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Actualités - REPORTAGES

Environnement - Pas encore de plan de gestion pour un site classé réserve forestière La forêt de Qammouha : entre magnificence et abandon (photos)

Sur la route qui mène à la forêt de Qammouha, sur les hauteurs du Akkar (à 1 650 mètres d’altitude), des villages successifs offrent un spectacle de misère et de négligence. Des constructions sont agglutinées des deux côtés d’un bout de route qui ne connaît le bitume que tous les vingt ans à peine (ou à chaque élection avec un peu de chance). Les habitants de cette contrée, qui donne tout son sens à l’adjectif «déshéritée», doivent lutter quotidiennement pour une vie plus digne. Sur la route de Qammouha, rien ne vous prépare à la beauté qui accapare tout d’un coup votre regard, au détour d’un virage, plus haut que les dépotoirs fumants au bord des routes. Au sortir du village de Fneidek, des arbres centenaires déclinent leur beauté sauvage, leurs troncs tordus semblant sortir tout droit des roches. La beauté du paysage tient beaucoup à son irrégularité. Si les sapins de Cilicie sont dominants, des dizaines d’espèces d’arbres et de plantes font de cette forêt un écosystème exceptionnel vanté par les écologistes depuis plusieurs années : des cèdres (dans les hauteurs), trois genres de genévriers (arbres et arbustes), des anémones, des violettes, des primevères, des cyclamens, des coquelicots, des pivoines… L’une des fiertés des fils de Fneidek est une forêt de chênes chevelus caducs, la seule concentration pure qu’on connaisse de ces arbres. Encore très peu endommagée par la main de l’homme, bien conservée par les villageois, cette étendue verte s’étale sur plusieurs milliers de mètres carrés. La région de Qammouha, pour sa part, est grande : on peut s’y promener des heures dans un environnement de verdure, qui possède toujours un caractère sauvage. Certes, aussi belle soit-elle, cette forêt a besoin d’être protégée pour assurer sa préservation à long terme. Ses arbres centenaires et parfois millénaires, selon les habitants, sont clairsemés à certains endroits, signe que beaucoup d’entre eux ont été passés à la hache par des bûcherons, sans qu’aucun autre ne soit planté à leur place. Un vrai trésor de sapins de Cilicie Au ministère de l’Agriculture, on a pris conscience de la nécessité de préserver le site. Une décision de considérer Qammouha comme réserve forestière a déjà été prise, dans le cadre d’un plan de développement socio-économique d’une partie du Akkar, et en conformité avec la loi 558 datant du 24 juillet 1996 portant sur les forêts protégées et les réserves forestières. Cela implique que tout abattage d’arbres est désormais interdit par la loi, la surveillance effective du site demeurant un point d’interrogation. Il faut souligner que le texte 558 considère d’emblée tout bois de cèdres (cedrus libani), de sapins (abies cilicica), de genévriers (juniperus excelsa) et de cyprès (cupressus sempervirens) comme forêts protégées ou réserves forestières. Cependant, il manque au projet un plan de gestion qui serait appliqué sur le site. Une proposition de projet devrait être soumise par le biais du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) à des bailleurs de fonds. Avec l’application d’un éventuel plan de gestion et d’aménagement de la forêt, le Centre agricole et forestier de Qammouha, aujourd’hui fermé, devra être réhabilité et reprendre ses fonctions. Elsa Sattout, membre de l’association écologique Green Line et spécialisée dans l’exploitation durable des forêts de cèdres, insiste sur l’importance du site et la nécessité de le préserver. «Il s’agit d’une forêt ayant subi une forte dégradation, estime-t-elle. L’abattage des arbres mais surtout les pâturages (chèvres et moutons) l’ont beaucoup affectée. On n’y voit plus aucun signe de régénération». Selon Mme Sattout, il est urgent de gérer la réserve forestière de Qammouha de façon à la préserver correctement et empêcher que sa richesse naturelle ne s’étiole (une richesse qui tient beaucoup au nombre important de sapins de Cilicie dont on ne dénombre que peu de spécimens ailleurs). Mme Sattout pense cependant qu’il serait indispensable de convaincre auparavant les habitants locaux du bien-fondé de la préservation de la forêt. «Si on veut empêcher les bergers d’emmener leurs troupeaux paître dans la forêt (ou dans certaines parties de celle-ci), il faut leur indiquer un autre endroit pour le faire, souligne-t-elle. Si on veut arrêter l’abattage d’arbres, il faut expliquer aux habitants des villages voisins que la protection de la forêt peut leur être encore plus bénéfique, et les impliquer dans la gestion de la réserve. Dans le cas contraire, on ne peut les blâmer de ne pas appliquer scrupuleusement la loi». Initiative d’habitants En fait, un bon nombre d’habitants du village voisin de Fneidek sont conscients depuis longtemps des bienfaits de la conservation de leur forêt et souffrent de sa dégradation. Un comité de protection de la forêt de Qammouha formé de dix personnes a été créé par Badr Ismaïl, un habitant de Fneidek. «Durant les événements, nous avons observé une intensification de l’abattage des arbres, raconte-t-il. Nous avons décidé qu’il était dommage de perdre ainsi un patrimoine naturel si riche. Nous nous sommes employés à convaincre nos compatriotes de ne pas sacrifier des arbres centenaires. Ils se sont montrés coopératifs». Selon M. Ismaïl, son village paye chaque année dix millions de livres pour assurer des gardiens sur le site qui empêcheraient l’abattage des arbres et des plantations. Il déclare ignorer tout d’une décision ministérielle visant à considérer Qammouha comme réserve et se sent ainsi que les autres villageois comme délaissés par l’État qui n’accorde pas à cette affaire l’importance qu’elle mérite, selon eux. «Quand on a une si belle forêt, pourquoi ne pas la préserver ?, se demande-t-il. On paye tant pour faire vivre des arbres à Beyrouth. Ici, la nature n’a besoin que de protection. Si des arbres sont malades, personne n’est là pour le diagnostic. Le centre agricole de Qammouha (relié au ministère) ne fonctionne plus». M. Ismaïl considère que «les quatre à cinq millions d’arbres de différentes espèces se trouvant dans la forêt» devraient justifier l’intérêt du gouvernement. «Nous tentons de les protéger avec les moyens de bord, mais nous ne possédons aucune des nouvelles technologies», dit-il. En attendant un plan de gestion qui la protégera à l’avenir, la forêt de Qammouha conserve toute sa magnificence, d’autant plus précieuse qu’elle devient plus rare.
Sur la route qui mène à la forêt de Qammouha, sur les hauteurs du Akkar (à 1 650 mètres d’altitude), des villages successifs offrent un spectacle de misère et de négligence. Des constructions sont agglutinées des deux côtés d’un bout de route qui ne connaît le bitume que tous les vingt ans à peine (ou à chaque élection avec un peu de chance). Les habitants de cette...