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Actualités - OPINION

Tribune Sommes-nous condamnés à un éternel recommencement ?

Les incidents de Denniyé ont brutalement replongé les Libanais dans le climat de la guerre. L’impression qu’ils ressentent est celle d’un «éternel recommencement», d’une fatalité qui les poursuit inexorablement et à laquelle il est impossible d’échapper. Pourquoi cette soudaine éruption de craintes et de peurs confessionnelles ? Commençons par les faits : les Libanais découvrent avec stupeur l’existence au Liban-Nord d’une organisation extrémiste islamique dont ils n’avaient jamais entendu parler. Cette organisation affronte l’armée dans un combat sanglant qui se poursuit pendant trois jours consécutifs. Ils apprennent, alors qu’ils sont encore sous le choc des événements de Denniyé, la nouvelle de l’assassinat odieux commis contre une religieuse. Puis survient l’attaque de l’ambassade de Russie menée par un Palestinien suicidaire décidé à venger les «morts de Grozny». Ces événements majeurs qui ont profondément secoué les Libanais ne suffisent pas, à eux seuls, à expliquer le réveil des peurs communautaires. Car dans une situation normalisée, ces incidents auraient été mis sur le compte des forces hostiles à la reprise de la négociation avec Israël et auraient eu, de ce fait, un impact relativement limité. La tension communautaire a besoin d’autres éléments que les faits eux-mêmes. D’où cette incroyable campagne de fausses rumeurs qui a atteint toutes les régions et communautés du pays. Quelques exemples : l’officier enlevé par les extrémistes de Denniyé a été décapité suivant «la méthode wahabite». L’information est fausse, mais elle a permis de brandir le danger d’une «algérisation» du Liban. Des dignitaires musulmans ont été arrêtés à Tripoli. La nouvelle est également fausse, mais son objectif est évident. Il ne peut y avoir de mobilisation confessionnelle qui si toutes les communautés s’estiment également menacées. Autre exemple : des intégristes auraient trouvé refuge dans les montagnes de Batroun et de Jbeil. Encore une rumeur infondée qui permet d’élargir le cercle des régions «menacées» par l’intégrisme. Procédé complémentaire à cette campagne de fausses rumeurs, l’amalgame fait entre les incidents qui se déroulent au Liban et ceux qui ont lieu dans le monde : affrontements entre musulmans et coptes dans une localité de Haute-Égypte, heurts sanglants entre musulmans et chrétiens en Indonésie, incidents confessionnels à Nazareth... la coexistence islamo-chrétienne a fait long feu à l’échelle planétaire. Comment les Libanais pourraient-ils échapper à cette donnée universelle ? Pour confirmer cette vision apocalyptique et la fonder scientifiquement, il fallait recourir à l’analyse «objective» : la paix au Moyen-Orient nécessite la marginalisation des sunnites, d’où la répression de l’intégrisme sunnite alors que l’intégrisme chiite n’est pas inquiété, comme en témoigne la dernière manifestation des partisans de cheikh Soubhi Toufayli dans la Békaa. Ou encore : l’opposition des chrétiens à la présence syrienne après la conclusion de la paix avec Israël nécessite la mise au pas de cette communauté, d’où la menace intégriste brandie contre elle. Même démarche chez les chiites : la résistance à l’occupation israélienne a été le fait de cette communauté. La paix ne peut donc se faire qu’à ses dépens. En gros, tout le monde a peur de tout le monde, et tout le monde estime que sa peur est «objectivement» justifiée. Pourquoi cette brutale résurgence des peurs communautaires ? Elle s’explique par deux facteurs essentiels : l’absence de l’État et la passivité de la société civile. Au niveau de l’État, beaucoup de questions restent sans réponse : • Pourquoi ces événements ont-ils pris de court nos responsables ? Ne fallait-t-il pas, avec la reprise de la négociation, prévoir des réactions d’hostilité et des tentatives de déstabilisation ? Pourquoi nos responsables qui ont pourtant fait de la coordination avec la Syrie le pivot de leur politique n’ont-t-ils pas tenu compte de ce qui se passait dans le pays voisin où le pouvoir a procédé à une vaste campagne d’arrestations visant les milieux intégristes ? • Que fait le gouvernement pour remédier à la peur des communautés ? Pourquoi refuse-t-il de parler aux Libanais ? Que veut-on leur cacher ? Pourquoi ne pas les mettre en garde et leur dire que le Liban qui s’apprête à participer aux négociations de paix fait l’objet de tentatives de déstabilisation ? Pourquoi ne pas les encourager à assumer leurs responsabilités et mobiliser toutes leurs forces pour préserver la paix civile ? Au niveau de la société civile, la question essentielle est la suivante : pourquoi cette passivité totale et absolue comme si rien ne pouvait être fait ? Pourquoi cette démission collective à un tournant crucial dans l’histoire de la nation ? Faut-il pour entreprendre avoir des garanties de succès ou des autorisations préalables ? Qu’ont donc les Libanais à perdre s’ils proclament leur solidarité entre eux et leur volonté de vivre ensemble dans le cadre d’un État de droit ? «Pour triompher, le mal n’a besoin que de l’inaction des gens de bien». Les Libanais en ont déjà fait l’amère expérience durant la guerre. N’est-il pas temps de changer ?
Les incidents de Denniyé ont brutalement replongé les Libanais dans le climat de la guerre. L’impression qu’ils ressentent est celle d’un «éternel recommencement», d’une fatalité qui les poursuit inexorablement et à laquelle il est impossible d’échapper. Pourquoi cette soudaine éruption de craintes et de peurs confessionnelles ? Commençons par les faits : les...