Houri, candidate à l’un des deux sièges sunnites de Beyrouth I, ne cache pas son irritation devant le raz-de-marée haririen et n’hésite pas à héler les électeurs : «Je suis la candidate Roula Houri. Votez pour moi. Encouragez l’élément féminin à la Chambre». Un étage plus bas, c’est le vote à la criée : «Jacques Tamer. N’oubliez pas Jacques Tamer», répète inlassablement un délégué. Mais les électeurs ne semblent même pas les entendre. Une haririmania semble s’être emparée de Mazraa. «Hariri, rien que lui. Les autres ne valent rien», scande un vieillard jovial, accompagné de deux femmes, en montant les escaliers menant aux bureaux de vote. Les autres n’hésitent pas à révéler qu’ils votent pour toute la liste Hariri. «Son programme est excellent et puis regardez ce qu’il a fait pour le pays». Ils ne veulent même pas entendre parler de la crise économique. «On ne lui a pas donné l’occasion de poursuivre l’application de son programme de redressement. N’oubliez pas qu’il n’est pas facile d’effacer en quelques mois les séquelles d’une guerre de quinze ans. De toute façon, moi j’aime Hariri quoi qu’il fasse», déclare Alia, une quinquagénaire voilée, un ton de défi dans la voix. Si un tel élan étonne, ailleurs la passivité suprend encore plus. «Je ne connais pas tous les colistiers de M. Hariri, mais j’ai voté pour sa liste telle qu’on me l’a donnée, en me demandant de la déposer dans l’urne». La jeune femme qui parle ainsi a à peine le temps de répondre avant d’être entraînée par sa mère. La liberté de choix et d’opinion, parlons-en... Mme Ghada el-Yafi, en tournée sur les lieux de vote, tente en vain d’expliquer à la foule qu’il est erroné de voter aveuglément pour une liste. «Mais Hariri est le sauveur des sunnites. Il est votre sauveur à vous et à nous tous», lui lance un homme. Mme Yafi s’indigne devant ce discours et essaie de mettre les électeurs en garde contre ceux qui jouent sur la fibre confessionnelle. Peine perdue. Elle essaie aussi de les encourager à choisir leurs candidats en fonction de leurs propres aspirations. «Mais Hariri a besoin de tous ses collaborateurs», obtient-elle pour toute réponse. Plus tard, Mme Yafi exprimera sa désolation devant ce discours sectaire et regrettera que «les gens oublient que c’est l’État et non pas des individus – qui n’ont de surcroît rien laissé à cet État qu’ils ont pillé – qui doit subvenir à leurs besoins». Elle regrette aussi que les Libanais aient oublié «l’action de M. Sélim Hoss en vue de l’édification de l’État de droit». À Ras el-Nabeh, l’appui à Hariri est moins soutenu et il y en a même qui déposent des bulletins blancs dans l’urne, comme la jeune Abir, âgée de 22 ans. «Aucun candidat ne me plaît. Ils sont tous des menteurs. Ils n’ont rien fait. J’ai quand même voulu déposer un bulletin blanc pour exprimer mon point de vue». Les Abir ne sont pas nombreuses et à Mazraa-Tarik Jédidé, c’est la haririmania qui l’emporte.
Beyrouth l’indifférente. Beyrouth l’enfiévrée. La première boude, boycotte ou vote timidement. La deuxième s’agite, s’enflamme et vote presque comme un seul homme, pour un seul homme. À 16h, le taux de participation à Achrafieh et Saïfi n’avait même pas atteint les 25 % en moyenne. Il avait déjà dépassé les 55 % à Mazraa. Beyrouth I n’a pas suivi d’un même...