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Actualités - OPINION

Retour de bâton

On aura tout vu : sans ironie ou presque, il nous faut absolument rendre grâces au pouvoir – et plus particulièrement à son outrecuidante figure de proue, le ministre de l’Intérieur Michel Murr – pour le revigorant remake de L’Arroseur arrosé qu’a donné à voir la première manche des élections législatives. On ne peut que se réjouir du nouveau souffle que les apprentis sorciers, sans évidemment le faire exprès, viennent de donner à une vie politique libanaise vidée depuis longtemps de toute substance. On applaudira à l’effet inattendu, au sursaut populaire qu’auront produit, en plus d’une circonscription, ce scrutin froidement programmé, l’aberrant découpage électoral, les alliances imposées par la Sublime Porte (ou bien alors par la porte de service), la manipulation des listes d’électeurs, les pressions à peine occultes, et par-dessus tout les torrents d’insanités hargneusement déversés, des semaines durant, par la propagande étatique : toutes préparations de base censées rendre superflues les contraintes physiques et morales par trop flagrantes comme les grossières fraudes du passé ; mais qui au bout du compte, et parce que trop c’est trop, se sont salutairement retournées contre leurs auteurs. A plus d’un égard en effet, c’est un véritable vote de défiance qu’est venu traduire le taux de participation assez élevé enregistré dimanche dernier. Défendable lors du scrutin de 1992, le boycottage a fait son temps, il est vrai. Dans leur immense majorité, du reste, les hommes publics n’ont jamais été tentés par la politique de la chaise vide ; mieux, et comme si la quantité pouvait compenser la qualité, l’érosion continuelle du prestige de l’assemblée n’a fait que décupler le nombre des candidatures, conduisant paradoxalement à un semblant de démocratisation – pas toujours heureux hélas – de la députation. Du côté des électeurs de même, les appels à l’abstention ont perdu leur attrait idéologique face aux dures réalités de la vie quotidienne. Dans une république qui ne dispense que chichement les services dus au citoyen, celui-ci a souvent besoin d’un relais, d’un recours, lequel ne peut être que le député : mieux, le député-ministre. Et mieux encore, le député-super-ministre. L’incontournable M. Murr l’a bien compris, qui de ses bureaux personnels a fait une tentaculaire industrie de services en tout genre, une administration bis doublant ce même appareil étatique dont il est pourtant un des principaux rouages, une officine capable de faciliter à volonté les formalités les plus improbables comme de bloquer les plus bénignes : bref une redoutable machine électorale, laquelle n’est pas pour peu dans l’incroyable aplomb dont fait montre à tout propos la très grise éminence du régime. Il reste qu’à vouloir trop bien faire, même les plus performantes des machines peuvent caler. Ainsi toute la hargne officielle, toutes les outrances – médiatiques ou autres – si peu dignement mises en œuvre contre Rafic Hariri, Walid Joumblatt et Nassib Lahoud n’auront servi qu’à paver une voie royale à ces hommes à abattre. Et il n’est pas déraisonnable d’escompter le même phénomène lors du second round électoral, à Beyrouth plus précisément, à moins naturellement que l’on se résigne à recourir aux grands moyens : sans plus de retenue cette fois, et avec tous les risques politiques que cela comporterait. Que Rafic Hariri revienne au pouvoir ou pas, là n’est pas la véritable question. Car quelle que soit la majorité parlementaire appelée à se dégager de ces élections, c’est une responsabilité bien lourde qui attend le président Émile Lahoud, dont les Libanais espèrent qu’il sera le premier à tirer judicieusement les leçons des derniers développements sans s’arrêter à ses affinités personnelles ou à celles de son entourage : qu’il saura évaluer sereinement, à leur juste mesure, les considérables changements survenus ces dernières semaines. La preuve est faite désormais en effet qu’un incessant, qu’un obsessionnel procès des gouvernements passés ne peut, à lui seul, tenir lieu de politique. La preuve, s’il en fallait absolument une, est en train d’être faite que les «hommes forts» ou prétendus tels du régime sont devenus un pesant boulet. Qu’ils n’ont finalement réussi qu’à entamer sa propre crédibilité auprès des citoyens qu’avait séduits l’engagement présidentiel, vigoureusement réitéré dimanche, d’édifier enfin l’État des institutions. Au plan plus largement national, ces changements para-électoraux sont porteurs de promesses. Marquée par le retour au pays, après un long exil forcé, de l’ex-président Amine Gemayel puis par le succès électoral de son fils Pierre, la réinsertion dans le jeu politique du leadership traditionnel des Kataëb revêt d’autant plus d’importance qu’elle se double d’une spectaculaire conjonction avec le PSP de M. Walid Joumblatt. Dont les dernières et courageuses prises de position, notamment pour ce qui a trait aux relations libano-syriennes, font à l’heure actuelle l’un des hommes politiques sans doute les plus populaires du pays. Que ces retrouvailles druzo-chrétiennes dans l’embryon historique du Liban, la Montagne, aient tant tardé à être parachevées est sans doute regrettable. Ce qui devrait donner à réfléchir cependant, c’est que cet élément central de la réconciliation nationale, tant chantée depuis la fin de la guerre mais invariablement demeurée incomplète, s’opère pour la toute première fois hors de la classique ombrelle de l’État. Il est vrai qu’il faut plus d’une hirondelle pour faire le printemps. Mais elle a été tellement plumée et depuis si longtemps, notre pauvre démocratie, que rien qu’à la voir montrer le bout du bec, les Libanais se sentent soudain pousser des ailes.
On aura tout vu : sans ironie ou presque, il nous faut absolument rendre grâces au pouvoir – et plus particulièrement à son outrecuidante figure de proue, le ministre de l’Intérieur Michel Murr – pour le revigorant remake de L’Arroseur arrosé qu’a donné à voir la première manche des élections législatives. On ne peut que se réjouir du nouveau souffle que les...