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Actualités - CHRONOLOGIE

Les poèmes de Ras-Shamra

 Parmi les fouilles archéologiques, si nombreuses, qui ont été pratiquées en Syrie pendant vingt ans, de 1920 à 1939, il n’en est pas sans doute dont les résultats présentent plus d’intérêt que celles de Ras-Shamra. C’est en 1928 que l’attention a été attirée, par une découverte toute fortuite, sur ce lieudit de la province de Lattaquié qui fait face à l’île de Chypre. Dès 1929, des recherches méthodiques menées par M. Cl.F.A. Schaeffer ont révélé qu’il y avait là, au IIe millénaire av. J-C, un grand port, appelé Ougarit, et que, après avoir atteint son plein développement, au milieu du XIVe siècle, sous le règne du roi Niqmad, la ville fut détruite, vers l’an 1100 – et pour ne plus jamais se relever – par des envahisseurs venus de l’Ouest et du Nord, des îles de l’Égée et de l’Anatolie. Les ruines d’Ougarit n’ont pas produit seulement un grand nombre d’objets et de monuments figurés ; on y a recueilli en même temps les restes d’une bibliothèque qui était composée, comme celles de Ninive et de Babylone, de tablettes de terre cuite, couvertes sur leurs deux faces de ces signes qu’on est convenu d’appeler cunéiformes ; mais il s’agissait d’un cunéiforme tout différent de celui qu’on connaissait déjà ; car, si l’écriture de Mésopotamie comporte plusieurs centaines de signes, représentant chacun un mot ou une syllabe, les textes de Ras-Shamra ne comportaient que trente signes seulement ; de telle sorte que, dès le premier jour, et avant même de lire une seule ligne, il était certain qu’on se trouvait en présence d’une écriture dont chaque élément était une lettre, autrement dit : d’un véritable alphabet. Comme aucun de ces documents n’était accompagné de sa traduction en une langue connue, le déchiffrement du nouvel alphabet constituait un problème très ardu et qui, du reste, eut fort bien pu demeurer sans solution, car il est évident qu’une langue inconnue, rédigée dans une écriture inconnue, est impénétrable. La question était dont de savoir s’il s’agissait ou non d’une langue connue déjà, ou à tout le moins, d’un idiome appartenant à un groupe de langues nettement défini. C’est par une série fort longue de tâtonnements et de recoupements que, à défaut d’inscriptions bilingues – ou trilingues –, ces tablettes ont pu être, dès 1930, déchiffrées, et cela, non pas d’une façon incomplète ou approximative, mais totalement et avec une rigueur mathématique. Il est apparu alors, très nettement, qu’on avait affaire à une langue sémitique, apparentée de fort près à l’hébreu et que l’on peut nommer le proto-phénicien. Il y avait, parmi ces tablettes, des états nominatifs, quelques missives, dont trois étaient adressées à la reine d’Ougarit ; des textes de comptabilité relatifs au commerce de l’huile, du vin, de la pourpre et aussi un petit traité d’hippiatrique. Mais il y avait aussi, et surtout, une série de grands textes, dont chacun représente un poème, de caractère mythologique ou légendaire. Les poèmes ainsi retrouvés – non point certes intacts, mais par fragments – sont d’une nature extrêmement sévère. Ils portent tous la marque d’une haute antiquité ; et si les tablettes d’argile sur lesquelles elles sont gravées datent du XIVe siècle, nous avons des raisons de penser que ces poésies, avant d’être fixées sous la forme que nous leur connaissons, se sont transmises, de génération en génération, soit de vive voix, soit par quelque système d’écriture autre que l’alphabet. Les vers ne riment point entre eux ; ils vont d’ordinaire deux par deux, exprimant en termes différents une seule et même idée ; et, si nous ne savons pas comment on prononçait au juste, puisque les voyelles ne sont pas notées, on peut cependant, par comparaison avec les autres langues de la même famille, rétablir très souvent le rythme primitif, qui apparaît fortement martelé. Or, c’est le rythme et non la rime qui est l’âme de la poésie, et l’on ne se trompera guère sans doute si l’on applique à ces chants phéniciens la définition que Renan a donnée des cantiques hébreux : «Un carquois de flèches d’acier, un câble aux torsions puissantes, un trombone d’airain brisant l’air avec deux ou trois notes aiguës». Et il apparaît d’ailleurs très vraisemblable que ces poèmes étaient déclamés ou psalmodiés au cours des cérémonies par lesquelles on commémorait les luttes des dieux, leurs victoires ou leur trépas. On disait bien, à l’époque romaine, que la Phénicie avait produit, et dès le temps de la guerre de Troie, des historiens et des philosophes. À vrai dire, nous ne savons pas encore, à l’heure actuelle, ce qu’il faut entendre par là, et d’ailleurs ces termes d’historiens et de philosophes n’ont pas une signification bien précise, quand il s’agit de l’Orient, et de l’Orient ancien surtout. Mais il est sûr, du moins, que la Phénicie a produit, et dès avant la guerre de Troie, des poètes dont les œuvres viennent d’être retrouvées, non pas à Tyr ou à Sidon, ces métropoles de Canaan, mais dans les décombres d’une ville de la Haute-Syrie, fondée par Sidon ou par Tyr et abandonnée depuis 3000 ans. Charles Virolleaud «Le garde de Babylone et de Canaan»-Paris 1949. 
 Parmi les fouilles archéologiques, si nombreuses, qui ont été pratiquées en Syrie pendant vingt ans, de 1920 à 1939, il n’en est pas sans doute dont les résultats présentent plus d’intérêt que celles de Ras-Shamra. C’est en 1928 que l’attention a été attirée, par une découverte toute fortuite, sur ce lieudit de la province de Lattaquié qui fait face à l’île...