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Actualités - REPORTAGES

Liban-Sud - La vie avec les israéliens, leur départ, et puis la vie sans eux : un jeune de Rmeich raconte La fureur de vivre

Il est né en 1974. On l’appellera Antoine. Il avait quatre ans, Antoine, lorsque les Israéliens ont envahi l’ex-bande frontalière du Sud. Antoine, les trois quarts de sa vie, c’est à Rmeich, sur la frontière israélienne, qu’il les a passés, et ce n’est pas de sitôt qu’il en partira. Ce qu’il a de particulièrement impressionnant Antoine, c’est sa lucidité, son sens des réalités : aucune (auto-)complaisance, aucune surenchère, dans un sens comme dans l’autre, lorsqu’il parle, lui chrétien du Sud, de l’occupation israélienne, de ceux qui ont collaboré avec l’État hébreu, de ceux qui s’y sont réfugiés. La même intelligence pratique lorsqu’il parle d’avenir, des voisins chiites, des différents partis présents dans la région. Un bonheur évident, quoiqu’ambigu, lorsqu’il évoque le retrait israélien, on fête ses deux mois, une anxiété sourde, pour sa femme et son bébé surtout, lorsqu’arrive le moment de raconter la situation économique, gravissime, ici, depuis le 25 mai dernier. Et ce cri, cette supplique qu’il adresse directement au président de la République, la seule référence des habitants de Rmeich : «Je vous en conjure, général, envoyez l’armée libanaise au Liban-Sud». «Tout le monde, chrétiens comme musulmans était avec les Israéliens au début, en 1982, contre les palestiniens», Antoine raconte et Antoine se souvient. Des «sekkariott», ces bonbons rouges que les Israéliens ont distribué à leur arrivée, et des petits tubes, «c’était de la crème de confiture…». Antoine est intransigeant : «C’étaient des occupants, et rien d’autre, on sentait qu’on n’était pas libres, que l’on ne pouvait pas parler, mais bon, en gros, à l’exception des points de passage, cette occupation ne gênait pas particulièrement notre quotidien». Antoine assure qu’ils ne descendaient jamais de leurs véhicules, «ils ne s’arrêtaient jamais devant les magasins». Il raconte, simplement, comment les Israéliens emmenaient les petites classes en visite de l’autre côté de la frontière, comment ils emmenaient, aussi, les malades, quelle que soit leur confession, se faire soigner en Israël. «Ici, 9 personnes sur 10 ne connaissaient Beyrouth qu’à travers la télévision, pas de cinéma, rien, on n’avait même pas de bicyclettes, on jouait au foot dans les champs de blé, on allait camper, là-haut dans la pinède, c’est tout». À Rmeich, pendant les 22 années d’occupation israélienne, pas de cafés, de bars, de dancings, «on se retrouvait dans les maisons, ou à l’occasion des mariages qui réunissaient tout le monde». Et Antoine de poursuivre : «Ici, on laissait tout ouvert, il n’y a jamais eu de vols, aucun problème. À partir du moment où nous ne causions aucun tort aux Israëliens, nous étions tranquilles». Oui mais Khiam ? «Moi je suis contre n’importe quelle prison, alors imaginez ce que je pense de celle de Khiam…». La mort de Akl Hachem : le début de la fin Et puis une certitude, irréfutable… «L’administration civile, les employés en Israël, les commerçants, tout le monde ici vivait et s’enrichissait, directement ou indirectement, grâce à la présence israélienne. Mon père a toujours été plus royaliste que le roi, pour lui, Israël était une puissance ennemie, il nous a inculqué ce principe, ne jamais collaborer, même si au bout, il y avait la fortune». Même sa marchandise, Antoine refusait de l’apporter d’Israël… Depuis 1990, la situation économique s’est beaucoup améliorée, «les gens ont commencé à avoir de l’argent grâce à Israël, et toute la région en a profité, chrétiens comme musulmans». Antoine parle même d’un «cycle total de travail, créé puis brisé par les Israéliens : les membres du Hezbollah que l’on payait avant pour résister à l’occupant sont maintenant au chômage technique». Antoine, lui, a ouvert un commerce, une fois sa maîtrise en gestion, d’une université libanaise, en poche. Jusqu’avant le retrait, tous ceux qui travaillaient en Israël, tous ceux qui avaient de l’argent, venaient s’approvisionner chez lui. Avant le 25 mai, il n’était pas rare qu’Antoine fasse plus de 14 000 dollars de chiffre d’affaires par mois. Depuis l’évacuation, il plafonne à 300 dollars. Et le départ, l’évacuation, comment les ont-ils vécus ? «Ceux qui travaillaient avec Israël étaient endoctrinés, ils les persuadaient qu’ils n’allaient jamais partir. Mais quand Akl Hachem est mort, tout le monde a su que c’était le début de la fin». Hachem disait : «J’ai l’accord de paix dans ma poche, mais cette paix se fera au détriment de la bande frontalière et de l’État». On lui demandait pourquoi il habitait sa maison perdue au milieu de nulle part, il répondait : «Tant qu’Israël le voudra, je ne perdrai pas un de mes cheveux, dès qu’il le décidera je me ferai tuer dans mon lit»…». Bref, avant qu’Israël ne commence à se retirer, Antoine raconte que les lahdistes ont distribué des tonnes d’armes, disant que «le Hezbollah allait venir tuer tout le monde, dans tous les cas, personne n’a dormi de la nuit, les hommes, les femmes, les enfants ont couché pendant deux nuits sur la route menant au passage de Baranit». Antoine a essayé de les convaincre pendant des heures de ne pas partir, «peine perdue», mais il s’est senti un peu «débile : j’étais persuadé, comme tout le monde, que les Israéliens allaient rester cent ans». « Israël, le grand Satan ? Oui, mille fois oui » Et l’entrée du Hezbollah ? «Tous les habitants craignaient le pire, ils ont brûlé tout ce qui provenait d’Israël, jusqu’aux serviettes de bain, et des tonnes d’armes jonchaient le sol». Antoine avoue qu’avant, le parti de Dieu était particulièrement détesté à Rmeich. «Mais lorsque l’on a vu la (bonne) manière avec laquelle ils se sont comportés après le retrait israélien, on est passé au statu quo par rapport à eux, il faut dire que l’antagonisme est très vieux, il faudra beaucoup de temps pour qu’une espèce d’harmonie voie le jour». Un point extrêmement positif pourtant : Antoine parle ouvertement de la coexistence islamo-chrétienne au sein de la bande frontalière, «j’ai toujours eu des amis chiites, toujours». Et maintenant, deux mois après le retrait ? «Maintenant, les gens peuvent tout faire, ils réalisent ce dont ils rêvaient : sortir de la zone frontalière et y revenir sans aucun problème, voir, enfin, Beyrouth, le reste du Liban». Et par rapport à ceux qui sont partis en Israël ? «il paraît qu’ils sont très bien logés, dans des immeubles, avec piscine, ils sont payés, mais pour un an, et après ?» 580 personnes originaires de Rmeich sont en Israël, «et 300 sont là, alors qu’ils allaient travailler en face, ils ont échappé à l’exil, comme au tribunal militaire». Après le retrait, «psychologiquement, on allait tous mille fois mieux, mais économiquement, c’est la catastrophe : les 12 commerces de chaussures, les 25 de prêt-à-porter, la dizaine d’élevages de poussins, plus rien ne marche, tout le monde attend». C’est vrai que le spectacle à Rmeich est impressionnant, le soleil écrase tout le village, et de jour comme de nuit, l’absence de vie, la désillusion des habitants, l’attentisme, tout cela est prégnant. «Et laissez-moi vous dire quelque chose : quiconque a marché avec la Syrie est vivant, et dans d’excellentes conditions, quiconque a collaboré avec Israël en est “mort”, regardez par exemple Geagea et Berry. Moi, si la situation continue comme ça, oui je me mettrai avec la Syrie, même si tout ce que je veux c’est voir les 1 500 000 civils et les 35 000 soldats dehors». Et par rapport à Israël, les mots d’Antoine tombent comme un couperet : «Mon héritage à mes enfants : ne regardez plus jamais vers Israël, maintenant, après ce qu’ils ont fait aux Sudistes, je souscris, et mille fois plus, aux mots des autres, “Israël, le grand Satan”». Sans commentaires. L’armée libanaise, et rien d’autre Tout ce que veut Antoine, c’est l’armée libanaise, c’est l’autorité de l’État, «vous avez vu, à Rmeich, il n’y a que des portraits du général Lahoud, nous interdisons toute autre chose». Pourquoi cette volonté farouche de voir l’armée se déployer, ici ? «D’abord, rien que l’uniforme, tellement rassurant, et puis, nous étions contents d’en avoir fini avec une milice (ndlr : les lahdistes), nous nous retrouvons avec cent autres». Impossible de décrire les yeux d’Antoine, la flamme qui y brûle, lorsqu’il raconte son envie, son besoin d’armée libanaise. «Être né à Rmeich, c’est une malédiction, moi je veux vivre, je veux revivre, et pour que la situation économique s’assainisse, il faut que la paix soit signée. Mais avant, il faut l’armée, le général Lahoud ne peut pas nous laisser sans armée, il ne peut pas». À bon entendeur…
Il est né en 1974. On l’appellera Antoine. Il avait quatre ans, Antoine, lorsque les Israéliens ont envahi l’ex-bande frontalière du Sud. Antoine, les trois quarts de sa vie, c’est à Rmeich, sur la frontière israélienne, qu’il les a passés, et ce n’est pas de sitôt qu’il en partira. Ce qu’il a de particulièrement impressionnant Antoine, c’est sa lucidité, son...