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Actualités - REPORTAGES

Liban-Sud - Au milieu d'une plaine, la grille oubliée du monde A Abassiyé, soldats israéliens et combattants du Hezbollah face à face (photos)

Une grille qui semble oubliée au milieu de nulle part, dans une plaine baignée de soleil, c’est le passage de Abassiyé, si peu fréquenté par la population qu’ici, les combattants du Hezbollah et les soldats israéliens se retrouvent face à face sans témoins. C’est alors que pour les rares journalistes de passage commence un spectacle incroyable, un instant privilégié où les combattants, finalement pas si barbus que cela, laissent éclater leur immense curiosité de cet ennemi qu’ils ont réussi à vaincre. Le passage de Abassiyé est le moins connu des 5 portes ouvertes par Israël le long de la frontière avec le Liban. D’ailleurs, depuis des années, il ne s’entrouvrait plus que pour les militaires, israéliens ou membres de l’ALS. C’est qu’à la différence des autres portes, celle de Abassiyé, au sud-ouest des hameaux de Chebaa, semble plantée au milieu d’un désert, le village portant le même nom ayant été occupé par Israël bien avant 1982 et, vidé de ses habitants, il n’est plus qu’un immense stade sportif, à côté duquel les voitures se garent et brillent au soleil comme de multiples joyaux. Abassiyé est pratiquement collé au village alaouite de Ghajar, qui, par un mystérieux caprice du découpage franco-britannique des frontières, se situe au Golan, en territoire syrien occupé par Israël en 1967. Et, par un nouveau caprice des décideurs du monde, qui changent d’identité au fil des ans, sans jamais modifier leurs méthodes, Ghajar pourrait désormais être coupé en deux, une partie allant au Liban et l’autre restant sous contrôle israélien, en attendant le règlement global. Des jeunes gens armés surgissent des fourrés Ghajar est donc le seul coin habité dans ce lieu perdu et, vue de haut, la ligne frontalière marquée par des arbres plantés en ligne droite semble déserte. Après des kilomètres dans des champs jaunis par le soleil, le long du lit asséché du fleuve Hasbani (dont les eaux ont été détournées par les Israéliens) où les cigognes se reposent tranquillement entre deux vols, la voiture atteint enfin une sorte d’oasis ombragée. Brusquement, des jeunes gens en treillis militaires, armés jusqu’aux dents surgissent des fourrés. Comme sous les arbres, les drapeaux du parti fondamentaliste côtoient ceux du Parti syrien national-social, la confusion est possible, mais ils lèvent très vite l’ambiguïté en affirmant leur appartenance au Hezbollah. Ils commencent par vérifier les identités puis très aimables autorisent le passage tout en précisant qu’il est strictement interdit de les prendre en photos. La petite route champêtre empruntée depuis le village de Khiam est coupée par un remblai de terre, planté du drapeau jaune du Hezbollah. Il faut donc poursuivre son chemin à pied jusqu’à la grille électrifiée, édifiée par les Israéliens à l’entrée de Abassiyé. Une marche lente commence alors, impressionnante dans ce lieu silencieux et désert. Plantées du côté libanais, des mines enfouies dans un grillage épais des deux côtés de la route sont destinées à décourager les curieux. La frontière, ici, est bien gardée. L’immense grille apparaît soudain, terrifiante avec les fils qui en sortent et qui permettent aux Israéliens d’en commander l’ouverture ou l’électrification. Pour l’instant, comme il n’y a personne, le courant n’est pas branché. Mais au premier mouvement du côté libanais, les lumières se mettent à clignoter. «Attention, ne vous approchez plus», crie le combattant du Hezbollah qui surveille de près les rares visiteurs. De l’autre côté, un véhicule militaire aux phares allumés fait aussi le guet. Bien qu’aucun être humain ne soit visible, le visiteur se sent ici, épié en permanence. «Regardez-les, ils sont là, dans cette position à dix mètres de la grille». Le jeune homme du Hezbollah repère tout de suite les soldats et c’est comme s’il reçoit une charge d’adrénaline. Il ne tient plus en place et veut à tout prix les provoquer à sa manière. L’étoile de David sur le sable À Abassiyé, ni insultes ni vociférations. Tout se passe selon un rituel réservé aux initiés et reste loin du show médiatique. Les Israéliens et les combattants ont appris à communiquer d’une façon particulière. Avec un de ses compagnons qui l’a rejoint, le jeune homme sort ses jumelles, dont les lentilles brillent au soleil. Avant même que les soldats israéliens ne s’approchent de la grille, il sait qu’ils vont le faire. «Même s’ils vous adressent la parole, ne leur répondez pas», lance-t-il, voulant conserver le contrôle de la situation. Quelques minutes plus tard, deux soldats sortent du véhicule blindé. Ils posent lentement les casques sur leurs têtes, vérifient leurs armes et s’approchent de la grille en prenant leur temps. Les jeunes gens du Hezbollah retiennent leur souffle et la tension est si forte qu’elle en devient palpable. Le premier soldat s’arrête à trois mètres alors que le second poursuit sa progression. Il est désormais à un demi-mètre de la grille électrifiée. Le silence est total. Son camarade lui assurant une couverture au cas où, il lève les yeux et se met à fixer les deux jeunes gens de l’autre côté. Tous les trois se mesurent du regard, sans faire le moindre mouvement. Soudain, le soldat israélien dessine avec sa botte l’étoile de David sur le sable devant la grille, comme s’il s’agissait d’un rituel convenu d’avance. Les combattants l’observent en silence. Ils commentent ensuite : «Voilà, c’est fini, il va repartir maintenant. Chaque jour, les soldats font la même chose pour vérifier qu’aucune charge n’a été dissimulée. Parfois, ils cherchent à nous parler. Ils viennent nous dire qu’ils nous aiment, qu’ils souhaitent vivre en paix, mais nous leur rétorquons que c’est impossible, car ils occupent la Palestine. On dirait qu’ils ont peur de nous. C’est presque incroyable». Le jeune homme est très fier de provoquer de tels sentiments chez les soldats qui ont terrorisé tous les Arabes. Il est très ému d’être là, en face à face. Il voudrait entamer une conversation avec ses vis-à-vis, mais il n’ose pas, tout en ne parvenant pas à dissimuler sa curiosité. De l’autre côté, le soldat est encore là, comme attendant un signe. Le combattant en civil et le soldat armé s’observent longuement et lorsque cet échange muet prend fin et que le soldat rebrousse chemin, le combattant commence à lancer des insultes. «Pleutre, tu as peur, hein», crie-t-il, en sachant que l’autre est déjà loin. Il cherche surtout à oublier la fascination qu’exerce sur lui cet ennemi qu’il n’avait jamais encore eu l’occasion de voir de si près. Fascination partagée d’ailleurs, puisque le soldat lui aussi regardait avidement de l’autre côté de la barrière. «Ils vont maintenant ouvrir la grille. Deux jeunes gens et une famille attendent pour passer au Liban, mais vous devez partir, car les Israéliens ne veulent pas de témoins. Sinon, ils ne les laisseront pas venir… ». À la porte de Abassiyé, tout se passe dans la plus grande discrétion. Ni foule excitée ni familles anxieuses, seuls les combattants accueillent ceux qui viennent d’Israël et se chargent de les escorter vers le premier poste de l’armée. D’ailleurs, comme par une sorte de partage tacite, les chrétiens réfugiés en Israël n’empruntent pas ce passage, lui préférant celui de Naqoura. Ici, ce sont plutôt les druzes de Hasbaya et les chiites de Khiam et de Marjeyoun, qui traversent, sans publicité pour le nouveau destin qu’ils se sont choisi. Les combattants du Hezbollah affirment qu’ils n’interrogent personne, laissant cette mission à l’armée. «Nous ne sommes que l’escorte, mais nous surveillons la frontière. Il faut rester très vigilant». Ils montent donc la garde en permanence, seuls maîtres du lieu, face à l’ennemi avec lequel ils ont établi une sorte de code tacite de la cohabitation. À Abassiyé, la haine est contrôlée.
Une grille qui semble oubliée au milieu de nulle part, dans une plaine baignée de soleil, c’est le passage de Abassiyé, si peu fréquenté par la population qu’ici, les combattants du Hezbollah et les soldats israéliens se retrouvent face à face sans témoins. C’est alors que pour les rares journalistes de passage commence un spectacle incroyable, un instant privilégié où...