Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

Crime - Cinq jours après le drame, Aïn Dara sous le choc Trois versions, mais aucune certitude

Cinq jours après le drame, Aïn Dara est encore sous le choc. Les 3 000 habitants qui peuplent, en hiver, ce village à la croisée des chemins du Chouf, de la Békaa et de Aley sont totalement désemparés. Non seulement ils ont perdu un des leurs, le jeune David Haddad, mais de plus, les circonstances du crime demeurent obscures. Dans les maisons aux portes et fenêtres fermées, à cause du froid glacial et de la peur, de nombreuses versions circulent, murmurées presque avec honte et transmises de bouche à oreille, car dans ce village paisible, le seul à ne pas avoir connu l’exode pendant la guerre de la montagne, les habitants ont perdu leur sérénité et craignent que les murs n’aient des oreilles, d’autant que l’ennemi n’a pas encore de nom. À quelques kilomètres de Mdayrej, où les Syriens sont installés depuis plus de 20 ans, Aïn Dara – dont le nombre d’habitants atteint 16 000 en été – semble avoir été épargné par les tristes incidents qui ont secoué le Liban. Avec une population composée à 80 % de chrétiens (maronites et orthodoxes), les 20 % restants étant druzes, le village a survécu aux secousses, en préservant l’entente entre ses principales familles : les Badr et les Yammine (maronites), les Haddad (grecs-orthodoxes) et les Atallah et Zeytouné (druzes). Il y a bien eu un vieux conflit – une sorte de vendetta comme il en existe dans la plupart des villages des montagnes – entre les Haddad et les Yammine qui remonterait aux années 70 et qui avait fait en 1980 un tué de la famille Yammine et un blessé, le père du jeune Dany, Halim Haddad, mais l’affaire est close depuis longtemps, les notables, notamment l’ancien député Chafic Badre, ayant parrainé une réconciliation entre les deux familles. Des voitures suspectes… Comment, dans ce cas, un village aussi paisible peut-il devenir, en une nuit froide d’hiver, le théâtre d’un crime mystérieux qui a abouti à la mort du jeune David Haddad alors que son camarade Antoine Élie Abdo (originaire de Sin el-Fil) a été grièvement blessé et que son proche, Charbel Nabil Haddad en sortait indemne _ sans parler du traumatisme qu’il a causé chez tous les habitants ? Cinq jours après le drame, la question demeure sans réponse et les services de sécurité poursuivent leur enquête dans la discrétion la plus totale. Selon les habitants, les faits s’agencent de la façon suivante. Il y a près d’un mois, l’armée libanaise qui avait installé un barrage de contrôle à l’entrée sud du village s’est déplacée vers Nabeh Safa à 5 km de sa précédente position. Dans la semaine qui a précédé le drame, trois voitures «étrangères à la région» sont passées dans le village, demandant aux habitants si la route pierreuse sur le versant de la montagne qui traverse les carrières proches du village mène jusqu’à la Békaa. Les habitants n’avaient rien remarqué de particulier dans l’accent de ces passants, mais ces passages successifs sur une route peu fréquentée en cette période de l’année avaient provoqué leur méfiance. D’autant qu’ils sont intervenus alors que le reste du pays se remettait à peine de la secousse provoquée par les sanglants incidents de Denniyé et que tous les responsables mettaient l’accent sur les tentatives de déstabilisation. D’ailleurs, les habitants ont informé les gendarmes postés à Mdayrej et à Nabeh Safa de ces passages inhabituels. Ne se sentant plus en sécurité chez eux, surtout depuis le déplacement du barrage de l’armée et alors que les postes de gendarmerie sont à huit kilomètres de leur village, les habitants ont décidé de rester vigilants et il est probable que certains d’entre eux ont ressorti les armes soigneusement cachées depuis la fin officielle de la guerre… C’est dans cette atmosphère tendue que trois jeunes gens, David et Charbel Haddad ainsi que Antoine Abdo, passent le lundi à 21h30 sur la route pierreuse à bord d’une jeep blanche Suzuki. Aïn Dara étant située sur le versant de la montagne, il s’étend sur une dénivellation de 60 mètres environ. Les maisons situées au plus bas appartiennent aux Haddad et aux Yammine, alors que les Badr et les Atallah et Zeytouni sont sur les hauteurs. Les maisons situées au plus bas sont les plus proches de la route pierreuse menant aux carrières et aboutissant dans la Békaa. Est-ce un élément suffisant ? Certains veulent le croire et estiment que les tirs de mitraillette en direction de la jeep sont partis de là. Effrayés par le passage de cette voiture en pleine nuit sur une route isolée, certains habitants auraient-ils tiré par réflexe de peur croyant avoir affaire à des fauteurs de troubles ? C’est l’une des versions qui circule au village, mais ce n’est pas la seule. D’autres habitants pensent que ce seraient justement les fauteurs de troubles, ceux-là mêmes qui sont passés dans le village dans le courant de la semaine, en principe pour demander leur chemin, qui auraient tiré pour provoquer de nouvelles dissensions confessionnelles dans la région, dans le village le plus calme du coin. D’autres enfin, les moins nombreux, laissent entendre que le drame de lundi soir pourrait être un nouvel épisode dans l’histoire des luttes entre les familles. Ils confirment toutefois qu’une réconciliation a effectivement eu lieu, il y a quelques années, et qu’aucun incident de ce genre n’a été enregistré depuis. La fusillade ayant été entendue par tous les habitants du village, ceux-ci ont aussitôt alerté les soldats postés à Nabeh Safa qui se sont immédiatement déployés sur les lieux. Entre-temps, des habitants du village s’étaient précipités sur les lieux du drame afin de voir ce qui se passait. Quatre jeunes de la famille Haddad ainsi qu’un de leurs camarades de la famille Zeytouné ont transporté les victimes à l’hôpital de Hammana puis à Beyrouth, David Haddad a été emmené à l’hôpital Saint-Charles et Antoine Abdo à l’Hôpital orthodoxe. Selon l’ancien député Chafic Badre ce sont ces cinq jeunes gens ainsi que le troisième passager de la jeep, Charbel Haddad qui ont été arrêtés par les services de sécurité pour les besoins de l’enquête. L’affaire étant particulièrement délicate, surtout en cette période mouvementée, les services de l’ordre ne veulent négliger aucune piste et tous les détails peuvent être utiles. Reste la grande question : que sont allés faire sur cette route pierreuse, un lundi soir, trois jeunes gens venus de Beyrouth, puisque la voiture est montée directement de la capitale, sans faire une véritable escale au village ? Les proches de David Haddad affirment qu’il s’agissait d’une simple chasse au sanglier, routinière en cette période de l’année. D’autres affirment que les jeunes ont l’habitude d’effectuer des «virées » sur cette route surtout lorsqu’ils sont dotés de véhicules tout-terrain. Mais si aujourd’hui, toutes les versions semblent plausibles, aucune d’entre elles n’est confirmée. La seule certitude est l’angoisse qui étreint les habitants du village: s’il s’agit d’un crime par erreur dicté par la peur, les familles pourraient de nouveau être divisées, minées par les barrages de la rancœur et de la révolte et s’il s’agit d’un crime voulu, destiné à semer la discorde et les troubles dans la région, les habitants craignent de se retrouver seuls dans un conflit qui les dépasse. Dans les deux cas, ils se sentent menacés et préfèrent rester discrets sur le drame. Un seul espoir pour eux : le retour des soldats qui patrouillent désormais régulièrement dans le village, surveillant les allées et venues et s’enquérant de tout visiteur étranger. C’est d’ailleurs à ces soldats que Chafic Badre a adressé, au nom des habitants du village et de la région en général, ses remerciements. L’armée est aujourd’hui la seule institution à pouvoir rassurer les habitants de Aïn Dara, mais il leur faudra quand même beaucoup de vigilance pour surmonter cette épreuve…
Cinq jours après le drame, Aïn Dara est encore sous le choc. Les 3 000 habitants qui peuplent, en hiver, ce village à la croisée des chemins du Chouf, de la Békaa et de Aley sont totalement désemparés. Non seulement ils ont perdu un des leurs, le jeune David Haddad, mais de plus, les circonstances du crime demeurent obscures. Dans les maisons aux portes et fenêtres fermées, à...