Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

Jurisprudence - La responsabilité du ministre et la procédure de son jugement La sécurité juridique, un principe essentiel, souligne Bahige Tabbarah

La question de la responsabilité des ministres dans l’exercice de leurs fonctions et de la juridiction compétente pour connaître de leurs actes a défrayé dernièrement la chronique au Liban en raison des poursuites engagées à l’encontre d’anciens membres du gouvernement. Plus d’une opinion a été exprimée à ce sujet et le débat auquel ce point de droit a donné lieu dans les milieux politique, parlementaire et juridique vient d’être relancé avec la parution de l’ouvrage «La responsabilité du ministre et la procédure de son jugement», écrit par M. Nicolas Fattouche, lui-même ancien ministre et juriste. Dans le cadre de la présentation de cet ouvrage, jeudi dernier, au siège de l’Ordre des avocats, M. Bahige Tabbarah, ancien ministre de la Justice, docteur en droit, a fait un remarquable exposé dont nous reproduisons ci-dessous, en raison de l’intérêt qu’il présente, des extraits : «Qu’il me soit permis d’aborder le fond du problème évoqué par l’ouvrage de Me Nicolas Fattouche en constatant d’abord que la mise en responsabilité du ministre, ainsi d’ailleurs que de tout autre officiel, ne doit faire l’objet d’aucun doute. Il n’est pas concevable, en effet, qu’il y ait autorité sans reddition de compte. La question demeure cependant : comment et auprès de quel organisme ? «Au début de l’année 1999, le Liban a connu un quasi-renversement dans la position des autorités judiciaires en la matière. «Car, dix ans auparavant, soit le 23/10/1989, le ministère public considérait que les juridictions de droit commun étaient incompétentes pour poursuivre un ministre pour des faits accomplis dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. Il était même allé jusqu’à affirmer que la poursuite du ministre auprès des instances judiciaires ordinaires était en contradiction avec “les règles fondamentales les plus élémentaires et les principes constitutionnels”. «Le 18/12/1989, la Chambre d’accusation affirmait que les faits imputés au ministre, en supposant qu’ils soient vérifiés, étaient accomplis dans le cadre ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions et relevaient de la compétence de la Chambre des députés. «Le 6/5/1991, la Cour de cassation a considéré que le fait imputable à un ancien ministre et relatif à l’exercice de ses fonctions ministérielles constituait un manquement aux obligations de ses charges et ne relevait pas de la compétence des juridictions pénales ordinaires». «Le 16/1/1991, le procureur général constatait que la poursuite de crimes commis par manquement aux obligations des charges ministérielles impliquait l’obligation d’apprécier ces faits et considérait que donner ce droit d’appréciation aux juridictions ordinaires va à l’encontre du principe de la séparation des pouvoirs. «Le 3/8/1999, le procureur général déclarait qu’il ne lui était pas permis de poursuivre les ministres, cette poursuite étant de la compétence de la Haute Cour. Et d’ajouter : nous ne sommes pas des législateurs. Notre mission est d’appliquer les lois existantes. Levez la barrière des immunités avant de nous reprocher de ne pas faire face aux irrégularités juridiques. «Début 1999, revirement soudain de la jurisprudence. «Depuis, nous pouvons lire sous la plume du procureur général qu’aucun texte dans la Constitution ou dans les lois ne confère au ministre une quelconque immunité. «Le 24/3/1999, la Cour de cassation conclut que la compétence de la Haute Cour pour juger les ministres n’est pas exclusive, mais concurrente, et que la poursuite du ministre devant les juridictions pénales ordinaires ne va pas à l’encontre du principe de la séparation des pouvoirs. «Puis, le 9 mars 2000, la chambre d’accusation fait évoluer la nouvelle jurisprudence en considérant que les juridictions ordinaires sont seules compétentes dès que l’action publique est déclenchée à l’encontre d’un ministre pour des faits accomplis dans l’exercice de ses fonctions. «Devant ces revirements, chaque citoyen est en droit de se poser des questions sur la motivation d’un tel bouleversement. Il est en droit d’être inquiet sur le sort du principe de la sécurité juridique qui constitue un principe essentiel pour le bon fonctionnement de la démocratie. «En France, une proposition de loi constitutionnelle a été récemment déposée à l’Assemblée nationale afin d’insérer ce principe dans la Constitution pour qu’il devienne une règle stable et contraignante. «Dans l’exposé des motifs de cette proposition, il est rappelé que le recours fréquent à des dispositions législatives rétroactives et les nombreux revirements de jurisprudence font naître un sentiment d’insécurité chez les citoyens et vont à l’encontre du principe selon lequel “nul n’est censé ignorer la loi”. «Comment en effet peut-on reprocher au citoyen son ignorance de la loi lorsque des interprétations contradictoires sont données à un même texte, interprétations allant d’un extrême à l’autre, selon l’humeur ou selon le changement des situations et des circonstances ? Quelle confiance demeure lorsque, à titre d’exemple, la poursuite d’un ministre devant les instances judiciaires ordinaires, est considérée comme “contraire aux règles fondamentales élémentaires” puis, quelques mois plus tard, devient possible voire légitime, car “aucun texte dans la Constitution ou dans les lois ne confère au ministre une quelconque immunité” ? «C’est pourquoi il est écrit dans l’exposé des motifs de ladite proposition que les lois et les règlements doivent être clairs, lisibles et accessibles et d’application prévisible ne permettant pas des revirements, semblables à ceux que nous avons connus, afin que les lois ne se transforment en véritables pièges. «L’intérêt d’avoir des Cours suprêmes dans les régimes démocratiques est de garantir une interprétation uniforme des lois, applicable à tous. Cela est d’autant plus vrai dans les affaires pénales, car comment la justice peut-elle être assurée entre les individus si la poursuite qui est autorisée d’un côté est interdite de l’autre ? Et comment garantir que la jurisprudence d’aujourd’hui ne sera pas renversée demain du fait d’une interprétation instable de la loi ? «D’où mon appréciation pour le courage de mon ami Nicolas Fattouche d’avoir abordé ce sujet important et mon appel à tous les spécialistes d’en faire autant. Et mon appel surtout au pouvoir législatif de se saisir de la question afin que la reddition de compte des responsables se fasse dans la justice et l’équité».
La question de la responsabilité des ministres dans l’exercice de leurs fonctions et de la juridiction compétente pour connaître de leurs actes a défrayé dernièrement la chronique au Liban en raison des poursuites engagées à l’encontre d’anciens membres du gouvernement. Plus d’une opinion a été exprimée à ce sujet et le débat auquel ce point de droit a donné lieu...