Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

Commémoration - Célébration, lundi du 85e anniversaire du génocide arménien L'inadmissible négationnisme : jusqu'à quand ? (photos)

Un crime odieux contre l’humanité, perpétré il y a quatre-vingt-cinq ans, en plein vingtième siècle, et toujours impuni ; un million et demi de femmes, d’hommes, d’enfants, pendus, décapités, affamés et assoiffés ; des milliers de kilomètres carrés volés ; les intérêts politico-économiques de certaines grandes puissances qui passent encore avant une reconnaissance – une condamnation, officielles, de ce génocide ; et le négationnisme surtout, criminel, aberrant à en devenir grotesque, d’Ankara et de l’ensemble de la population turque, voilà ce que les Libanais d’origine arménienne, ce que tous les Arméniens de par le monde commémoreront et dénonceront, lundi 24 avril. Ne jamais oublier, ne jamais céder, garder présentes dans sa mémoire, dans sa chair parfois, des images, des photos, des histoires mille fois racontées par ceux qui ont vu, et (sur)vécu, aiguillonner, sans cesse, rappeler, encore et encore, pour réveiller toute la communauté internationale, pour espérer, qu’un jour, la grâce, la jurisprudence Adenauer touche les dirigeants à Ankara, pour qu’enfin justice se fasse, voilà le devoir de chaque Libanais d’origine arménienne, et que devraient partager, au nom de l’éternelle pluriconfessionnalité de leur pays, tous les Libanais, ne serait-ce qu’un jour l’an, un 24 avril, par exemple… Il y a, comme souvent, des chiffres qui parlent d’eux-mêmes, qui cristallisent en eux toute l’horreur d’une réalité, et qui suffisent. En 1844, 1878, 1913 ou 1914, les recensements dans les différentes divisions administratives de l’Empire ottoman, les vilayets, étaient les suivantes : 249 361 Arméniens dans le vilayet de Van, dont 103 432, sur 110 897 habitants, dans le caza du même nom ; 202 391 dans le vilayet d’Erzeroum ; 250 000 dans celui de Bithis-Baghech, 150 000 Arméniens dans le vilayet de Diarbekir, 124 289 dans le vilayet de Kharpert ; 189565 dans celui d’Alep ; 83 733 dans celui d’Adana ; 204 472 à Sivas-Sebask ; 135 869 à Angora ; 73 395 dans le vilayet de Trébizonde ; 118992 dans celui de Brousse et 241 000 à Constantinople, ainsi que dans son arrière-pays. Cette énumération de chiffres ne sert qu’à une chose, arriver au nombre total d’Arméniens qui vivaient dans l’Empire ottoman avant le génocide de 1915, soit 1 893 000 âmes environ. Et lorsque l’on sait qu’ils ont été 1.500 000 à avoir péri sous les atrocités commises par le gouvernement jeune-turc de l’époque, l’ampleur de ce crime contre l’humanité se passe de tout commentaire. Il suffit simplement de lire un court passage d’un historien spécialiste de la question arménienne, André Mandelstam, pour avoir un aperçu des méthodes employées par les Turcs. «Au cours du printemps et de l’été 1915, sur l’ordre du gouvernement jeune-turc aux commandants d’armée et aux autorités civiles des provinces, une partie des Arméniens des vilayets orientaux de la Turquie furent massacrés sur place, d’autres déportés vers le sud et décimés en route. Les autorités turques, non seulement ne prenaient aucune mesure pour le ravitaillement et la sécurité des convois, mais encourageaient et souvent même organisaient attaque et pillage par les villageois et les brigands turcs et kurdes ou leur massacre, par les gendarmes chargés de leur protection. Des milliers de déportés tombaient épuisés de faim, de soif et de fatigue. Parfois les bourreaux noyaient leurs victimes dans les fleuves, les brûlaient vifs ou les assommaient avec des raffinements de torture, souvent aussi les jeunes femmes et les enfants étaient enlevés et vendus aux harems musulmans. D’autres déportés mouraient d’inanition ou de maladies à leur arrivée dans les camps de concentration en Mésopotamie ou dans le désert arabique ; parfois ils y étaient même tout simplement massacrés». Et tout cela ne se passait ni en 1943, ou 44, mais en 1915… Cette monstruosité commise contre l’humanité ne fut jamais désavouée par les Turcs qui continuent toujours de l’ignorer ; aucun geste, aucune déclaration de reconnaissance ou de regret, aucune réponse, à l’exception de pressions diplomatiques en retour, aux quelques (rares) demandes internationales, rien qu’une obstination infaillible et déterminée, comme l’achat de chaires universitaires en Europe ou aux États-Unis afin de défendre leur thèse, bref, la Turquie, apparemment, s’est engagée à élever le négationnisme au rang de doctrine politique. La solidarité arabe, déjà… Il a fallu attendre 1985, soit soixante-dix ans après le massacre, pour que la communauté internationale prenne enfin conscience de l’indiscutable réalité : c’est à cette date-là que la Commission des droits de l’homme de l’Onu a présenté, pour la première fois, une proposition de loi visant à reconnaître le génocide dont a été victime le peuple arménien. Mais c’est le 18 juin (!) 1987 qu’est enfin arrivée la première reconnaissance officielle, et elle émanait du Parlement européen de Strasbourg qui a posé comme condition à la Turquie, pour son entrée au sein de l’Union européenne, d’assumer son entière et unique responsabilité. L’Assemblée nationale française, pour sa part, a attendu 1998 pour admettre, certes à l’unanimité, ce génocide, mais la proposition de loi n’a toujours pas été adoptée par le Sénat. Aux USA, seuls certains États ont adhéré à cette mesure, le Congrès américain continuant de s’y refuser, la Turquie étant un des principaux alliés de l’Otan. La Douma russe, le Parlement grec, l’Argentine et surtout l’Uruguay, ce fut le premier pays à le faire, ont également reconnu cet holocauste. Quant au Parlement libanais, même s’il a adopté une résolution de loi condamnant le massacre, il n’a pas été, en omettant de mentionner les Ottomans, à la hauteur des espérances de sa communauté arménienne. Est-il utile, à ce sujet, de rappeler la place, prépondérante, qu’occupe cette communauté au sein de la mosaïque confessionnelle libanaise, ainsi que l’intégration socio-économico-culturelle, en fin de compte et malgré tout pleinement réussie qui la caractérise ? Dans tous les cas, cette empathie, cette coexistence, ne datent pas d’aujourd’hui, et ne se limitent pas, au Moyen-Orient, au seul Liban. À l’époque du génocide, le dévouement et la sollicitude des Arabes à l’égard des milliers de déportés et des rescapés des massacres ont été, selon la quasi-totalité des historiens et des spécialistes, remarquables. Selon l’un d’entre eux, Hratch Dasnabédian, «les Arabes et les Arméniens partageaient, sous la tyrannie turque, un sort identique depuis des siècles, et ces deux peuples aux aspirations communes ne pouvaient que fraterniser dans le malheur. Plusieurs hauts fonctionnaires arabes, refusant d’exécuter les ordres du gouvernement ottoman à l’égard des déportés arméniens, furent limogés et même emprisonnés», a-t-il souligné. D’autre part, de nombreux orphelinats ont été fondés au Liban, en Syrie, en Palestine ou en Égypte, dans les années 1915-1918, et ces orphelinats hébergeaient à l’époque plus de 40 000 enfants, dont les parents ont été massacrés, noyés, ou morts de typhus, de typhoïde ou d’inanition. La destruction jusqu’au bout Il est clair que l’œuvre d’éradication massive du peuple arménien entreprise par les Ottomans en 1915 ne s’est pas limitée au massacre et à la suppression de ces hommes et de ces femmes qui s’enorgueillissaient d’être parmi les plus cultivés et les plus évolués d’une bonne partie de l’Empire ottoman. Le gouvernement jeune-turc a également et malheureusement entrepris d’effacer les traces les plus prégnantes, les plus signifiantes d’une civilisation, de toute une culture. En 1914, en Arménie orientale et en Cilicie, comprise toutes deux dans l’Empire ottoman, on dénombrait 2538 églises et 451 monastères ; il était alors indéniable que l’art arménien chrétien, dont l’architecture était l’expression la plus originale et la plus importante, avait atteint, à cette époque, une apogée certaine. Les églises étaient évidemment les monuments les plus nombreux et un bon nombre de caractères particuliers s’y retrouvaient : l’usage de la coupole sur tambour, probablement en raison d’une vision de Saint-Grégoire, la simplicité extérieure, la rareté et l’étroitesse des portes et des fenêtres, à cause du climat mais aussi de l’insécurité du pays, le cloisonnement intérieur, indiqué extérieurement par des dièdres verticaux – ce sont les niches arméniennes, le mode de construction par âme de mortier entre deux parements de tuf, la légèreté du matériau autorisant la couverture de pierre, la variété et la permanence des types, etc. Quant à l’architecture monastique, elle s’est développée à partir du Xe siècle par l’adjonction d’annexes aux églises : devant les portes furent édifiés les jamatouns, servant de salles capitulaires et de lieu de sépulture, les couvents comprenant en outre des réfectoires et des bibliothèques. Et c’est ainsi qu’entre 1915 et 1923, environ un millier d’églises et de monastères arméniens ont été rasés et près de 700 autres édifices religieux à demi-détruits. C’étaient des églises millénaires, dont la construction, qui a commencé au début du christianisme, a duré des siècles. Leur mise à sac, tout aussi inacceptable que le reste, toutes proportions gardées, ne peut demeurer, même quatre-vingts ans plus tard, impunie. L’indispensable reconnaissance Certains d’entre eux lui déconseillant de mettre en œuvre ses visées criminelles, Adolf Hitler, une autre erreur de l’Histoire s’il en est, dans son discours adressé aux chefs militaires du IIIe Reich le 22 août 1939, à la veille de l’attaque contre la Pologne, disait : «J’ai donné ordre à des unités SS de se rendre sur le front polonais et de tuer sans pitié hommes, femmes et enfants. Qui donc parle aujourd’hui de l’extermination des Arméniens ?» Encore une fois, cet homme s’est trompé, et lourdement. Lundi, les Arméniens – et les non-Arméniens du Liban espérons-le, tenteront de «commémorer» le quatre-vingt-cinquième anniversaire du génocide de tout un peuple, ils tenteront de faire en sorte que les dirigeants turcs, toute la Turquie, assume, il en est temps, leurs responsabilités et reconnaissent ce crime commis contre une partie de l’humanité. Il ne restera plus qu’à la communauté internationale, aux superpuissances, d’oublier, l’espace d’un moment, leurs combines politico-économiques et de jouer, elles aussi, leur rôle : Ankara saura bien à ce moment-là, que tôt ou tard elle ne pourra plus y échapper, à cette indispensable reconnaissance du génocide arménien. Oui mais quand ?
Un crime odieux contre l’humanité, perpétré il y a quatre-vingt-cinq ans, en plein vingtième siècle, et toujours impuni ; un million et demi de femmes, d’hommes, d’enfants, pendus, décapités, affamés et assoiffés ; des milliers de kilomètres carrés volés ; les intérêts politico-économiques de certaines grandes puissances qui passent encore avant une reconnaissance...