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Actualités - REPORTAGES

A Qerdaha, une émotion contrôlée et une foule désemparée (photos)

Pour son dernier voyage, le vieux lion n’était accompagné que d’une foule strictement encadrée : des officiels de son pays et des responsables libanais. Ce pays qui a hanté ses trente années de «règne» et dont il a longtemps pesé sur les destinées lui a donc été fidèle jusqu’au bout. Bien plus, en tout cas que ses autres frères arabes qui ont dédaigné le voyage à Qerdaha, son village natal où les vieux se souviennent de Hafez el-Assad comme d’un étudiant sage qui préférait étudier plutôt que de s’amuser avec ses camarades. Qerdaha où il repose désormais à côté de sa mère Naïssé et de son fils Bassel, laissant son héritier Bachar face à son destin. Grand, la silhouette longiligne et presque frêle, Bachar s’est retenu toute la journée, recevant avec dignité les condoléances des grands et des moins grands de ce monde. Mais lorsqu’il a vu la terre recouvrir à jamais ce père à la stature imposante, il a laissé éclater son émotion, alors qu’au loin la foule, tenue à l’écart de cette ultime cérémonie, bousculait l’imposant service d’ordre dans une sorte de désespoir. Des cris hystériques, des pleurs et des tentatives désordonnées de forcer le cordon de sécurité ont marqué le dernier voyage de Hafez el-Assad. Les soldats et les gendarmes, plutôt empesés dans leurs uniformes démodés qui évoquent le standard vestimentaire des anciens pays communistes, ont semblé à plusieurs reprises complètement débordés, contraints d’utiliser une jeep pour tenter de contenir la foule. Mais ni la solide carrosserie du véhicule, ni l’impitoyable soleil n’ont réussi à faire reculer la marée humaine qui attendait depuis le matin l’instant où le cercueil enveloppé du drapeau syrien apparaîtrait au bout de l’avenue. Écrasée de chaleur, assoiffée, désemparée, la foule n’obéissait plus à aucune directive et semblait avoir perdu toute retenue. Des jeunes gens se sont tailladé le torse, des femmes se sont évanouies et des jeunes filles ont frappé des soldats qui les empêchaient de voir de près le cercueil. À tout moment on aurait pu croire que la situation allait échapper à tout contrôle, mais les forces de l’ordre veillaient au grain et dans toute la localité de Qerdaha, la tension était palpable. Les citoyens syriens étaient pourtant venus dès le matin dans la région, dans l’espoir de rendre un ultime hommage à leur président. Mais les services d’ordre ayant créé plusieurs points de rassemblement tout au long du trajet que devait emprunter le convoi funèbre, la foule n’a jamais paru immense. En tout cas, elle n’avait rien à voir avec celle qui avait accompagné le fils aîné du président, Bassel, a son dernier domicile dans le mausolée qui lui a été dédié en 1994 et où son père repose désormais à ses côtés. Il est vrai qu’à l’époque, le président était encore vivant et hier, à Qerdaha, son absence pesait de tout son poids sur cette foule désemparée et sur les forces de l’ordre pétrifiées. Une cérémonie d’adoubement D’ailleurs, comme pour conjurer cette angoisse de l’avenir, la foule criait en permanence des slogans à la gloire de Bachar, héritier présumé de son père. Un Bachar, qui, dans ses derniers portraits distribués à la foule, apparaît en tenue militaire, ressemblant étrangement à son frère disparu. Bachar que l’on idolâtre désormais et que l’on vénère pour combler le vide laissé par le père. Au point qu’hier on se serait davantage cru à une cérémonie d’adoubement qu’à celle de l’adieu d’un peuple à son chef bien aimé. L’émotion affichée ressemblait souvent à une leçon bien apprise ou à une manifestation plutôt programmée. Les Syriens ne se sont ainsi pas vraiment laissé aller, se réfugiant comme par habitude ou angoisse du futur dans ce qu’ils se sont depuis si longtemps habitués à dire. D’ailleurs, ils ne sont pas très communicatifs. Hospitaliers, ils vous offrent rapidement et de bon cœur thé ou café, mais dès qu’il s’agit de leur demander ce qu’ils pensent de la situation, leurs visages se ferment et les bouches deviennent closes. Seules quelques rares personnes acceptent de répondre aux questions. Il s’agit notamment du cousin du président défunt, Badih el-Assad. En cette journée historique, la maison de Badih est devenue une sorte d’oasis pour les journalistes qui y sont très bien reçus. Le fils de Badih s’appelle d’ailleurs aussi Bachar et il a tellement crié sa douleur ces derniers jours qu’il en a la voix enrouée. Les yeux rouges, il évoque le président comme un oncle merveilleux, attentionné et très soucieux de sa famille. Ses sœurs, toutes vêtues de noir, ne cachent pas leur peine non plus : «C’est une perte terrible», répètent-elles en permanence, avant d’ajouter que le cousin Bachar est lui aussi un être exceptionnel : «Très scientifique, il écoute à merveille, mais ne se laisse pas influencer». Les meilleurs souvenirs Les habitants de Qerdaha ne tarissent pas d’éloges sur le jeune héritier, qui demeure, selon eux, simple et gentil, refusant les apparences du pouvoir, conduisant lui-même sa voiture (une Audi) et se consacrant essentiellement à la science. Ils ont par contre moins de souvenirs du président défunt, «qui, disent-ils, ne venait que rarement à Qerdaha». La dernière fois qu’ils l’ont vu c’était ainsi lors de la commémoration du décès de son fils, Bassel, en janvier dernier. De plus, quand il venait dans son village, il était toujours entouré d’un impressionnant cortège qui le rendait invisible à la population. Saada, une dame de 85 ans se souvient toutefois que lors de la guerre de 1973, le président avait envoyé sa famille au village et ses enfants venaient régulièrement chez elle boire le lait de sa propre vache. Hier, c’était donc à qui égrènerait les meilleurs souvenirs, un peu pour y puiser la force de croire en l’avenir. Car, avec la disparition du président qui a tellement marqué le destin de son pays, au point que nombreux sont ceux qui le qualifient de père de la Syrie, pour beaucoup de Syriens, c’est une ère d’incertitude qui commence. Mais au moins, le Liban est là, aux côtés de la Syrie. C’est en tout cas le message qu’ont voulu transmettre les responsables libanais notamment le chef de l’État Émile Lahoud, le président de la Chambre Nabih Berry et le président du Conseil Sélim Hoss en se rendant à Qerdaha, après Damas. Ils y sont d’ailleurs arrivés bien avant le convoi funèbre, attendant seuls dans la mosquée les officiels syriens. C’était un peu comme une famille qui se retrouve, mais en jetant un dernier coup d’œil sur le cercueil du président, tout le monde était convaincu d’assister à la fin d’une époque, parfois cruelle, toujours passionnante. À Qerdaha, le soleil s’est couché au moment de l’inhumation de Hafez el-Assad et cette soudaine pénombre était sans doute le plus symbolique des adieux à celui qui fut bien plus qu’un président.
Pour son dernier voyage, le vieux lion n’était accompagné que d’une foule strictement encadrée : des officiels de son pays et des responsables libanais. Ce pays qui a hanté ses trente années de «règne» et dont il a longtemps pesé sur les destinées lui a donc été fidèle jusqu’au bout. Bien plus, en tout cas que ses autres frères arabes qui ont dédaigné le voyage à...