Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

Hyperview - Une semaine, un ambassadeur : portrait et mots d'auteur I - Philippe Lecourtier, le sage esthète, le Lorenzo de Florence (photo)

Dorénavant et pendant quelques mois, chaque semaine, «L’Orient-Le Jour» publiera un article consacré à un ambassadeur accrédité à Beyrouth. Pourquoi ? La raison est simple, toute simple : ces hommes et ces femmes sont des figures-clé de la scène locale et les Libanais, souvent, connaissent peu ou mal la personne, le caractère de celui ou de celle qui se cache derrière le représentant officiel d’un pays étranger, qui il est, ce qu’il aime, ce qui le fait bondir ou rêver, ou encore pleurer, ses passions, ses obligations, son itinéraire, sa journée-type… Des hommes et des femmes souvent débordés, toujours accueillants et souriants, chacun sachant qu’être diplomate au Liban n’est jamais chose facile, acquise ou banale et qui, en sus de la (relative) mise à nu de leur personnalité, de leurs attirances ont bien voulu nous livrer leurs réflexions, leurs (res)sentiments, leurs mots, répondant – en principe, leur temps, souvent, à Beyrouth, leur étant compté – à sept questions, toujours les mêmes, l’état du monde, la situation régionale, notre société… Des rencontres toujours surprenantes, souvent formidables, il suffit juste de faire sienne l’idée que ces gens-là sont sous pression constante, la politique, ses rouages, ses règles, son éthique, les instructions, leur capitale au bout du fil, et puis hop !, cravate ou pas, il y a, chaque minute qui passe aidant, une évidence qui, presque, saute aux yeux : ces hommes, ces femmes sont, définitivement, avec leurs qualités, leurs défauts, leur(s) expérience(s), proches, si proches… C’est un homme de paradoxes, le nouvel ambassadeur de France à Beyrouth, il les aime, il les cultive, noirs, blancs, il les suggère, il les vit, à peine croit-on avoir cerné quelque chose que hop, un éclat de rire, un mot, une fixité, une précision viennent détromper, surprendre, dérouter, enrichir, Janus n’est jamais très loin, et qu’est-ce que c’est bien… La pudeur, la rudesse, la sincérité du nord-est et la réserve parisienne, la souplesse, la faconde, la sensibilité ultraméridionale, l’amour du beau, du simple, du vrai et l’expérience qui assagit, la folie de Florence, en Toscane, la renaissance italienne, les bruits, les fureurs Médicis, un génome de fonctionnaires, de serviteurs de l’État, la botanique, la zoologie, des envies gardées au fond de soi, c’est tout ça à la fois, Philippe Lecourtier, un homme, depuis qu’il est à Beyrouth, pressé, tellement pressé, un homme qui n’arrête pas. Méditerranée(s) ! «C’est une question de climat, d’atmosphères, de relations humaines, j’ai un tempérament extrêmement latin, voilà pourquoi le Liban me convient tant…». Philippe Lecourtier est né en Argonne, c’est-à-dire quelque part au milieu de collines boisées aux confins de la Champagne et de la Lorraine, la quintessence du nord-est français et il n’aime rien plus que le sud, la Méditerranée, toutes les Méditerranées. De toutes les villes où cet énarque, «promotion 68 !», a servi la France, Tokyo et Brasilia, près de cinq ans, ou Bagdad, qu’il n’a pratiquement pas connue, il y a été affecté en 1990, au tout début de la guerre du Golfe, sa reine de cœur, jusqu’à nouvel ordre, est éternelle et elle s’appelle Rome, «la civilisation est extraordinaire, le caractère italien, unique». Et Philippe Lecourtier est un esthète, «j’apprécie les belles choses», un esthète qui n’en a que faire des valeurs du marché, lui ce qu’il préfère, c’est un paysage, une fleur, un moment, volé, fixé, imprimé, un rayon de soleil, «voilà pourquoi j’aime autant la Méditerranée...». Le Liban n’échappe pas à la règle. Indépendamment de ses devoirs, de ses impératifs de représentant de la France à Beyrouth, Philippe Lecourtier est tout entier plongé, nimbé de littératures libanaises, qu’il aime, qu’il (re)découvre, «Josette Alia, La Mémoire des Cèdres que j’ai dévoré, Amin Maalouf, tous les Maalouf, que je lis et relis». Cet amoureux fou de peinture(s), aux goûts on ne peut plus éclectiques, à l’esthétique classique, «oui mais je l’ai modernisée quand même…» s’intéresse, et de près, à la peinture libanaise, «les peintres libanais sont des peintres de la couleur, elles sont chaudes, elles vibrent, elles sont tellement Méditerranée, je préfère de loin la peinture libanaise à la peinture allemande par exemple, qui est une peinture un peu trop tragique à mon sens…». Il n’empêche, il n’y a pas que la peinture libanaise ou allemande… Philippe Lecourtier est un grand amateur de peintres français, membres du groupe des nabis, Pierre Bonnard notamment, un coloriste post-impressionniste, influencé par les estampes japonaises, des plus subtils et des plus lyriques. Et de Matisse. Aussi. Florence, 1490 «Elle est fondamentale pour la compréhension du monde, surtout pour nous, diplomates». L’histoire… Philippe Lecourtier est féru d’histoire, et probablement des histoires, petites ou grandes, qui vont avec. Ce qu’il retient du siècle passé ? «Parmi les événements positifs, l’homme sur la Lune, certainement, sauf que, chose des plus étonnantes, il n’y a pas eu de suite...». Sinon, les guerres en général, «c’est ce qu’il y a de plus horrible, surtout que nous européens, nous avons eu le sentiment que nous en avions fini avec les guerres en Europe, alors que ça continue, encore et encore». Et de toutes les figures qui ont marqué ces cent dernières années, «je sais ma réponse est banale, mais c’est comme ça, c’est incontournable», Philippe Lecourtier cite Charles de Gaulle. Et indiscutablement, parmi les quelques noms inscrits, désormais, au patrimoine «génétique» de millions de français, n’en déplaise à Stéphane Zagdanski qui, avec Pauvre De Gaulle, s’est employé à détruire le mythe, de A à Z, celui du général à l’inamovible képi occupe, et de loin, le haut de leur panthéon. «Oui mais il y a aussi les grands méchants, ceux qu’on ne peut pas, même si on le veut, oublier…». L’époque à laquelle Philippe Lecourtier aurait aimé vivre, celle qui le fascine, obsédante ritournelle, image récurrente d’un passé latin, jusqu’au bout des nuits florentines, rêvé, sublimé, entre Giotto, Léonard ou Michel-Ange, les silences hurlants, l’amour braque et les fureurs des couloirs des Médicis, Lorenzaccio, Catherine, et les autres, c’est la Renaissance italienne, les XVe et XVIe siècles, «Florence en 1490, voilà où et quand j’aurais aimé vivre, la société nouvelle, les libertés qui se multiplient, peut-être les illusions aussi, dans tous les cas, ce que j’aime, c’est cette bascule entre les valeurs rigides du Moyen Âge et la nouveauté générée par la Renaissance, le seul problème, à mon avis, c’est que tous n’étaient pas, comme Vinci ou Michel-Ange, conscients de cette nouveauté…». Et il était clair qu’à ce moment-là, emporté par sa fougue et l’intérêt qu’il porte à son sujet, Philippe Lecourtier allait vous livrer cette petite phrase d’apparence anodine mais qui, une fois (re)pensée, prenait toute la place, tout son poids, «l’essentiel, à l’époque comme aujourd’hui, là-bas comme ici, c’était de faire partie du bon cercle au bon moment et ça, ce n’est pas donné à tout le monde». Limpide… Le film, un des films préférés de Philippe Lecourtier ? La Reine Margot, signé Patrice Chéreau, d’après Alexandre Dumas. Auteuil, Anglade, Pérez, Greggory, Virna Lisi et les autres et Adjani, «si j’aime Adjani ? dans ce film, oui, beaucoup», Margot, ses frères, la Médicis, la mamma araignée, les intrigues, les haines, les passions, le XVIe siècle, les guerres et l’histoire, tout l’univers est là. «C’est tellement rare aujourd’hui les films qui soient en même temps divertissants, spectaculaires et intelligents, cette exigence-là se perd». Des plantes et des hommes Ce qui fait rire Philippe Lecourtier ? «Les cocasseries de la vie, ses incongruités, les surprises, oui j’aime les surprises, bien sûr, les bonnes évidemment, parfois, avec ma femme, nous rions des choses qui nous arrivent, c’est l’ironie, la distance vis-à-vis de soi-même». Et puis les larmes, cet aveu, «je ne pleure pas souvent», mais la perte des siens, les choses de la vie, la misère, «si elle est profonde», là oui, Philippe Lecourtier pleure, «sur moi-même ? oh non, je ne pleure plus sur moi-même, ça c’était quand j’étais jeune, comme tout le monde». La sagesse : l’ambassadeur français est de moins en moins colérique, «ce sont l’âge et l’expérience, on fait la part des choses, on devient plus bienveillant», mais la colère froide, terrible, arrive encore, «lorsque je ne réussis pas ce que je veux». Ce qui le fait rêver ? «Je rêve beaucoup, oui». Et les rêves éveillés, ceux que l’on fait lorsque l’on se met à ne plus penser, lorsque l’on se laisse, enfin, aller ? «Ah, les rêves conscients, là j’en ai encore beaucoup, une carrière professionnelle réussie, l’harmonie pour ceux que j’aime, ceux avec qui je travaille, qu’ils soient meilleurs, plus à l’aise». Et les rêves un peu fous, décrocher la lune, aller cueillir des framboises la nuit, une bouteille de champagne à la main, le tour du monde en montgolfière, à dos de chameau… «Les rêves extravagants ? Non, je ne vous les dirai pas, l’extravagance, c’est de l’impudeur vous savez ?» Bien. Et puis il y a l’inévitable question, banale et galvaudée, prostituée même depuis tous ces temps immémoriaux tellement on en abuse et qui ne vaut que par la réponse qui va avec. «Ma conception du bonheur ? C’est la sérénité». Est-ce qu’il la touche, la sérénité, Philippe Lecourtier ? «Vous plaisantez, je ne la touche que très rarement, et c’est déjà très bien, ainsi on ne peut que continuer à y aspirer». Et la mort ? «J’y pense, bien sûr, inévitable, inquiétante…» «Je viens d’une famille de fonctionnaires, mes études, ma profession, la pente que j’ai suivie était toute naturelle…». Oui mais sinon, s’il n’avait pas été diplomate Philippe Lecourtier ? «Si j’avais eu des aptitudes scientifiques, j’aurais choisi les sciences de la nature, la biologie, la botanique, les animaux». Aucun rapport avec les êtres humains ? «Oui, mais j’aime mon métier et les êtres humains, maintenant, c’est mon métier». Et plutôt deux fois qu’une ! Surprenant, Philippe Lecourtier, et étonnant, les paradoxes faits homme. Et jusqu’au bout.
Dorénavant et pendant quelques mois, chaque semaine, «L’Orient-Le Jour» publiera un article consacré à un ambassadeur accrédité à Beyrouth. Pourquoi ? La raison est simple, toute simple : ces hommes et ces femmes sont des figures-clé de la scène locale et les Libanais, souvent, connaissent peu ou mal la personne, le caractère de celui ou de celle qui se cache derrière le...