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Actualités - OPINION

Tribune Le Cèdre de Jage

Mais non il n’est pas mort. Il n’est pas mort en exil. On ne meurt pas quand tout un peuple vous supporte, vous porte et se sent porté par vous. Ils l’ont enterré il y a bien longtemps, le Amid, ceux qui ont fait de nous des orphelins en le laissant partir. Mais non exiler. Car c’est nous qui avons été exilés de Raymond Eddé. Lui, il est resté. C’est le pays qui a perdu avec son départ une grande part de ses chances, de ses espoirs, de sa réalité. Nous n’avons pas su le garder. Nous l’avons laissé partir. Mais il est resté. Car il croyait en son pays. Jusqu’au bout. Et c’est ça qui le faisait vivre. C’est l’urgence de son devoir de Libanais qui ne lui a jamais laissé de répit – et lui-même ne nous en laissait pas. C’est l’exigence de la survie du Liban qui lui a fait tenir jusqu’au bout ce discours fier et sûr de soi, qui le laissait aux aguets, inquiet de la moindre défaillance, à l’affût de l’ombre d’une chance, se déchaînant contre toute forme de traîtrise ou de compromission. Mais vous trompez pas. Nous, le peuple, nous avons toujours «su» le Amid. Même si nous n’avons pas toujours pu en profiter. Car c’est là notre drame. Nous nous sommes trompés en pensant que c’était un homme politique parmi d’autres qui nous proposait un projet parmi d’autres alors que son projet à lui était le seul possible : une nation et non un patchwork de communautés, des citoyens responsables et non des frères ennemis, un pays indépendant et souverain et non une annexe de quelque voisin que ce soit. Et cette série d’éloges tout d’un coup, cette logorrhée de qualificatifs et de superlatifs qu’ils se mettent tous à déverser sur la «conscience» du Liban, sur le «plus démocrate» d’entre tous, le «plus grand», le «plus libanais», le plus je ne sais quoi encore... Que ne l’ont-ils vu plus tôt, que ne l’ont-ils vécu plus vrai et que vont-ils en faire maintenant ? Lorsque seront terminés les rites et les cérémonies, lorsque se sera refermée la grande porte de la rue Émile Eddé, lorsque se sera définitivement tue cette voix qui les a plus souvent gênés qu’interpellés, que vont-ils faire ? Et nous qu’allons-nous faire ? Comme vous allez nous manquer Amid. C’est peut-être parce que vous avez senti que la première étape allait être franchie, que la seconde ne va pas tarder à l’être, vous qui avez si souvent vu avant tout le monde, que vous vous êtes enfin dit : «Ouf, je peux respirer». Et le seul moyen de le faire était celui-là. Partir vraiment cette fois. Et même si les plus jeunes ne savent pas encore ils sauront, lorsqu’ils seront devenus des hommes, combien ils vous le doivent. Et Jage ne vous oubliera pas Et moi. Qui m’oblige à parler de vous à l’imparfait alors que je vous sens tellement vivant encore, tellement fort, nerveux, furieux, drôle, excessif parfois mais jamais tiède, jamais ambigu. Droit. Et intransigeant. Moi qui connais vos fragilités aussi. De celles qu’on tait par pudeur et non par honte. Je tiens à vous dire, au présent cette fois, que je suis une inconditionnelle de vous, même si je ne suis pas toujours inconditionnellement d’accord avec tout ce que vous dites. Il est vrai que vous ne pouvez pas m’interrompre maintenant. Mais je sais que vous ne m’en voudrez pas, vous, pour qui l’exigence de liberté, de toutes les libertés, est une condition essentielle de la condition d’homme. Comme vous allez me manquer Amid. Comme vous me manquez déjà. Comme notre exil va être dur.
Mais non il n’est pas mort. Il n’est pas mort en exil. On ne meurt pas quand tout un peuple vous supporte, vous porte et se sent porté par vous. Ils l’ont enterré il y a bien longtemps, le Amid, ceux qui ont fait de nous des orphelins en le laissant partir. Mais non exiler. Car c’est nous qui avons été exilés de Raymond Eddé. Lui, il est resté. C’est le pays qui a...