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Actualités - REPORTAGES

Les renseignements syriens au service de la presse libanaise ... Liban-Nord : variations sur un même thème

Le poste-frontière de Arida, la route qui mène directement à Lattaquieh, à Qerdaha, le village natal de Hafez el-Assad. Les renseignements syriens, des deux côtés du Nahr el-Kébir, qui disent leur douleur, la montrent, la donnent à la presse libanaise, reçue en reine, pour qu’à son tour elle la montre, la transmette. Tripoli, le quartier alaouite de Baal Mohsen qui surmultiplie les manifestations exacerbées de sa peine, et les chrétiens de Mina, la sagesse de leurs propos. Zghorta, discrète, qui frémit doucement, ses fils qui refusent les apparences, au fief Frangié-Moawad-Doueihy, il ne faut se fier qu’aux transparences. Bécharré enfin, Bécharré la fière, la vie est toujours un long fleuve tranquille, les dimanches se suivent, et se ressemblent… Au lendemain de la mort du président syrien, le Liban-Nord, du moins dans ses zones les plus sensibles, en affichant sa dualité, ses particularismes, ses différences, calmement, presque naturellement, n’en reste pas moins uni, à une ou deux exceptions près, pour partager la même tristesse et ses interrogations. Ses interrogations surtout. Elles ne sont pas très nombreuses les voitures, vers les 10 heures du matin, au poste frontière de Arida, côté libanais, et les haut-parleurs qui déversent déjà, d’ici et de là-bas, volume maximal, les versets coraniques, les chants funèbres. Nous avons interrogé les Libanais et les ressortissants syriens, des familles entassées dans leur véhicule croulant sous les portraits, parfois ce sont même de véritables tableaux avec cadre doré. Le soleil est impitoyable, ils attendent leurs passeports, tous en noir, leur sincérité, leur lyrisme, une foi qui ébranlerait n’importe quelle montagne, des phrases, toujours les mêmes, immanquablement, «après lui il n’y a plus de vie, je n’arrive pas à trouver mes mots, c’est un choc pour l’ensemble des Arabes, il a libéré le Liban, Bachar suivra ses traces, nous sommes optimistes, Bachar sera comme son père, peut-être même mieux, nous sommes optimistes». Certes, indubitablement, ils le sont, optimistes, mais les «si Dieu le veut» ponctuent chaque deux mots, rythment leurs réponses. «Nous sommes tous morts, et lui est encore présent, ses mots, on les entendra toujours, l’amour et la défense de la patrie, et la tête haute pour tous les Arabes, pleurera un des agents des renseignements syriens de l’autre côté de la frontière. Ses principes, ses directives, son âme resteront avec nous, on a juste perdu un corps». Et puis vous vous avancez vers les membres de ces renseignements-là, «vous êtes journaliste ?», oui, alors ils vous invitent à rencontrer le chef de poste syrien, qui vous reçoit avec la plus grande gentillesse, vous présentant, quelques mètres plus loin, le chef des renseignements syriens qui vous proposera moult cafés, vous gardant plus de vingt minutes et répondant, chose extrêmement inhabituelle, à toutes vos questions. «Le président Assad n’a jamais, jamais renoncé aux droits des Arabes, relevant constamment tous les défis, c’était le père de tous les Arabes, sa conscience libre et nationale, son enseignement qui perdurera…». Ses mots sont clairs, ses mains sont nerveuses sur son passe-temps turquoise, il insiste, «vous, la presse, vous devriez rappeler tout le mérite de cet homme, et toutes ses actions». Les hommes de Damas ont un irrépressible et évident besoin de parler, de communiquer leurs mots, leur douleur, vraie, indéniablement vraie. Madeleine à Mina Même comportement et même son de cloche chez son collègue du côté libanais, avec, cependant, une nette surenchère, il vous embrasse deux fois à trois reprises, vous offre plusieurs jus de fruit, des cigarettes Alhambra, vous propose de visiter la totalité de la localité, vous explique les détails des préparatifs qui se déroulent sous vos yeux, la construction d’une espèce de tente pour la réception des condoléances, avant de vous asséner les quatre vérités. «Ce qu’il nous a appris, c’est que tous les Arabes sont nos frères, et si un enfant libanais pleure, c’est toute la Syrie qui a mal, il nous a appris à assurer la sécurité du Liban, avant celle de la Syrie», le discours est énorme, la sincérité du chef de poste syrien sidère, effraie même. Il n’empêche, les habitants, des gamins aux grands-pères, s’affairent, participent, les haut-parleurs sont assourdissants, et il y a Khaled, 11 ans à peine, petite frimousse de bambin libanais déluré et insouciant, que l’on interroge, et qui vous cloue sur place, «mon chagrin, comme celui de mes parents, est immense, c’est notre leader à tous qui est mort, tout à l’heure, je vais recevoir les condoléances…». Maintenant, c’est Tripoli, Baal Mohsen d’abord, le quartier alaouite de la capitale du Liban-Nord, le spectacle, la douleur, le noir sont dans la rue. Et puis, quelques kilomètres à peine plus loin, à Mina, en face du port, la corniche, la mer qui vous fait, l’espace d’un instant, tout oublier, il y a Madeleine. Madeleine a dépassé la soixantaine, Madeleine n’a jamais quitté Tripoli, Madeleine a un superbe sourire et Madeleine parle. «Moi, comme tous les chrétiens ici, j’ai ressenti une grande tristesse, c’était un véritable héros arabe, et puis nous avons peur, peur de ce qui risque de se passer en Syrie, ce que Rifa’at el-Assad et Abdelhalim Khaddam pourraient être en train de manigancer, les points d’interrogation sont légion, explique-t-elle, il tenait les rênes du pouvoir d’une main de fer, Bachar est loin d’être aussi fort, il manque encore de préparation, cette mort est arrivée trop tôt, nous aurions voulu que le président puisse tester son fils au pouvoir, le surveiller». Madeleine confirme l’effet de surprise, «personne ne s’y attendait, même si nous savions bien qu’il était malade», elle raconte que c’était au cours d’une fête scolaire à l’école grecque-orthodoxe de Kobbé qu’elle a appris la nouvelle, «les parents de Baal Mohsen sont immédiatement venus retirer leurs enfants». Et puis elle évoque l’absence de toute manifestation à Mina, le deuil de trois jours, la fermeture de tous les magasins, «même la pâtisserie Hallab sera fermée». Enfin, concernant la présence des 35 000 soldats syriens sur le territoire libanais, Madeleine est intransigeante, deux mots, avec l’irrésistible accent tripolitain en sus, résument tout : «Cela suffit». Zghorta la discrète Avant-dernière étape de cette tournée nordiste, Zghorta, la ville des Frangié, Moawad et autres Doueihy. Ici, aucun portrait, aucun drapeau, les magasins sont ouverts, mais les gens sont mesurés, circonspects, ici, c’est la discrétion qui prévaut, les Zghortiotes privilégient l’humain. «C’est une perte pour notre pays, elle influera certainement sur la situation libanaise, dit un commerçant chrétien de la rue Slayeb, la principale artère de la ville, et même si, comme tout le monde, je me pose plein de questions, je reste optimiste, la nouvelle génération de gouvernants est de la meilleure augure». Hospitalité et sympathie zghortiotes exigent, Francis nous offre des fruits, des gâteaux et puis il répond, d’un jet, à notre question suivante, «la présence des soldats syriens au Liban est indispensable, c’est sûr, pour consolider la situation du pays, et pour parachever le retrait israélien du Liban-Sud». Francis confirme également que l’activité commerciale de Zghorta, au lendemain de la mort d’Assad, «n’est pas au meilleur de sa forme, il y avait beaucoup plus de gens dimanche dernier». Bref, la réalité est indéniable. Les habitants de Arida, Tripoli, Zghorta ou Bécharré, leurs réactions, leurs manifestations, ou l’absence de celles-ci, leurs ressentiments, leurs sourires, leurs douleurs, tout cela, en ce dimanche 11 juin, mettait encore plus en exergue toutes les couleurs, tous les particularismes, tous les paradoxes du Liban-Nord.
Le poste-frontière de Arida, la route qui mène directement à Lattaquieh, à Qerdaha, le village natal de Hafez el-Assad. Les renseignements syriens, des deux côtés du Nahr el-Kébir, qui disent leur douleur, la montrent, la donnent à la presse libanaise, reçue en reine, pour qu’à son tour elle la montre, la transmette. Tripoli, le quartier alaouite de Baal Mohsen qui...