Actualités - OPINION
Livres La vérité de l'homme au croisement des cultures
Par CHARTOUNI Charles, le 04 février 2000 à 00h00
Le livre de Jad Hatem, La vérité de l’homme au croisement des cultures, essai sur Sélim Abou (Cariscript, 1999), se propose d’expliciter les prémisses philosophiques sous-jacentes à l’œuvre anthropologique de Sélim Abou. Située entre des axes de réflexion bien définis, nommément ceux de la réflexivité qui réhabilite le sujet comme principe cognitif et de sociabilité, du droit naturel qui se pose comme instance fondatrice des ordres légal et politique, et de l’acculturation comme principe structurant des échanges interculturels, l’anthropologie de S. Abou tente de saisir la dynamique des échanges culturels, à partir de l’interaction constitutive de l’universel et du particulier, du même et de l’autre, du prochain et du lointain. J. Hatem dégage trois procès syllogistiques qui se laissent identifier dans le travail de S. Abou : 1- «Celui des cultures (où) interagissent l’universel (l’humanité) et le singulier (l’individu) par la médiation du particulier la (culture)». 2- «Celui des droits (où) interagissent le particulier (le droit positif) et l’universel (le droit naturel comme expression de la raison) par la médiation du singulier (l’individu comme sujet des droits de l’homme)». 3- «Celui des langues (où) interagissent le singulier (le locuteur) et le particulier (telle langue) par la médiation de l’universel». (le langage comme expression rationnelle du réel) (J. Hatem, p. 54). Condamnant alternativement l’idéologie du droit à la différence dans la mesure où elle aboutit à la séquestration identitaire, ainsi que la mise à mort des droits de l’individu au profit des droits de groupe, et finalement l’hibernation identitaire au nom de la défense de l’authenticité, S. Abou définit une perspective qui, d’une part, médiatise par les valeurs universelles les diverses cultures et, d’autre part, promeut les échanges et métissages. À cette fin, il discerne trois genres d’universalisme: le rationaliste «qui affirme la priorité de l’être raisonnable et moral de l’individu par rapport à son être socioculturel», l’empirique «qui se fonde sur la constitution biopsychique de l’individu et en tire les principes d’une éthique régie par l’intérêt», et le formaliste qui «met en relief l’unicité – chez tous les hommes, sauvages et civilisés – d’une part, des fonctions de la culture et, de l’autre, du fonctionnement de l’esprit». (Cultures et droits de l’homme pp. 35; 45). Ce qu’il reproche, au nom de l’universalisme rationnel dont il se réclame, aux deux autres, c’est d’oublier que l’activité de l’esprit n’est pas restreinte à la sensibilité et à l’entendement et que la rationalité discursive de l’homme se fonde dans la subjectivité transcendantale, que maintes philosophies et idéologies contemporaines tentent d’évacuer. Selon Abou, toute culture, de la plus traditionnelle à la plus moderne, est dûment habilitée, pour médiatiser le triple rapport de l’homme avec la nature, avec la société et avec le transcendant. Une société qui se réfugierait dans sa particularité et qui se «contenterait de l’universalité déterminée de sa culture ne serait plus vraiment humaine, parce que les individus qui la composent n’y trouveraient pas l’universalité indéterminée à laquelle ils aspirent comme “genres” et qui ne peut être définie qu’en fonction du genre humain. Une société vraiment humaine est celle dont la culture particulière, finie, se présente à ses sujets comme l’incarnation de leur idéal d’universalité inconditionnée, infinie». (S. Abou, l’Idéalisme allemand devant la Révolution française, in Annales de Philosophie-USJ, vol 1, 1980, p. 21). Par ailleurs, le rôle du droit naturel s’avère incontournable dans les dilemmes posés par le relativisme culturel et l’universalité de la raison humaine. Le droit naturel permet d’éviter les apories d’un relativisme culturel qui finit par réifier les repères identitaires et par asseoir des formes de ségrégation institutionnalisée sous prétexte de respect des différences : «lorsque, sous prétexte de défendre l’authenticité d’un peuple ou d’un groupe ethnique, on prétend réduire les membres qui le composent à leurs conditionnements socioculturels, on les dépouille de la double dimension qui fait de chacun d’eux un être humain à part entière : sa singularité absolue, qui le différencie de tous les autres individus; son aspiration à l’universel, qui l’identifie à tous les autres hommes». (Retour au Paraná, p. 361). L’universalité des droits de l’homme est tributaire du droit naturel qui les fonde. Abou rapporte que lorsque le royaume du Portugal exigea des jésuites un transfert de souveraineté dans les réductions, ceux-ci y objectèrent en faisant valoir que la demande contredisait «le droit naturel de ces indiens à conserver leur liberté, leurs demeures et leurs terres, car ils sont vraiment les maîtres absolus et légitimes de leurs villages». (la République jésuite de Guaranis (1607-1678) et son héritage, Unesco, 1995, p. 102). Le droit naturel «oblige au nom de l’humanité de l’homme, et non à celui d’une autorité législative particulière». (Cultures et droits de l’homme, p. 80). S. Abou considère que «le dépassement des limites d’une culture s’effectue concrètement par le biais de sa confrontation avec d’autres cultures. Aucune culture n’incarne à elle seule l’universel, mais l’universel, en tant qu’horizon naturel de la raison, est le principe régulateur qui préside à la comparaison différentielle des cultures et au discernement de ce qui, dans chacune, est moralement bon ou mauvais, de ce qui est meilleur ou pire, de ce qui se rapproche du droit naturel ou s’en écarte. C’est par comparaison avec les valeurs démocratiques que les pratiques totalitaires manifestent leur caractère immoral; c’est par comparaison avec un droit positif qui équilibre les “droits-libertés” et les “droits-créances” qu’un droit traditionnel fait apparaître ses déficiences. Ce qui entre ici en jeu, c’est la faculté de discerner, c’est-à-dire l’esprit critique». (Cultures et droits de l’homme, p. 116). C’est à cette fin qu’il défend la thèse d’un humanisme critique qui vise «d’une part la promotion des valeurs particulières propres à une société et une culture déterminée; d’autre part la critique de tout élément qui, dans la société, va à l’encontre des droits de l’homme et du respect des différences» (L’Orient-le Jour, 27 juillet, 1998, p. 4). La réflexion sur les choses de la cité s’inscrit dans la même mouvance; Abou considère que la promotion de l’esprit critique s’inscrit en priorité dans l’agenda éducationnel et politique que les libanais doivent élaborer dans cette phase d’après-guerre, c’est pourquoi il estime que la critique bien que «n’étant pas une fin en soi, demeure la condition d’accès à la vérité des choses. Dans notre enseignement et nos recherches, dans la formation des formateurs qui nous incombe, il importe au plus haut point de démystifier la lecture de notre héritage historique et la réinterprétation de notre réalité sociologique, telles que les produit le discours idéologique. Il importe que nos étudiants, déculpabilisés, découvrent toutes les dimensions du passé de leur patrie et apprennent à le valoriser. Il importe aussi qu’ils sachent reconnaître la richesse d’une identité nationale complexe, sans doute difficile à gérer, mais susceptible de porter la nation libanaise au rang d’un modèle utile pour toutes les nations pluriethniques de plus en plus nombreuses de par le monde. Mais au-delà de l’enseignement relatif à des thèmes spécifiques, il est essentiel, pour la formation générale de nos étudiants, de leur transmettre, sans relâche, cette éthique du langage, ce souci de la vérité, ce discernement des valeurs…». (les défis de l’université, p. 26). La récapitulation que Jad Hatem opère de l’ensemble de l’œuvre de S. Abou établit clairement la filiation qui relie le philosophique, l’anthropologique et la praxéologie de l’auteur. En partant d’une épistémologie critique de toutes les tendances qui veulent étouffer la place du sujet dans l’élaboration des schémas d’explication dans les siences humaines, Abou a voulu réhabiliter la dimension du sens, de l’intentionnel et du vécu et du fait redonner à la pratique herméneutique sa place dans l’analyse anthropologique et sociale. Par ailleurs, la perspective du sujet est nécessairement solidaire d’une éthique fondée sur l’universalité de la raison discursive et de la liberté comme principe d’action. Cette analyse que J. Hatem a effectuée s’avère utile et opportune, parce qu’en dégageant les prémisses à partir desquelles S. Abou a construit son œuvre, elle nous aide à mieux lire ou relire le travail de l’auteur et situer l’action de l’homme dans la cité.
Le livre de Jad Hatem, La vérité de l’homme au croisement des cultures, essai sur Sélim Abou (Cariscript, 1999), se propose d’expliciter les prémisses philosophiques sous-jacentes à l’œuvre anthropologique de Sélim Abou. Située entre des axes de réflexion bien définis, nommément ceux de la réflexivité qui réhabilite le sujet comme principe cognitif et de sociabilité, du droit naturel qui se pose comme instance fondatrice des ordres légal et politique, et de l’acculturation comme principe structurant des échanges interculturels, l’anthropologie de S. Abou tente de saisir la dynamique des échanges culturels, à partir de l’interaction constitutive de l’universel et du particulier, du même et de l’autre, du prochain et du lointain. J. Hatem dégage trois procès syllogistiques qui se laissent identifier...
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