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Actualités - REPORTAGES

Otages - Soixante-dix dames ont accompagné la mère de Marie Moarbès chez Andrée Lahoud Un élan du coeur pour rappeler le cas de la Libanaise prisonnière d'Abu Sayyaf (photo)

«Maman, lorsqu’on se reverra ne me fais plus de riz. Je ne veux plus jamais manger cette denrée». Sous le ton léger perce toute la détresse de Marie Moarbès, dite Mita, cette fille unique, jusqu’alors gâtée par ses parents, devenue brusquement l’héroïne d’une incroyable tragédie. En rapportant ce message à la présidente Andrée Lahoud, devant 70 autres dames venues à Baabda exprimer leur solidarité avec elle, Mme Sarwat Moarbès ne peut plus retenir ses larmes. Sa voix s’étrangle et, dans l’immense salon du 22 novembre, des mères, des amies et d’anciennes compagnes de classe de Mita ne parviennent plus, à leur tour, à retenir leurs larmes. Mme Lahoud elle-même cligne discrètement des paupières. Le palais présidentiel semble tout entier vibrer de compassion avec cette mère qui, depuis le 23 avril souffre le martyre en voyant sa fille dépérir avec courage dans la jungle d’une île des Philippines, sans pouvoir la sortir de ce terrible piège...Du jamais vu au palais de Baabda. Officiellement, 40 dames étaient attendues chez Mme Lahoud, mais elles sont 70 à arriver en convoi, comme pour une simple sobhié. Les gardes en général stricts et un peu compassés sont tout sourires et curieusement moins regardants sur la liste des noms qui leur a été fournie au préalable. Les dames sont même autorisées à atteindre l’entrée principale du palais avec leurs voitures qu’un chauffeur se charge ensuite de garer non loin de là. Mme Lahoud a visiblement tout prévu pour mettre ses invitées à l’aise et surtout pour exprimer jusque dans les petites attentions sa considération pour le calvaire de Mme Moarbès. Dans le grand salon du palais, des fauteuils sont rajoutés à la hâte et les dames, d’une élégance discrète, sont trop émues pour bavarder. Elles sont venues spontanément pour tenter de réconforter la mère éplorée et surtout pour montrer à la Première dame combien le sort de la jeune Marie Moarbès leur importe. La leçon de courage d’une jeune fille à l’apparence fragile Toutes connaissent, en effet, cette jeune femme à l’apparence si douce et fragile, que la vie avait jusqu’à présent plus ou moins épargnée. Après une enfance baignée d’affection et plutôt protégée entre sa famille et son école (N-D de Nazareth), Mita avait entrepris des études de publicité à l’Alba et tout le monde vantait ses dons pour le dessin et l’art en général. Au début des années 1990, Mita s’est installée en France et c’est là qu’elle vivait, sans toutefois jamais perdre le contact avec son pays d’origine, le Liban. En avril, elle décide de s’adonner à sa passion, la plongée sous-marine dans une île de Malaisie, une destination vantée par les agences de voyage. Une quinzaine de touristes européens ont eu la même idée qu’elle et tous se retrouvent dans un hôtel sur une île lorsqu’un groupe d’éléments armés investit le hall et les pousse, mitraillettes à l’appui, vers de petites barques. C’est alors que le destin de Mita bascule dans l’absurde. Au moment même, aucun des touristes ne réalise l’ampleur du drame qui les attend. Ils se contentent d’obéir aux jeunes armés qui les emmènent vers une autre île perdue des Philippines, où la jungle offre l’unique abri. Aux touristes effarés, les éléments armés du groupe Abu Sayyaf expliquent qu’ils les ont pris en otages parce qu’ils veulent instaurer une république islamique aux Philippines, alors que le gouvernement ne veut pas écouter leurs revendications. Les touristes devenus des otages croient au début que la situation est totalement irréelle et que ce cauchemar prendra fin très rapidement. Mais les jours et les nuits se succèdent, porteurs de maladies, de microbes, de peur et de tension sans qu’aucune issue ne soit perceptible. Certains dépriment, d’autres piquent des crises de nerfs, d’autres encore sont tellement mal qu’ils ne réagissent plus, seule la jeune Mita est à la hauteur de la situation et décide de réagir, refusant de se laisser abattre. Une question d’humanité Ayant pris des cours de secourisme au Liban, elle se charge d’office des soins d’urgence à donner à ses compagnons d’infortune. Avec une douceur inaltérable et un courage exceptionnel, la jeune femme prodigue ses attentions et ses remèdes aux plus souffrants, trouvant dans ce souci du bien-être des autres un dérivatif à sa propre anxiété. Mais les nuits et les jours sont interminables sur l’île de Jolo, l’angoisse de l’avenir rendant la situation encore plus difficile pour les touristes otages, soumis au bon vouloir d’un groupe d’éléments armés indisciplinés et comme ivres de leur propre pouvoir. Leurs conditions sont chaque jour différentes et varient avec la situation. Lorsqu’ils se sentent coincés, ils deviennent encore plus méchants et ce n’est pas la bienveillance et la compassion qui les étouffent. Pourtant à ces jeunes gagnés par le goût des armes et de la rébellion, Marie Moarbès n’offre que la gentillesse et la douceur. Lorsque l’un d’eux est blessé à la jambe, c’est elle qui le soigne comme elle a soigné ses compagnons otages. Comme ceux-ci s’étonnaient de son initiative, elle leur a répondu : «Pour moi, c’est une question d’humanité. Je ne peux pas laisser un blessé souffrir sans lui fournir de l’aide». À l’autre bout du fil, le chef de la police philippine En racontant ces détails à Mme Lahoud, Mme Moarbès a la voix qui flanche. Elle est fière de sa fille, mais son inquiétude est encore la plus forte. Seule une autre mère peut comprendre la profonfeur de cette douleur et Mme Lahoud n’a pas de mots pour exprimer sa compassion. Elle se contente de serrer la main de son interlocutrice en un geste de réconfort qui peut paraître dérisoire, mais qui en dit plus long que le plus émouvant des discours. Les deux femmes se sont comprises et sans doute qu’à ce moment, elles détestent toutes les deux ce sentiment d’impuissance qui les étreint. La porte du salon s’ouvre alors rompant le charme. Un officier entre tenant un appareil téléphonique et il tend l’écouteur à Mme Moarbès. À l’autre bout du fil, c’est le chef de la police philippine, probablement appelé par le palais présidentiel. Un contact même ténu, même indirect avec Mita, c’est tout ce que la présidente peut offrir à la mère affligée. La gorge nouée, Mme Moarbès essaie de surmonter son émotion pour aligner quelques mots. L’assistance retient son souffle et balbutie avec elle les questions qui se bousculent dans toutes les têtes. La voix venue de Manille semble formuler des phrases réconfortantes, des promesses et Mme Moarbès se met presque à sangloter. Péniblement, elle déclare à son interlocuteur que son mari est encore à Manille, à l’hôtel Shangrilla. «Contactez-le s’il vous plaît. Dites-lui tout. Il attend désespérément». La ligne est ensuite coupée et, avec elle, le fil d’espoir qui reliait la mère à sa fille. Après s’être essuyé les yeux, la mère se tourne vers Mme Lahoud et lui déclare que le chef de la police semblait optimiste. Il pense, dit-elle, que l’affaire sera réglée dans un proche avenir, au compte-gouttes. «Pourvu que Mita ne soit pas la dernière à être libérée». Mme Moarbès explique encore que le principal souci des ravisseurs est d’obtenir des rançons (environ un million de dollars par otage, la somme étant toutefois négociable). Les multiples amis et connaissances de la famille ainsi que les responsables et autres personnes émus par le sort et le courage de cette jeune femme pourraient s’arranger pour réunir une somme confortable, mais le problème, selon Mme Moarbès, est que le gouvernement philippin refuse de remettre de l’argent aux ravisseurs afin qu’ils n’achètent pas de nouvelles armes qui seraient utilisées contre le régime. Mais ce sont les otages qui paient le prix de cette politique... Mme Moarbès raconte encore que Marie lui a demandé un matelas. Dormant depuis le 23 avril sur les cailloux, elle souffre désormais de courbatures. Et grâce aux intermédiaires, elle a réussi à lui faire parvenir une petite couche. La mère attendrie évoque les lettres de sa fille, dans laquelle cette dernière cherche surtout à lui remonter le moral : «Tiens bon. Nous nous retrouverons bientôt et nous en rirons. Ne t’inquiète pas. Tout va bien pour moi, lui écrit-elle régulièrement. Soigne-toi surtout...» Toutes ces phrases que l’on écrit un peu en s’adressant à soi-même, mais où l’immense affection transparaît dans chaque lettre et même dans les espaces entre les mots, la mère les raconte à son interlocutrice émue. Mais voyant que l’assistance sort discrètement des mouchoirs, Mme Moarbès fait comme sa fille, se réfugiant dans une boutade et raconte comment celle-ci lui a écrit qu’elle a mangé assez de riz pour le restant de sa vie. «Les ravisseurs reçoivent de la nourriture et donnent aux otages les restes, généralement du riz, précise Mme Moarbès. Ma fille m’a écrit qu’elle ne peut plus supporter cette denrée. D’ailleurs, la plupart des otages souffrent de troubles intestinaux...». L’officier ouvre de nouveau la porte, cette fois pour annoncer la fin de la rencontre. Le salon attend d’autres visiteurs. Mme Lahoud se lève, salue une à une les 70 dames un peu pour exprimer sa solidarité, beaucoup pour les encourager à poursuivre leur action. Elle fait de son mieux pour tenter d’accélérer la libération de la jeune femme, mais c’est dans de telles circonstances que le Liban officiel mesure son peu d’importance sur l’échiquier international. Sa solidarité, elle l’a exprimé en accordant un entretien de 30 minutes à Mme Moarbès (qui l’a d’ailleurs officiellement remerciée) et à ses compagnes, mais si la mère en elle voudrait déplacer les montagnes, la présidente se heurte au mur de l’impuissance. Dans un cas aussi terrible, le pire serait de laisser les otages sombrer dans l’oubli. Le silence est l’ennemi de Mita. C’est donc à haute voix que tout le Liban devrait réclamer sa libération, non pour se donner bonne conscience, mais pour rappeler à ceux qui l’oublient que cette jeune femme est des nôtres, Mita c’est notre cause à tous et le Liban devrait avoir pour elle les yeux de sa mère, attendris, angoissés mais surtout fiers.
«Maman, lorsqu’on se reverra ne me fais plus de riz. Je ne veux plus jamais manger cette denrée». Sous le ton léger perce toute la détresse de Marie Moarbès, dite Mita, cette fille unique, jusqu’alors gâtée par ses parents, devenue brusquement l’héroïne d’une incroyable tragédie. En rapportant ce message à la présidente Andrée Lahoud, devant 70 autres dames venues...