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Actualités - OPINION

Faim d'avenir

Demain leur appartient, et ce demain-là on prétend le façonner sans eux, et même contre eux. C’est une belle leçon de courage que viennent de donner pourtant, à la société tout entière, ces étudiants insultés et battus, pourchassés, traqués et matraqués puis promptement condamnés et embastillés. De courage certes mais aussi, et fort paradoxalement, de maturité, de conscience tourmentée peut-être mais conscience quand même, face aux pièges d’un avenir national et régional en pleine mutation : toutes facultés et ressources sagement endormies chez nombre de leurs aînés, émoussées par la lassitude et le désabusement, érodées par le temps qui passe, par le pernicieux confort de la routine, par la terreur des complications, par la quête effrénée du bien-être – ou de la simple survie – économique. Pire qu’une erreur, une faute : on ne condamnera jamais avec assez de vigueur la courte vue et la brutale impulsivité des responsables qui, d’une effervescence on ne peut plus normale dans tous les campus du monde, ont réussi à faire une grave éruption, une affaire d’État, une cause célèbre. Que leur reprochait-on au départ, à ces jeunes ? D’avoir osé exprimer une inquiétude existentielle que sont incapables, bien entendu, de comprendre – et encore moins de partager – ces mêmes responsables, du moment que sont préservés leurs égoïstes privilèges. D’avoir distribué des tracts renfermant une rhétorique sans doute radicale mais que reproduit régulièrement pourtant, sans problèmes ni états d’âme, la presse, dans l’exercice de sa mission d’information : une rhétorique qui, de toute manière, circule en permanence sur Internet en se moquant éperdument des frontières géographiques, comme de celles érigées par l’intolérance et la bêtise humaines. D’interpellations en rafles nocturnes, de bousculades en passages à tabac, la fronde estudiantine a vite cessé d’être l’affaire d’un mouvement précis, d’un parti, pour gagner une large fraction de la jeunesse, toutes tendances confondues : une jeunesse qui, dans le concert de bêlements officiels comme dans le lourd silence d’une société politique et civile passablement émasculée, entend absolument avoir voix au chapitre. Dans le passé, ces jeunes du Liban ont pu être séduits – ou abusés, comme on le voudra – par les seigneurs de la guerre ; non moins coupables que ces derniers sont toutefois les gouvernants de la paix. Qui n’ont pas su, eux, jeter des ponts en direction des générations nouvelles, se soucier de leurs aspirations, essayer de leur déboucher les horizons, éloigner d’eux le spectre de la vie végétative et de l’émigration forcée, leur donner foi en un Liban meilleur : un Liban dont le trait le plus saillant, dont la raison d’être a toujours résidé précisément dans le fait qu’on y est libre de ses opinions ; et qu’on est parfaitement en droit de les exprimer, au besoin en manifestant, comme le garantit la Constitution. De ce profond et persistant malaise les autorités n’auront retenu, hélas, que les slogans antisyriens qu’arboraient une partie des étudiants ; c’est ce qui ressort des tartines quotidiennes de l’information officielle et, de manière plus spectaculaire encore, du communiqué présidentiel d’hier résumant la crise à des manipulations étrangères visant à faire le jeu d’Israël. Le chef de l’État dispose sans doute d’informations inaccessibles au commun des mortels, ce qui serait après tout bien normal ; mais de l’homme qui a promis le changement, on est en droit d’attendre une perception plus ample, plus généreuse des problèmes de cette jeunesse en désarroi qui n’aspire qu’à une société de paix et d’harmonie, qu’à la paix tout court, mais qui en redoute les contraintes cachées. Car ils méritent bien mieux ces jeunes, nos jeunes à tous, que le peu commun spectacle d’un État qui a érigé l’auto-effacement en doctrine, qui étale de la sorte sa terreur de l’évacuation ; un État dont la micro-diplomatie est déclinée tour à tour par une telle multitude de responsables ; un État où les préposés à l’Intérieur sont plus occupés à faire du touche-à-tout, ou éventuellement à faire tabasser les étudiants, qu’à protéger les gens sur ces hauts lieux de la folie meurtrière que sont nos autoroutes ; un État dont même la faune parlementaire montre plus d’ardeur et d’intérêt(s ?) à débattre du crémeux gâteau de la téléphonie cellulaire qu’à poser, sur d’autres dossiers, des questions par trop indiscrètes … En ces temps de grève de la faim, c’est de sérénité et d’espérance surtout qu’il nous faut les nourrir, qu’il nous faut les gaver, ces jeunes.
Demain leur appartient, et ce demain-là on prétend le façonner sans eux, et même contre eux. C’est une belle leçon de courage que viennent de donner pourtant, à la société tout entière, ces étudiants insultés et battus, pourchassés, traqués et matraqués puis promptement condamnés et embastillés. De courage certes mais aussi, et fort paradoxalement, de maturité, de...