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Actualités - REPORTAGES

Agriculture - Ne pas empoisonner les gens, une louable devise Wadih Haddad, ou le pari fou du produit sain (photos)

On peut littéralement dire que cet agriculteur pas comme les autres foule aux pieds toutes les pratiques courantes parmi ses confrères au Liban. À l’origine de son travail, une idée toute simple, qui ressemble à un pari : ne pas empoisonner la population par des produits fourrés de pesticides. Wadih Haddad, cet agriculteur très peu conventionnel qui allie l’amour de la terre au journalisme, emploie le plus possible de moyens naturels dans son exercice de l’agriculture. «Fils et petit-fils de paysans» comme il le dit lui-même, M. Haddad s’est dirigé vers l’agriculture après un long parcours qui l’avait mené à l’étranger, «parce qu’il n’y a que la terre qui donne un tel sentiment de stabilité». Et pourtant, rien ne l’y prédisposait au départ. «J’ai étudié la littérature anglaise pendant plusieurs années, qui ont été couronnées par un doctorat», raconte-t-il. «Vous me demanderez les raisons de mon choix que je ne saurais vous répondre. Il fallait décrocher un diplôme, c’est tout». Au cours de sa vie professionnelle, M. Haddad exercera des métiers variés : il passera de l’administration aux ventes, puis aux armes (en tant que technicien et non que commerçant). Ses pérégrinations le mèneront aux États-Unis, pour le ramener ensuite à la terre, c’est-à-dire à Dmalsa, un village sur les hauteurs de Eddé (caza de Jbeil). Aujourd’hui, il possède huit serres et une pépinière qui ont une superficie totale d’un peu moins de 2 500 mètres carrés. À la question de savoir comment s’est passé ce retour à la terre, il répond, pensif : «Je crois que c’est la guerre qui, indirectement, m’a ramené à la terre. Je ne suis pas le seul dans ce cas. Seulement moi, j’ai essayé de ne pas empoisonner les gens. Je n’ai recours aux moyens chimiques que quand cela est strictement nécessaire, quitte à sacrifier une partie de la quantité au profit de la qualité et du caractère sain des produits». Ainsi, la pollinisation des tomates cerises se fait par voie naturelle, les insecticides, quand ils sont utilisés, ne sont jamais systémiques (c’est-à-dire qu’ils ne pénètrent pas dans le fruit), l’engrais employé est naturel (vache, chèvre ou poule). Ces produits lui coûtent-ils plus cher ? «Certainement, affirme M. Haddad. De plus, les engrais chimiques donnent de meilleurs résultats du point de vue quantitatif que les engrais naturels. Cependant, je le répète, il s’agit d’une question d’éthique. J’ai décidé de réussir le pari de présenter au consommateur un produit sain». « Noyé » dans le marché En outre, pour purifier la terre avant la récolte, il emploie un moyen naturel qui consiste à planter des pousses de moutarde, quitte à jeter la récolte par la suite. Ces plantes absorbent par leurs racines les substances nuisibles et préparent le sol à recevoir les nouvelles graines. «Mais ça, c’est de l’argent jeté, constate M. Haddad. C’est pourquoi les agriculteurs préfèrent purifier à l’aide d’un gaz, et c’est dommage». Il lui arrive cependant de faire face à de véritable fléaux qu’il tente d’éradiquer sans avoir recours aux produits chimiques. «Les vers qui attaquent les récoltes sont redoutables, explique-t-il. J’y ai remédié en parsemant la terre de sciure de bois et de sucre. Les vers se sont alors attaqués au sucre, au lieu de décimer ma récolte. Notre problème au Liban est que notre système écologique naturel est rompu. Nous avons tué les oiseaux, les taupes, les chacals… Nous n’avons pas laissé de prédateurs naturels !» Mais, souligne-t-il, ses produits, quoique sains, ne peuvent être appelés «biologiques». «La terre est polluée au Liban», ne peut-il s’empêcher de constater. «Je ne peux déclarer ma culture “bio” quand mon voisin pulvérise des insecticides systémiques à 100 mètres de chez moi ! La terre absorbe les substances polluantes et les transmet. L’idéal serait de posséder un terrain de 50 mille mètres carrés et d’en planter 2 000 au milieu !» Toutefois, ne pense-t-il pas que le consommateur se préoccupe davantage que par le passé du caractère sain du produit qu’il achète ? «Certainement, parce que la différence de qualité est visible, assure M. Haddad. La tomate obtenue par une pollinisation aux hormones devient immangeable deux jours après sa récolte. Alors que la tomate plus naturelle dure dix jours hors du frigo». Le consommateur recherche donc cette sorte de produits. «Oui, et il est prêt à le payer cher, d’ailleurs», répond-il. Cela signifie-t-il donc que si l’agriculteur crée sa propre marque et si celle-ci devient reconnue, sa récolte se vendra plus cher ? M. Haddad acquiesce, «mais il faut avoir le capital nécessaire». Et si les gens veulent retrouver la trace de son produit ? «Ils ne le peuvent pas, répond-il. Il est noyé dans le marché, et c’est malheureux. Pour fonder un établissement et protéger sa marque, il faut consacrer un budget d’au moins 3 000 dollars. Vous ne pouvez même pas posséder de véhicule pour distribuer votre marchandise sans un tel établissement». L’administration, un puzzle insoluble Les difficultés rencontrées autant par lui-même que par les autres agriculteurs, M. Haddad en attribue la plus grande part aux «tracasseries administratives». «Afin de construire une remise de trois mètres par quatre qui servira à ranger les affaires, on doit se conformer à la nouvelle loi qui exige des plans élaborés par des architectes», dit-il, citant un exemple. «Après avoir payé les taxes à l’Ordre des ingénieurs et passé par le capharnaüm de l’administration, vous aurez facilement déboursé 2 000 dollars pour une petite chambre ! Résultat : on contourne la loi en substituant à la construction fixe une cabane mobile montée sur des essieux de camions. Ça, ce n’est pas défendu». Cet exemple ne résume pas à lui seul les obstacles rencontrés par l’agriculteur dans sa vie quotidienne. Selon M. Haddad, l’électricité lui est fournie à un prix plus élevé, l’eau doit être toujours achetée aux propriétaires de puits, les prêts agricoles ne sont pas obtenus facilement… bref, rien n’est facilité aux travailleurs de la terre. Mais les agriculteurs ne sont pas seulement à la merci des longs processus administratifs. «En clair, ni les intérêts de l’agriculteur ni ceux du consommateur ne sont protégés, et ce sont les intermédiaires qui profitent, soit les grossistes et les détaillants», explique-t-il. «À titre d’exemple, une grande caisse d’oranges contenant 27 kilos se vend à 8 000 LL sur le marché du gros (ils l’ont probablement acheté à 4 000 à l’agriculteur). Elle est revendue à 1 500 LL le kilo au détail. Pourquoi ?» Il poursuit : «Il est vrai que nous évoluons dans un système libéral. Mais il faut mettre le holà quelque part et protéger l’agriculteur et le consommateur». Pourquoi l’agriculteur ne hausse-t-il pas ses prix ? Le détaillant peut-il augmenter les siens indéfiniment ? «Si, répond-il, ou alors il peut condamner le cultivateur en refusant d’acheter sa production». Malgré tous ces problèmes, croit-il encore dans l’agriculture ? «Je compte m’y consacrer totalement, affirme M. Haddad. Pour ma part, je vends mes produits assez cher parce qu’ils sont rares sur le marché».
On peut littéralement dire que cet agriculteur pas comme les autres foule aux pieds toutes les pratiques courantes parmi ses confrères au Liban. À l’origine de son travail, une idée toute simple, qui ressemble à un pari : ne pas empoisonner la population par des produits fourrés de pesticides. Wadih Haddad, cet agriculteur très peu conventionnel qui allie l’amour de la terre...