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Actualités - OPINION

Droit de réponse

Il ne s’est pas fait attendre. Il n’a même pas pris la peine de finir de lire mon dernier message. C’est comme si le feu consumait déjà la grange. Une réaction impulsive, immédiate, bannissant toute argumentation, toute explication. Mon ami syrien (*) n’a pas mis des gants pour me répondre : «Alors, c’est comme ça, tu veux changer l’équation, établir de nouveaux rapports “d’égal à égal” basés sur la confiance réciproque ? Veux-tu insinuer que tel n’était pas le cas et que vous étiez tout simplement manipulés ? Ce serait là un déni de mémoire, une insulte aux considérations de l’Histoire et de la Géographie qui déterminent nos relations. Oublies-tu que nous sommes un seul peuple dans deux États, une aberration héritée de l’ancien colonisateur ? Notre destin est un et indivisible, l’un ne peut pas prospérer sans l’autre et, inversement, la décadence de l’un aboutit à la décrépitude de l’autre. Imagine un peu, par exemple, ce qui se passerait si le million d’ouvriers syriens qui travaillent au Liban décidait, du jour au lendemain, de rentrer au pays. Tous les chantiers de construction s’arrêteraient, et vos entrepreneurs seraient obligés de payer au prix fort une main-d’œuvre beaucoup plus exigeante». – C’est oublier que ce million d’ouvriers draine tous les mois des centaines de millions de dollars en Syrie sans dépenser la moindre livre au Liban. Leur retour au pays signifierait la dèche pour un million de familles et l’éclosion d’une contestation sociale dont se passerait bien le régime en place. Les «mauvaises habitudes» s’apprennent si vite au Liban... Retour à la missive fielleuse : «Imagine un peu ce qui se passerait si les milliers de soldats syriens en poste au Liban étaient rapatriés sans crier gare. Vous vous étriperiez du jour au lendemain à la moindre provocation et vous vous empresserez de solliciter une nouvelle fois notre concours. Mais cela ne se produira évidemment pas. Le Liban est trop cher à notre cœur. Rappelle-toi que, par le passé, contraints, nous avions fermé nos frontières pour vous ramener à la raison, raison disloquée dans vos aventures palestiniennes. Cela vous avait dessillé les yeux et vite ramené au bercail syrien». – Une vieille histoire qui remonte, dans notre mémoire, à la nuit des temps, une guerre de quinze ans qui a dévasté nos âmes et imposé les réalités de la sacro-sainte fratrie. «Imagine un peu que nos dirigeants cessent leurs pérégrinations pour défendre la cause libanaise auprès des instances internationales, qu’un terme soit mis à la concomitance des deux volets. Votre voix ne porterait pas plus loin que vos frontières. La diplomatie a besoin d’envergure et de solides amitiés, Hariri en avait mais depuis, c’est le désert, le vide, que nous avons bien accepté de combler pour désamorcer les “cadeaux empoisonnés” des Israéliens. Ces derniers ne plient-ils pas déjà bagage au Liban pour mieux nous piéger ?» – Mon interlocuteur va vite en besogne. Il semble oublier que le sommet de Genève avait précisément pour but de remettre en selle le volet syro-israélien et que, depuis, Washington a décroché par dépit. Il semble également oublier qu’après la visite de Chareh à Paris, la France a averti la Syrie qu’elle risquait de se retrouver isolée sur la scène internationale. Mais mon ami, bien entendu, n’est pas à une contradiction près. «Nous n’ignorons rien de vos moindres activités, de vos moindres propos, même les plus futiles ou les plus anecdotiques, particulièrement dans les milieux isolationnistes que tu sembles si bien connaître. Je sais bien qu’on nous y traite de “Suisses du Liban” par dérision et pour ne pas écorcher les oreilles de nos amis, mais je passe outre comme pour ce qui est de vos blagues sur les homsiotes que vous inventez à tire-larigot. Vous vous défoulez comme vous pouvez, c’est sain et déstressant... et ça s’arrête là. «Quant aux étudiants, cette poignée d’énergumènes qui ont même osé brûler le drapeau syrien, ils ne pèsent pas lourd dans la balance. Ils peuvent hurler, piailler autant qu’ils veulent, cela ne les mènera nulle part. Tout est sous contrôle, tu peux bien me croire. «Notre présence au Liban est d’ailleurs légale, votre président l’a clairement reconnue. Il a bien ajouté qu’elle est provisoire mais tu sais très bien qu’il n’y a que le provisoire qui dure». *** Cela suffit. J’interromps cette logorrhée. Promis, juré, mon «ami syrien» vous n’en entendrez plus parler, du moins pas de sitôt. Je le mets en boîte (pardon, dans une boîte) et je ne l’en sortirai que lorsqu’il aura fait pénitence, le temps qu’il se métamorphose en vrai Suisse. Mais n’est-ce pas là le condamner à la détention à vie ? P.S.: Cet «ami syrien», je vous vends la mèche, est un pur produit de mon imagination. J’en ai heureusement de meilleurs... moins cyniques, plus compréhensifs, souvent à l’écoute de l’autre. C’est grâce à des gens comme eux que seront préservées les incontournables relations privilégiées. (*) L’Orient-Le Jour du vendredi 28 avril.
Il ne s’est pas fait attendre. Il n’a même pas pris la peine de finir de lire mon dernier message. C’est comme si le feu consumait déjà la grange. Une réaction impulsive, immédiate, bannissant toute argumentation, toute explication. Mon ami syrien (*) n’a pas mis des gants pour me répondre : «Alors, c’est comme ça, tu veux changer l’équation, établir de nouveaux...