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Actualités - REPORTAGES

Portrait - Un vagabond camouflé dans l'art Aref Rayess, un solitaire qui doute de tout (photos)

Aref Rayess, 72 ans aux prunes, est un homme à prendre ou à laisser. Son langage vert, ses vocables grossiers en ont fait fuir, paraît-il, plus d’un. Ponctuée d’immenses éclats de rire, une conversation avec lui peut durer des heures, pourvu que l’interlocuteur accepte de se faire gentiment malmener. Et pourtant, la vie de cet enfant d’Aley est «tout entière faite de silence»: «Ma solitude, confie-t-il, me rehausse et me dévore». Élevé par sa mère et sa grand-mère, alors que son père tenait commerce au Sénégal, il se souvient : «Aley était un centre de villégiature où cohabitaient toutes les confessions, mais chacune recroquevillée sur elle-même. Mes études de pensionnaire au collège de Aïntoura m’ont fait vivre, pour la première fois, au sein d’une majorité chrétienne. J’ai découvert dans cet établissement la force d’une discipline presque militaire et le sens de la méthode». À 20 ans, il rejoint son père en Afrique. Pendant un an, il prend en charge un comptoir dont les seuls clients sont les «Koniagi», une tribu primitive qui, selon lui, n’avait encore jamais vu de Blanc. Il découvre «des êtres nus, sans complexes, vêtus de leur seule force intérieure. J’ai réalisé combien notre sens du péché était pesant !». À plus d’une journée de distance de tout autre village, Aref Rayess est seul. Il reviendra de son séjour africain rempli de la couleur et du mouvement des corps, avec la certitude de n’avoir pas la bosse du commerce. «L’Afrique, dit-il, m’a purifié de toute la camelote de la civilisation, et en particulier de la technique et de la hantise de la supériorité. J’y ai vu l’homme réduit à sa force naturelle». « Sauvagerie » Les visions africaines feront l’objet de toiles, exposées en 1954 à Dakar. De 1947 à 1957, Aref Rayess passe huit mois à Paris et quatre au Sénégal. Dans la capitale française, il apprend la sculpture avec Zadkine, la pantomime avec Étienne Ducroux comme avec Marcel Marceau, la gravure avec Friedlender, prend des cours de dessin avec André Lhôte et se lie d’amitié avec Fernand Léger. «Je privilégiais, se souvient-il, les exercices du corps et de silence que m’apportait l’apprentissage de la pantomime». Il reviendra pour trois ans à Aley avec Héloïse Betel, et exposera en 1958 à la galerie Saab. «L’exposition, que j’avais intitulée “Sang et liberté”, avait été qualifiée de “sauvagerie”», raconte-t-il en éclatant de rire, et en sortant de son atelier une des cinq toiles de 2 x 1,50 m. Y sont représentées, l’une face à l’autre, les allégories du matérialisme didactique et dialectique, autrement dit le communisme et le capitalisme. Entre les deux, un corps de femme, peint en vert et représenté du bas-ventre aux genoux. «La femme, explique-t-il, est la terre de la vie, la fertilité éternelle et la permanence de l’amour». En 1960, il retourne à sa solitude en s’installant à Florence, puis Rome, grâce à une bourse. Il se souvient de l’Italie comme d’une terre de tolérance, où la curiosité étreint les individus. Il y rencontre Berti et Venturi qui lui permettent de se perfectionner en sculpture. En 1964, il est choisi pour représenter le Liban au symposium international de sculpture à New York. Les États-Unis lui seront riches en mécènes et en collectionneurs. Et les voyages s’enchaînent jusqu’en 1992, date à laquelle Aref Rayess pose définitivement ses bagages à Aley. Il aura connu auparavant l’Angleterre, le Venezuela et l’Arabie séoudite, où il a beaucoup écrit sur le sacré. L’artiste couvre depuis toujours des pages entières de réflexions et d’impressions rédigées exclusivement en arabe, coupées de dessins, «sur la vanité qui nous obsède», précise-t-il. Cet artiste polyvalent, adorateur de la femme, est toujours rongé par le doute. Il vit difficilement ce qu’il appelle pudiquement ses «blocages»: «Pour m’en sortir, je travaille, je marche et je me mets à la recherche d’un amour communicatif : je me divertis». Et il retourne à la «présence de (ses) visions», à la cigarette, sa compagne la plus fidèle, et à sa chère solitude «qui se confronte avec l’invisible et le mystère». Aref Rayess compte au nombre de ses amis l’abbé Pierre et Don Fumagalli. «Je crois à une trinité de l’au-delà, formée de Moïse, du Christ et de Mahomet». Il y a quelques années, il a découvert la technique du collage, «alliance de la gravure, de la lithographie remplie de réalisme». Il pille les magazines d’images, qu’il colle ensemble pour en faire ce qu’il appelle avec ironie son «petit théâtre privé». «Ce travail est en fait un hommage rendu à la photographie, art qui privilégie les détails inattendus». Et, depuis peu, le voilà qui découvre les potentialités de la reproduction par photocopie laser. Aref Rayess dit avoir «tout laissé à son instinct et à son imagination» et «mené une vie pleine de travail et de fatigue, pour ne pas penser». Le titre de sa dernière exposition, au palais de l’Unesco, en décembre 1999 : «Labyrinthes 2000». Un artiste septuagénaire et néanmoins adolescent, qui va encore de découverte en découverte. De soi.
Aref Rayess, 72 ans aux prunes, est un homme à prendre ou à laisser. Son langage vert, ses vocables grossiers en ont fait fuir, paraît-il, plus d’un. Ponctuée d’immenses éclats de rire, une conversation avec lui peut durer des heures, pourvu que l’interlocuteur accepte de se faire gentiment malmener. Et pourtant, la vie de cet enfant d’Aley est «tout entière faite de...