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Actualités - INTERVIEWS

Hyperview - Une semaine, un ambassadeur, portrait et mots d'auteur IV - José Pedro Pico, le (sou)rire en règle du jeu, la culture en héritage (photo)

Au bout de son fusil, il y a sa culture. Immense. Il y a sa boulimie de vie, communiquer, encore, toujours, et puis la solitude, cette mégère du diplomate, qu’il a doucement apprivoisée. L’ambassadeur d’Argentine à Beyrouth, son ADN, c’est 50 % de politique, représenter à l’étranger, comme papa, son pays, c’est 50 % de mots, ceux des livres, imprimés noir sur blanc, le trésor de sa mamma, leur passion commune, longtemps ils se sont emportés, Cervantès ou Molière, et cet irrésistible accent argentin, tous ces «non ?» qui terminent ses phrases, une sur deux… Sa réflexion sur la question «temps qui court, qui court», José Pedro Pico, le latin le vrai, la parachève chaque jour, sa (drôle de) lucidité est effrayante, tout paraît si simple, l’évolution d’un homme, rien n’est immuable, tout s’apprend, tout s’apprécie, «non ?», il y a un âge pour tout, c’est ridicule le jeunisme, «non ?». Conversation-partage, conversation-leçon, et le mystère s’éclaircit, un peu, José Pedro Pico, cet homme voulait être journaliste, (sou)rit, et donne, donne, «non ?» Si. «Il y a cette phrase, celle d’un grand ami d’André Breton, “Rien ne détruit autant un homme que le fait de représenter un pays“, c’est une phrase qui me revient toujours…» Il y a dans ces mots-là quelque chose d’éminemment troublant lorsqu’on les entend de la bouche de l’ambassadeur d’Argentine à Beyrouth. Et José Pedro Pico sourit, il raconte, «partout où j’allais, mes amis, mes relations, ce n’étaient que des journalistes, mais dès que l’on devient ambassadeur, tout est différent, il y a une distance qui s’installe, il s’explique, représenter un pays à l’étranger, ça met des limites qui n’existaient pas avant». Sauf que José Pedro Pico n’a pas besoin de s’expliquer, c’était une boutade, cette phrase, un petit clin d’œil, l’humour comme il l’aime. Son père était ambassadeur, et son fils le suivait partout, «sans aucun problème, dit-il, d’adaptation», question d’hérédité, de génome ? «Oh, pas seulement, il y a le choix personnel, ça compte quand même, et puis une tradition, une culture de la diplomatie». Son expérience la plus marquante ? «Le Nicaragua. Peut-être parce que c’était ma première ambassade, et puis la situation qui y prévalait, la guerre des Sandinistes et des Contras, le rôle que l’Argentine a joué à ce moment-là». Et puis cette question, ce qu’un diplomate peut bien ressentir lorsqu’il est accrédité pour la première fois dans une capitale étrangère, l’espèce d’énorme bouffée d’oxygène qu’il doit prendre tout juste avant d’y présenter ses lettres de créance… «C’est un défi, il y a de la joie, et des interrogations à la pelle, on accède à la responsabilité suprême, en se demandant constamment si l’on sera à la hauteur, nous représentons notre pays à l’étranger…» Il en parle beaucoup, José Pedro Pico, de «représentation», c’est un mot qu’il utilise volontiers, et entre la représentation diplomatique et la représentation théâtrale, il peut n’y avoir, parfois, qu’un pas, facile, si facile à franchir, n’est-ce pas, «non, je ne pense pas, ce n’est pas vraiment jouer un rôle que d’être ambassadeur, et ce n’est ni se cacher ni se dissimuler, on devient simplement le porte-parole permanent de son pays». Soit. Ciné cinéphile Sauf qu’à ce moment-là, inévitablement, la conversation glisse sur le théâtre, l’ambassadeur d’Argentine raconte ces énormes noms du théâtre en France, d’origine argentine, et qu’il a rencontrés, Jorge Lavelli, l’immense Alfredo Arias et sa comédienne fétiche, Marilù Marini, le talent insensé, et même Jérôme Savary… «L’échange culturel entre la France et l’Argentine a toujours été exceptionnel, d’ailleurs durant l’Occupation, un grand nombre d’intellectuels français s’est réfugié chez nous». S’il aime le théâtre ? «Avant oui, beaucoup. Le Magic Circus, Luca Ronconi, tout ce théâtre cérémoniel où tellement de choses se passent sur un plateau, je déteste le théâtre psychologique». José Pedro Pico, méridional et latin, tellement latin… Et ce «avant oui», dit, avoué, première évocation de ce temps qui passe et qui change tout homme, comme une mue perpétuelle, cette façon autre d’approcher la vie, d’apprécier les choses, ce temps qui passe et que José Pedro Pico a l’air de si bien dompter, à la recherche d’une espèce de douce sérénité, un peu de fatalisme, aucune résignation, travailler son art de vivre… Aborder le cinéma, «c’est ma passion», avec l’ambassadeur d’Argentine lorsque l’on est cinéphile est un exercice passionnant, surprenant. Premier(s) émoi(s) ? «Errol Flynn, Tyrone Power, les films US des années 50, dans tous les cas, du moins au début, le cinéma a toujours été, pour moi, américain, et tout ce débat sur la protection du cinéma européen est un peu forcé, finalement, ce n’est pas sans raison que les gens se précipitent pour voir des films américains». José Pedro Pico embraye, immédiatement, «il ne s’agit évidemment pas de généraliser, il y a eu Bergman dans les années 60, Les Fraises Sauvages, Le Septième Sceau, Buenos Aires a découvert Bergman avant bien des villes européennes». Le dernier film qui l’a pris aux tripes ? «Avec le temps, on se blinde à l’émotion, elle s’émousse, on devient moins réceptif, plus critique, il y a cette inévitable sensation de déjà vu», et toujours cette constante, le temps, implacable machine à vous transformer n’importe quel homme, et dont il faut s’accommoder. «Mais j’ai mes repères, Amarcord de Fellini, Coppola et The Godfather, Drame de Kurosawa, La Fuite à Varennes et La Règle du Jeu, Scola et Renoir, et ce film, il y a quelques années, le Richard III de Ian McKellan». Quant à la mythologie des actrices, même s’il reconnaît que ce processus d’idéalisation lui arrive de moins en moins, «c’est quelque chose de beaucoup plus lié à la jeunesse», fascinant leitmotiv, José Pedro Pico aligne Louise Brooks, la Hepburn, Rita Hayworth, «Gilda ! ! !», ou Ava Gardner. Bel éventail, et de connaisseur… Les livres, l’âge et l’histoire… La maman de José Pedro Pico, «elle vient d’une famille d’intellos», enseignait la littérature espagnole, qu’elle vénérait, et son fils a grandi dans une bibliothèque presque grandeur nature, «les livres envahissaient mon quotidien, ma réalité», d’ailleurs, chez lui, aujourd’hui, ça n’a pas changé. Il a évidemment commencé par Dumas, Salgari, les romans d’aventure, un bref passage chez les surréalistes, Artaud, et puis, «avec l’âge, mes goûts ont beaucoup changé». Étonnant, monsieur l’ambassadeur… «J’ai plongé dans Stendhal, redécouvert Proust, sa recréation du passé, ses phrases qui n’en finissent pas et qui vous enveloppent, sa capacité d’utiliser à fond un milieu pour le transcender, et puis il y a Borges…» Jorge Luis Borges, évidemment. Et la littérature contemporaine ? «Maintenant, avec le temps, je lis moins, d’ailleurs j’ai de grandes discussions avec mes enfants qui sont extrêmement ouverts à toutes les nouveautés, ils sont comme moi, quand j’avais leur âge…» Et là José Pedro Pico annonce, clairement, nettement, presque irrévocablement, la couleur, «vous savez, au fur et à mesure que l’on vieillit, on se ferme à certaines choses, et je suis persuadé qu’il doit y avoir une acceptation profonde de ce que l’on devient, nous recherchons tous des choses différentes à chaque étape de notre vie, non ?» Limpide… «Dans tous les cas, j’aime de plus en plus les journaux. Ce que je retiens l’Histoire ? La Révolution française, peut-être pour cette accumulation d’événements, la succession des régimes, cette phase sanglante qui va fonder la modernité». Et l’Histoire argentine ? «Elle est moins connue, mais très intéressante, l’Histoire argentine est terrible, surtout entre 1810 et 1850, avec la libéralisation de l’Espagne, la prolifération des caudillos, c’était une période d’anarchie, d’affrontements particulièrement sanglants. La période 1860-1930 a été celle de la démocratie, elle a vu la construction des institutions, l’Argentine était la huitième économie mondiale». La solitude du coureur de fond Qu’est-ce qui fait pleurer cet homme qui, s’il n’avait pas été diplomate, aurait été journaliste, sûrement, «ou peut-être acteur…», à part les chagrins d’amour, ce qui pourrait arriver à ses enfants ou les choses que l’on voudrait changer sachant que l’on ne peut pas le faire ? «L’angoisse du temps qui passe. Et puis non, je n’ai pas peur de la mort, je suis assez fataliste. Ce sont les circonstances qui entourent la mort qui me font peur, je crois que le naufrage est là pour tous, en ce moment je lis de plus en plus d’ouvrages liés à la vieillesse, sur le comment l’émoi s’émousse…» José Pedro Pico lit et relit Norberto Bobbio, un essayiste italien de plus de 90 ans, il a fait sienne cette (sublime) définition de la vieillesse, «c’est la non-acceptation de l’autre, de ses arguments», et José Pedro Pico est encore jeune, très jeune. «J’étais dans un café de Buenos Aires, un ami qui me demandait ce qui nous restait à faire, le temps dont on disposait encore et qui me disait : “Autrefois j’étais indécis, maintenant je ne suis plus très sûr…”» Et comment ne pas revenir, finir, taper ce point (provisoirement) final, revenir à la base, aux gènes, José Pedro Pico et son empreinte ADN, indélébile, le diplomate et sa solitude, les amitiés qu’ils font, défont et refont, et les mots, rapportés par l’ambassadeur d’Argentine à Beyrouth, renversants, de Luis Bunuel, «j’aime la solitude, à condition que des amis viennent de temps en temps me parler d’elle». José Pedro Pico est richissime. Dedans.
Au bout de son fusil, il y a sa culture. Immense. Il y a sa boulimie de vie, communiquer, encore, toujours, et puis la solitude, cette mégère du diplomate, qu’il a doucement apprivoisée. L’ambassadeur d’Argentine à Beyrouth, son ADN, c’est 50 % de politique, représenter à l’étranger, comme papa, son pays, c’est 50 % de mots, ceux des livres, imprimés noir sur blanc,...