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Actualités - OPINION

Leçon d'histoire

Plutôt que de proclamer Beyrouth capitale culturelle du monde arabe, proclamons le Liban pays en détresse et tentons de lui porter secours. Sa détresse est aussi bien matérielle que morale et psychologique. La détresse matérielle se mesure au nombre de 4x4 qui circulent par minute comparé au chiffre total de la population. En d’autres termes, au fossé qui se creuse entre les riches et les pauvres. Détresse morale. Pays sans boussoles. Sans morale publique. Sans dialogue. Sans mémoire. Sans domicile fixe. Sans passé. Sans avenir. Même sans élite. Détresse psychologique. Pas de références, multiplicité de références. Pays éclaté, sans prise sur sa propre histoire, divisé, obséquieux, méfiant, ventru, traître, superficiel, vénal. Ce que ces lignes défendent, c’est avant tout la mémoire. Amnistie, oui, amnésie, non. Amnistie, c’est un peu le pardon, un peu la façon de se défendre contre un passé qui submergerait le présent. Mais le pardon ne se fait pas aux dépens de la mémoire. Au contraire. C’est l’emballage cadeau de la mémoire. Au Rwanda, en Afrique du Sud, en Amérique latine et là où, comme chez nous, des crimes contre l’humanité ont été commis, des commissions ont été créées pour empêcher que le temps efface le souvenir des fautes. Il y a un devoir de mémoire auquel nous continuons de manquer. Ce que ces lignes défendent ensuite, c’est la vocation historique du Liban. Beaucoup pensent que le Liban est une entité artificielle. C’est à la mode. Certains même pensent et disent que la Syrie et le Liban, au fond, c’est un seul pays et un seul peuple. Et beaucoup regrettent amèrement de devoir avoir pour compatriotes des personnes animées de tels sentiments. Tout cela est malsain. Même s’ils sont de circonstance, les propos de la première catégorie minent le lien de confiance qui doit exister entre les Libanais. En termes d’effet social, c’est exactement comme réclamer la partition, c’est-à-dire la disparition du Liban. Cela prouve, s’il en est encore besoin, que les Libanais, même au plus haut niveau, n’ont pas encore retenu la leçon du passé proche ; pire, qu’ils ne l’ont pas encore apprise. La vocation du Liban, c’est d’être une terre de dialogue, de tolérance, au sens biblique de pardon et de compréhension. C’est d’être une terre où le courage de la modération est chez lui. Modération, ni tiédeur ni indifférentisme. C’est vrai, nous sommes des marchands nés. Mais nous devons apprendre une fois pour toutes que ce pays nous est confié et ne fait pas partie de notre fonds de commerce. Ni ses habitants d’ailleurs. Mais avons-nous conscience de sa valeur ? «Monsieur, nous écrit une lectrice, Shereen Khaïrallah, j’ai attendu jusqu’à aujourd’hui pour voir si quelqu’un, une personne, un lecteur, un journaliste, songerait que le premier minuit de l’année nouvelle a commencé ici, à Bethléem. Que ce n’est pas une petite île du Pacifique qui a accueilli, en premier, la nouvelle ère et que le Christ est né dans cette région, que c’était le lendemain à l’Est, et hier à l’Ouest». Nous avons beaucoup à apprendre, et le plus beau, c’est que beaucoup de choses s’apprennent. Nous n’avons pas à ployer sous la fatalité de ce que nous sommes. Il y a en nous plus que le marchand. Il y a le paysan, celui qui sème et sait attendre. Il y a le guerrier, celui qui méprise la vie quand il s’agit de sa dignité. Il y a le saint. Il y a l’artiste. Nous ne sommes pas sans ressources. Et par-dessus tout, il y a notre identité de lumière, celle du monde d’ici et de demain, d’une durée où l’espace et le temps se confondent. Comme l’a écrit, avant la globalisation, mais en vue de la globalisation, Jacques Maritain : «Nous entrons dans un âge de guerre spirituelle où une politique intégrale, qui est encore à venir, exigera la subordination des intérêts nationaux, si légitimes en eux-mêmes, à une communauté spirituelle authentique entre les peuples». Oui, beaucoup reste à faire.
Plutôt que de proclamer Beyrouth capitale culturelle du monde arabe, proclamons le Liban pays en détresse et tentons de lui porter secours. Sa détresse est aussi bien matérielle que morale et psychologique. La détresse matérielle se mesure au nombre de 4x4 qui circulent par minute comparé au chiffre total de la population. En d’autres termes, au fossé qui se creuse entre les...