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Actualités - REPORTAGES

Drame - Au-delà de l'horreur et des larmes, la question des responsabilités se pose, brûlante Ce n'est pas l'homme qui prend la mer ... (photos)

...C’est la mer, souvent, qui les prend, les hommes. Et les femmes aussi. La mer a tué Marie, comme ça, sans crier gare, deux temps, trois mouvements. La mer a gardé Micheline en otage, seule, désespérément seule dans une grotte, pendant trois jours, trois nuits surtout, seule, et dans le noir, avec le cadavre de sa cousine. Imaginez… Une vingtaine de mètres, juste, séparait le corps de Micheline, qui luttait, heure après heure, ses neurones qui ne voulaient pas capituler, de l’autre corps, de Marie, sa cousine qu’elle chérissait, et qui flottait, inerte, la mer enfin calmée, apaisée, elle caressait les jambes encore pleines de vie de l’une, elle berçait l’autre, pour la dernière fois, Marie qui ne respirait plus depuis presque 72 heures. Toute la République en parlait, depuis mardi, de la disparition des deux jeunes filles, les spéculations couraient toutes les lèvres, agression, fuite, et le reste, encore plus fou. Personne n’avait envisagé la mer, personne, ou presque, ne se rappelait comment et combien la mer pouvait être, partout dans le monde, régulièrement, ogresse. Il s’appelle Samir Merhi. Il est pêcheur à Jbeil et c’est lui qui a vu en premier le jet-ski, largué à l’entrée de la grotte, ce fameux et funeste jet-ski que les plongeurs de la Défense civile et ceux engagés par les deux familles ont vainement cherché, trois jours durant. Ensuite tout a été vite, très vite. Micheline et Marie ont été transportées par la Croix-Rouge, en urgence, l’une aux soins intensifs, et l’autre, elle était jeune, elle était belle, à la morgue de l’hôpital Notre-Dame des Secours, à Jbeil, où L’Orient-Le Jour s’est rendu, en début d’après-midi. Nous sommes d’abord tombés sur Chadi Badrane, le propriétaire de l’institut de beauté où travaille Micheline, comme nous, il cherchait Fadi, le beau-frère de Micheline, et Corinne, «Micha, c’est ma meilleure amie, mon amie intime», Chadi leur apportait des sandwiches. «On les a trouvées ce matin, dans une grotte, à quelques centaines de mètres de Halate-sur-Mer, nous a-t-il confirmé. Des vagues énormes les ont jetées, elles et le jet-ski, dans cette grotte, Marie s’est fracassée sur un rocher, la nuque et la colonne vertébrale en bouillie, la machine lui est tombée sur la tête, et Micheline s’est retrouvée dans la grotte, le noir». Les parents et la famille de Micheline, hier après-midi, n’étaient pas près d’elle, aux soins, ils étaient loin, à Mansourieh, ils enterraient Marie. «Le jet-ski appartenait à Marie, Micheline le conduisait, et toutes les deux allaient à Jounieh, pour le faire réparer, la mer était déchaînée, et à Halate-sur-Mer, personne ne leur a rien dit, c’est leur boulot, pour moi, ce sont eux les responsables», assène Chadi. Nous avons demandé à parler au médecin qui s’est occupé de Micheline, on nous a refusé l’entrée des soins intensifs sous un prétexte fallacieux, nous avons insisté, rappelant à l’infirmière que c’était L’Orient-Le Jour et qu’interroger le médecin en charge de la rescapée était une nécessité, une évidence qui tombait sous le sens. «Micheline est restée trois ou quatre jours seule, isolée dans une grotte et tout le monde n’aurait pas tenu le coup, elle est costaud, Micheline», nous a précisé le Dr Chamandi, qui a finalement accepté, devenant vite particulièrement coopératif, de nous recevoir. «Elle a essayé de sortir à plusieurs reprises, de nager vers la côte, mais ses jambes ne la portaient plus, elle souffre de nombreuses contusions et d’une énorme déshydratation, a-t-il poursuivi. Sa mémoire est satisfaisante, sauf que le dernier jour (c’est-à-dire mercredi), elle a commencé à ressentir de gros vertiges, un jour de plus, et elle rentrait dans le coma, c’est un miracle». L’eau douce sur les rochers, et du Pepsi Où le Dr Chamandi nous apprend également que lundi, le jour de la disparition, il voulait lui aussi faire une sortie en mer, avec son hors-bord, « la mer était trop déchaînée, j’ai laissé tomber le hors-bord». Et le Dr Chamandi de répéter, encore et encore, «c’est une chance énorme qu’elle se soit retrouvée dans la grotte», a-t-il insisté, se demandant enfin comment les deux jeunes filles ont démarré leur jet-ski avec une mer aussi houleuse et la grande puissance du vent. Nous avons ensuite interrogé le beau-frère de Micheline, constamment présent à ses côtés pendant que sa famille était à Mansourieh, aux obsèques de Marie. Fadi Badr a relevé les lacunes au niveau de la sécurité et du règlement à Halate-sur-Mer, et malgré nos demandes incessantes, il a refusé de nous laisser interviewer Micheline, «avant de nous rassurer sur sa santé, il est hors de question que quiconque l’interviewe, et puis elle-même ne veut pas parler». Il n’empêche, il autorisera une télévision libanaise à lui tendre un micro, «c’est juste pour que ses frères aux USA la voient», Micheline prononcera trois mots, juste, «je vais bien». Nous sommes entrés jusque derrière le paravent, dans la chambre des soins intensifs où se trouvait Micheline, petit corps au fond du lit, son masque à oxygène sur la bouche et toutes ces machines, tous ces fils qui l’entouraient l’enveloppaient presque. Sa meilleure amie Corinne a été, elle, beaucoup plus loquace et Corinne était particulièrement émue. «Micheline m’a raconté qu’elle léchait l’eau douce des rochers pour pouvoir survivre, et lorsqu’elle a vu Marie, morte, qui flottait, elle lui a récité la prière du Rosaire, sur ses joues, il y avait l’eau de mer et les larmes qui se mêlaient, d’ailleurs, Micha a passé son temps à prier, elle a fait vœu à Notre-Dame de Harissa, elle veut que nous l’y emmenions dès qu’elle sera sur pied, nous a raconté Corinne. Elle rêvait souvent, elle hallucinait, elle nous voyait venir vers elle et lui tendre un énorme verre de Pepsi, avec des tonnes de glaçons». En écoutant les mots de Corinne, il y a des images, il y a les images de Micheline, qui cognent aux rétines, s’imaginer son calvaire de 72 heures, ses tentatives répétées et désespérées pour trouver la position qui la fatiguerait le moins, pour s’adosser à un rocher, ses larmes, sa cousine à ses pieds, ses lèvres qui allaient prendre un peu de vie sur la rocaille, le calvaire de Micheline, son traumatisme… L’inconscience, et la négligence surtout Une question, une seule, qui se pose, et comme toujours au Liban, il faut attendre les drames, la mort, pour y répondre. Marie et Micheline auraient pu prendre conscience du danger, de la mer qui grondait, elles auraient, peut-être, pu moins présumer de leur capacité à survoler, sur leur engin, les vagues énormes. Et puis l’absence, dans le complexe balnéaire de Halate, «c’est pareil dans tous les autres complexes balnéaires», rétorquera à L’Orient-Le Jour un des responsables de la marina de Halate-sur-Mer, d’un registre que signerait toute personne qui quitterait le port, quel que soit le «véhicule» qu’elle utiliserait, et qui déchargerait le complexe de toute responsabilité. Au moment de la signature, les conseils des «spécialistes de la mer» pourraient éviter bien des catastrophes. Enfin, c’est au niveau de l’État que le bât blesse, aussi : pas de port du casque obligatoire pour les conducteurs de jet-ski, pas de drapeaux rouges ou noirs interdisant la sortie en mer en cas de houle, bref, tout est encore à faire à ce niveau-là. Micheline a vécu le pire, Micheline est une miraculée, et Marie n’est plus là, Marie ne démarrera plus jamais son jet-ski. Les mesures à prendre sont urgentes. Et indispensables, si l’on veut éviter de nouveaux drames.
...C’est la mer, souvent, qui les prend, les hommes. Et les femmes aussi. La mer a tué Marie, comme ça, sans crier gare, deux temps, trois mouvements. La mer a gardé Micheline en otage, seule, désespérément seule dans une grotte, pendant trois jours, trois nuits surtout, seule, et dans le noir, avec le cadavre de sa cousine. Imaginez… Une vingtaine de mètres, juste,...