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Actualités - INTERVIEWS

Débat - Faut-il abolir le confessionnalisme politique ? Elias Abou Assi : le dialogue, une option unique

Prévue dans la nouvelle Constitution, l’abolition du confessionnalisme a été soigneusement reléguée dans un tiroir pendant plusieurs années. Elle en a été ressortie récemment à la suite des événements de Denniyé et comme à chaque fois qu’elle revient sur le tapis, elle a provoqué des réactions multiples toujours violentes. Pour les uns, les circonstances ne sont pas encore réunies pour la concrétiser – et probablement qu’elles ne le seront jamais, pour certains d’entre eux –, pour d’autres, elle n’a que trop tardé. Loin des enjeux politiques et politiciens, le professeur Élias Abou Assi, secrétaire général du PNL, tente de jeter la lumière sur un thème qui n’en finit pas d’alimenter la polémique politique et le malaise général (*). Élias Abou Assi commence par remonter à la création du pays. Selon lui, deux principes sont à la base du Liban moderne. Le premier concerne la politique étrangère et prévoit une équidistance à l’égard des grands courants qui divisent le globe, de manière à garantir la spécificité du pays. Il s’agit du fameux slogan «ni Orient, ni Occident» dont aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose, le Liban ayant clairement pris parti dans les conflits régionaux. Le second principe est interne et prévoit un système de participation au pouvoir de toutes les parties et de toutes les confessions. C’est ce second principe qui est visé par l’abolition du confessionnalisme politique et si celle-ci est réalisée, il ne restera plus rien des fondements du Liban moderne. Pour M. Abou Assi, ce n’est pas tant une question de partage confessionnel du pouvoir qu’une garantie de la préservation de la spécificité du Liban, une spécificité d’ailleurs consacrée par le pape Jean-Paul II, lorsqu’il a annoncé que le Liban est un message. En donnant cette vocation au Liban, le pape a voulu mettre l’accent sur la reconnaissance mutuelle des deux grandes composantes de la société : les religions chrétienne et musulmane. «Il n’y a pas de quoi rougir», insiste M. Abou Assi, qui précise que la spécificité du Liban ne peut exister que s’il y a pluralisme. Dans ce contexte, le confessionnalisme politique devient une garantie morale et matérielle de participation au pouvoir, de manière à ce que chaque groupe se sente à l’aise, se sente chez lui dans ce pays. Selon le professeur, c’est d’autant plus important qu’exception faite de la Syrie, le Liban est entouré de pays où l’islam est la religion d’État. Un contexte défavorable Le système confessionnel ainsi défini, il reste à voir le contexte dans lequel son abolition est réclamée. Selon M. Abou Assi, le monde actuel traverse une période de turbulences où l’on voit l’émergence et la prolifération de groupes extrémistes, voire intégristes, qui, même lorsqu’ils ne reconnaissent pas que leur programme est l’application des principes de leur religion, ne parviennent pas à tromper grand monde. De plus, les appels à l’abolition du confessionnalisme interviennent après les dures épreuves traversées – parfois par leur faute, mais cela n’a pas toujours été le cas – par les chrétiens du Liban et font suite à des pratiques jugées discriminatoires. Dans ces circonstances troubles, l’appel à l’abolition du confessionnalisme politique n’est pas très rassurant et, selon M. Abou Assi, il est fort à craindre qu’il ne s’agisse d’une réédition de l’expérience de 89, lorsque l’accord de Taëf a été conclu et voté. À l’époque, de nombreux responsables locaux et régionaux affirmaient que cet accord était indivisible et qu’en modifier une seule virgule équivalait à remettre en cause l’ensemble de l’édifice. Résultat : de l’avis de ceux-là mêmes qui étaient aux commandes du pays, une partie des clauses de l’accord a été appliquée, toujours d’une façon tendancieuse et au détriment de la partie chrétienne. Dans cette atmosphère perturbée, où une partie des Libanais se sent lésée, remettre l’abolition du confessionnalisme sur le tapis ne peut qu’effrayer les chrétiens. En principe, il s’agirait d’une étape en vue de la laïcisation du système. Mais après l’application tendancieuse de l’accord de Taëf, les chrétiens ont de bonnes raisons de croire que l’étape a de sérieuses chances de devenir une situation définitive. Pour M. Abou Assi, la laïcisation du régime est la formule idéale, le but ultime. «Et je ne le dis pas, comme certains pourraient le croire, comme une provocation aux musulmans, qui peuvent difficilement l’accepter puisque l’islam prévoit une unicité entre les choses spirituelles et les choses de ce monde. Je le dis parce que j’en suis foncièrement convaincu. Le Christ lui-même n’a-t-il pas dit : “Mon royaume n’est pas de ce monde” ? La laïcité est un enrichissement pour le christianisme, puisqu’elle le débarrasse des facteurs matériels, mais si l’on ne peut y parvenir, je crois que le confessionnalisme politique reste la meilleure garantie de la protection de la spécificité libanaise». La laïcité, objectif ultime Abou Assi rappelle que jusqu’à présent, toutes les tentatives de laïcisation ont été un lamentable échec. Il donne pour exemple la proposition de la reconnaissance du mariage civil optionnel. Cet intellectuel affirme que son parti a longuement réfléchi sur la question et aujourd’hui, lorsqu’on parle de l’abolition du confessionnalisme, il faut se poser trois questions : le Liban est-il réellement préparé pour une telle initiative ? Quelles garanties seront données aux parties inquiètes et qui parrainera le processus ? Enfin, à quoi veut-on aboutir ? À ces trois questions, M. Abou Assi apporte des réponses négatives. Selon lui, à l’heure actuelle, les chrétiens ne sont pas rassurés sur leur avenir et rien n’a été fait pour qu’ils le deviennent. Par conséquent, prôner l’abolition du confessionnalisme ne peut que les effrayer encore plus. Mais, en fait, comme pour Taëf, ont-ils réellement le choix et refuser cette abolition ne constitue-t-elle pas un combat d’arrière-garde ? Abou Assi n’est pas du tout de cet avis. «Nous ne pouvons pas faire comme le commerçant qui brade sa marchandise pour limiter les pertes, dit-il. Pour nous, au-delà des droits de telle ou telle confession, ce que nous voulons préserver, c’est la spécificité du Liban, conformément au respect des droits de l’homme, c’est le message au détriment de la quantité. Nous optons pour le dialogue». Selon lui, il faut concevoir le Liban, non pas en tenant compte de la démocratie du nombre, mais en prônant une démocratie consociative qui fait appel à l’esprit. «Le problème, ajoute-t-il, n’est pas dans le confessionnalisme qui est l’expression moderne d’une société pluraliste. Car un extrémiste luttera aussi dans un régime laïc ou même religieux». Plus important que la confession, la représentativité Abou Assi reconnaît cependant que la situation actuelle devient intolérable. Toutefois, selon lui, ce n’est pas le confessionnalisme qui en est responsable, mais le déséquilibre politique. «Sur le plan des quotas, la répartition confessionnelle est respectée, mais cela ne sert à rien puisque les personnes choisies ou nommées ne sont pas représentatives. Le meilleur exemple demeure la manipulation dans la loi électorale, programmée pour favoriser l’élection de personnes non représentatives». Dans ces conditions, ne vaudrait-il pas mieux renoncer au système confessionnel pour avoir des personnes plus représentatives, même si elles ne répondent pas au critère confessionnel ? Abou Assi ne voit pas les choses ainsi. «Il faut, dit-il, garder les garanties qui rassurent les différentes communautés. A mon avis, la solution est dans le dialogue et dans l’acceptation de l’autre. Il faut chercher à exploiter les spécificités de chaque partie dans un objectif commun. J’approuve ainsi totalement les dernières positions de l’imam Chamseddine. Il s’agit donc de trouver des accommodements en abordant sincèrement les problèmes et surtout en se mettant au service de l’État qui doit fournir le cadre du dialogue et renforcer la justice, les droits de l’homme, bref la démocratie». Mais la démocratie peut permettre aux extrémistes de gagner du terrain, le fanatisme étant mobilisateur ? «C’est un risque, répond Élias Abou Assi. Churchill disait d’ailleurs : la démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres. En fait, c’est un idéal qui dépend du niveau d’éducation. L’État a d’ailleurs une importante responsabilité dans ce domaine. C’est à lui de montrer la voie. Car, lorsqu’un policier règle la circulation intelligemment sous la pluie ou le soleil, nul ne se demande quelle est sa religion. Il devrait en être de même pour les magistrats. La loi devrait s’appliquer à tous et sous ce plafond, il faut chercher ensemble une formule qui permette à toutes les parties de s’épanouir, loin des extrémismes condamnés à s’entrechoquer». * Voir le point de vue du professeur Antoine Messarra dans L’Orient-Le Jour du 26 janvier.
Prévue dans la nouvelle Constitution, l’abolition du confessionnalisme a été soigneusement reléguée dans un tiroir pendant plusieurs années. Elle en a été ressortie récemment à la suite des événements de Denniyé et comme à chaque fois qu’elle revient sur le tapis, elle a provoqué des réactions multiples toujours violentes. Pour les uns, les circonstances ne sont pas...