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Actualités - OPINION

Tribune Franco-aphonie

Je dis ça parce que ce matin, après tant d’années passées à ânonner que le français était notre seconde langue officielle, et à décliner mon identité administrative sous les deux espèces, je m’aperçois que – tiens ! – je viens de régler ma taxe mécanique sous forme de fees. Déjà que la mention frais n’était pas très claire, c’est quand même la première fois que nous avalons nos couleuvres en anglais. Une privatisation occulte du service public ? L’amorce d’une rupture œdipienne avec notre mère présumée ? Curieux sursaut que ce recours soudain a l’esperanto du Nouvel Ordre. Ainsi donc, plus de Liberté, Égalité, Fraternité pour les contribuables des Mines. Comme nous n’y perdons pas grand-chose en matière de sécurité routière, je constate, sans m’émouvoir. Mais alors, pourquoi les guinguettes de montagne s’obstinent-elles encore à afficher ponfrit, 3 000 LL puisque french fries est autorisé et tout aussi méprisant pour qui n’entretiendrait son taux de cholestérol qu’en arabe ? Toute notre culture est là. Côté restauration, une carte en français, c’est chic, ça vaut son étoile. En anglais, ça évoque tout au plus la casquette assortie au tablier et la queue au comptoir. En arabe, pas la peine, on la connaît par cœur. Depuis notre évangélisation par toutes les missions d’Orient, ce ne sont pas tant nos multiples confessions qui nous opposent que – oui ! – nos secondes langues. On raconte que vers la fin des années cinquante une soirée amicale entre l’USJ et l’AUB avait fini par une rixe : les francophones, romantiques et conservateurs, refusaient de change partners comme l’ordonnait l’animateur au cours d’un rock endiablé. Les anglophones, férus de sports d’équipe, n’avaient pas de fiancées mais des partenaires, et les règles du jeu devaient être respectées. Aujourd’hui encore, rien n’a changé. Dans les jardins de l’AUB, anglos et francos forment des clans et se toisent avec méfiance. Pour tout compliquer, un nouveau et néanmoins brillant haut fonctionnaire chargé d’organiser le sommet de la francophonie à Beyrouth en 2001 ne parle pas un traître mot de français. Mais le français tend à reculer, paraît-il, et la France n’a pas les moyens de l’en empêcher, même pas sur nos récépissés République libanaise. Reste le modèle québécois qui semble avoir digéré sa double culture malgré une récurrente tentation indépendantiste. On y parle bizarre, mais au moins, on a fini par s’y entendre.
Je dis ça parce que ce matin, après tant d’années passées à ânonner que le français était notre seconde langue officielle, et à décliner mon identité administrative sous les deux espèces, je m’aperçois que – tiens ! – je viens de régler ma taxe mécanique sous forme de fees. Déjà que la mention frais n’était pas très claire, c’est quand même la première...